La confiance du Bouddha
La confiance ne va pas de soi dans le monde moderne, bien au contraire. Nous entendons plus souvent parler de la nécessité d’avoir confiance, on ne sait trop comment, face à un avenir incertain, ou de manque de confiance en soi… L’éducation ne semble pas répondre complètement à ce besoin et combien de parents disent de leurs enfants qu’ils n’arrivent pas à apprendre à l’école et à bien grandir, car ils n’ont « pas confiance en eux ». Mais comment avancer dans la vie sans confiance ? Ne pas pouvoir se reposer sur qui l’on est, ne pas s’estimer assez, ne nous laisse-t-il pas complètement démunis ? Avoir confiance dans une vie pleine et riche devient dès lors difficile.
Il suffit de regarder une statue du Bouddha, une image qui le représente, pour sentir la confiance inébranlable qui émane de lui. Son esprit d’enfance, son esprit de fraîcheur, il ne l’a pas abandonné, mais lui a laissé toute la place. Le Bouddha incarne un sens de santé que rien ne semble pouvoir altérer. La tradition raconte que lorsqu’il atteignit l’éveil à Bodhgaya, le seigneur du monde en personne vint mettre le Bouddha à l’épreuve. Le grand Brahma se dressa devant lui et le questionna sur la validité de sa découverte. Qu’est-ce qui prouve au monde que cet homme est éveillé ? Alors le Bouddha fit un geste tout à fait étonnant, dont la portée révolutionnaire nous atteint encore de plein fouet, inentamé. Il toucha la terre. Simplement, il prit la terre à témoin. La vérité de sa parole ne repose pas ailleurs que dans ce monde-ci. Aucun dieu ni aucun ciel au-delà ne peuvent déstabiliser la confiance du Bouddha en la terre de l’expérience humaine.
La méditation, un geste d’abandon
Il existe dans la tradition bouddhiste un moyen fiable de développer un sens de confiance : la pratique de la méditation assise. Contempler en son esprit la nature des phénomènes, traverser le voile des illusions et toucher, enfin, la réalité de son existence : la méditation est une ressource encore méconnue en Occident. A l’exemple du Bouddha, il est possible de s’asseoir sur un coussin, en restant immobile, alerte, les sens connectés à ce qui est là présent, en laissant tomber tout commentaire et jugement. Par la posture même que nous adoptons, la proclamation du Bouddha résonne encore. Il s’agit de faire confiance à ce que nous sommes, au niveau le plus basique. Loin d’être réservé à une élite intellectuelle ou spirituelle, ce chemin dans sa parfaite simplicité s’ouvre à tous. La confiance ne dépend, du point de vue bouddhiste, d’aucune condition. Elle est sans condition. Comme la pratique de la méditation, elle croît et grandit de manière naturelle, dans le travail que chacun fait pour y laisser de la place en lui.
Le bouddhisme indo-tibétain, et plus largement les tenants du Grand Véhicule (mahayana) reconnaissent une pratique nommée « union de shamatha et de vipashyana ». Shamatha signifie « reposer dans la paix », cette pratique vise à amener un sens de calme, d’apaisement des tensions et de lâcher prise des agitations mentales. Il s’agit d’y abandonner tout projet, en se reliant simplement au présent, à travers l’attention mouvante au souffle et aux perceptions corporelles. Ainsi, selon l’image traditionnelle, la boue des pensées peut se déposer naturellement au fond de l’eau de l’esprit et sa clarté originelle apparaît. Vipashyana signifie « conscience en éveil » ou « vision pénétrante », vigilance qui ouvre à une présence bien plus vaste que la seule pratique de l’attention. A travers cette forme de méditation, le monde devient clair, les sensations se font plus riches et plus précises, la conscience n’est plus focalisée sur le moi mais le déborde, le dépasse, l’englobe. L’union de l’attention et de la clarté d’esprit est le ressort majeur du bouddhisme.
Un potentiel présent en chacun
La méditation est en soi un geste de grande confiance. Ce qui la rend possible est le sentiment, ancré chez les maîtres de la tradition, de l’inséparabilité entre l’éveil et la confusion. Les êtres ordinaires que nous sommes, pris dans nos névroses et nos folies, sont fondamentalement des bouddhas. C’est l’immense proclamation du mahayana, à travers la doctrine de la « nature de bouddha ». Cet enseignement, aussi connu sous le nom de troisième tour de roue, fait suite à la vérité de la souffrance et à la dissolution d’un moi propre par la réalisation de la vacuité. Aussi, le terme de nature ne doit pas nous égarer. D’une certaine manière, reconnaître que nous sommes éveillés est le sens du chemin. Il n’y a rien à fabriquer ni à ajouter. Nous le sommes, mais un travail est nécessaire. Méditer, contempler et étudier nous y amène graduellement, car cette nature n’a rien d’immédiat ou de facile. Il s’agit plus d’un trésor à retrouver ou d’un royaume à conquérir, plutôt que d’une présence immuable. Le terme sanscrit qui désigne ce potentiel d’éveil est « tathagatagarbha ». La première partie du mot, tathagata, est un des noms du Bouddha, « l’ainsi allé », lui qui est entré dans le courant de la vie au lieu de rester sur la berge. La seconde moitié est composée de garbha qui veut dire parfois graine, réservoir ou cœur. C’est l’embryon de bouddha qui nous caractérise, qui que nous soyons, par le simple fait d’exister.
Cela a fort à voir avec la confiance. Sans connaissance de qui nous sommes, comment nous faire confiance, comment même rencontrer l’autre ? Or, la « nature » humaine n’en est pas vraiment une. En tant qu’hommes, nous avons à la redécouvrir sans cesse. Le maître Chögyam Trungpa s’étonnait du fait que les animaux, par exemple les chats, soient toujours eux-mêmes. Quoi qu’il arrive au chat, il se comporte en chat, sa « chat-ité » lui est bien plus naturelle que notre humanité ne l’est pour nous. C’est pourquoi le fait de parler de bonté primordialement présente en chacun ne peut jamais nous faire oublier la méchanceté, l’aveuglement, toutes les manières qu’ont les hommes d’être « in-humains ». Dans le bouddhisme, la méthode pour vivre en accord avec ce potentiel d’ouverture et reconnaître, sans fard, tout ce qui nous en éloigne, est avant tout la pratique de la méditation assise.
Nicolas D’Inca
Article paru dans "Bouddhisme Actualités" en juin 2009
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