tag:blogger.com,1999:blog-67245639613027671552024-03-05T19:23:07.039+01:00Psychologie et MéditationLa pratique de la méditation vue par un psychologue occidentalNicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.comBlogger64125tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-62282101020744373402020-12-07T11:27:00.006+01:002020-12-07T11:29:47.737+01:00Atelier initiation chamanique à Paris<p><span style="font-size: large;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiM_DesSqoyhuwP2m9uGmjW1oCchseO39y0n1Q3JBeZ8Wycqy4sLne-Eb_J_rkcoPfEMhBijV__VvLPpCQ4AAoJ6CkVjYG-MW_s1Fd90vSjvzZJst1GeUCiaNbgEifIAEgiDTz0ZEjcf2Qg/s1920/stagechamanique+-+copie.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><span style="font-size: large;">Pour une sortie de confinement empreinte de liberté,
venez découvrir les méthodes chamaniques en cette fin d'année, que 2021
s'ouvre sous de meilleurs auspices ! </span></a></span></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;"> </span></span></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;"> </span><img border="0" data-original-height="1080" data-original-width="1920" height="316" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiM_DesSqoyhuwP2m9uGmjW1oCchseO39y0n1Q3JBeZ8Wycqy4sLne-Eb_J_rkcoPfEMhBijV__VvLPpCQ4AAoJ6CkVjYG-MW_s1Fd90vSjvzZJst1GeUCiaNbgEifIAEgiDTz0ZEjcf2Qg/w496-h316/stagechamanique+-+copie.jpg" width="496" /></span></div><p></p><p><span style="font-size: large;"><b> </b></span></p><p><span style="font-size: large;"><b>Le néo-chamanisme essentiel en quelques mots </b><br /></span></p><p><span style="font-size: large;">Le chamanisme est une approche ancestrale de la connaissance, qui utilise le potentiel du corps, du cœur, du mental et de l’esprit. Dans cet atelier, les participants pourront apprendre et appliquer plusieurs méthodes de base que les chamans emploient pour se rendre dans la "réalité non-ordinaire". Ces méthodes permettent d’intégrer au maximum son propre pouvoir, d’obtenir des éléments de connaissance, de répondre à des questions personnelles et de contribuer à sa propre santé, à celle des autres et à celle de la planète. Une attention toute particulière sera accordée au voyage chamanique, l’une des méthodes visionnaires les plus remarquables donnant accès à cette "réalité non-ordinaire". Les participants feront ainsi l’expérience de "l’état de conscience chamanique" et verront se manifester des capacités spirituelles et des liens avec le monde naturel qui demeurent le plus souvent à l’état latent. Les exercices proposés seront suivis d’échanges entre les participants à propos de leurs découvertes lors du voyage chamanique. Une autre démarche chamanique classique qui sera pratiquée dans le cadre de cet atelier est la rencontre, dans la réalité non-ordinaire, des esprits tutélaires – tels que l’animal de pouvoir et le guide spirituel propres à chacun – pour en recevoir les enseignements et les appliquer dans la vie quotidienne.<br /><br />Cet atelier constitue un préalable indispensable à tout autre stage de pratique chamanique avec </span><span style="font-size: large;"><b>Siegfried Haehne </b>et<b> </b></span><span style="font-size: large;"><b>Nicolas D’Inca</b>. <br />Cette transmission est adossée à l’enseignement de Claude Poncelet, physicien et enseignant en « néo-chamanisme essentiel », inspiré par la méthode de l’anthropologue Michael Harner, pionnier du renouveau chamanique.<br /><br /><b>Infos pratiques</b><br />Dates : samedi 19 décembre 2020 de 09h30 à 18h – dimanche 20 décembre 2020 9h30 à 17h<br />Lieu : Centre Rayon Magenta, 14 Rue Crespin du Gast, 75011 Paris, France<br />Prix : 250€ + 30€ d’adhésion annuelle à l’association "Présence d’esprit" qui organise le stage<br />Contact : <a href="http://www.nicolas-dinca.com">www.nicolas-dinca.com</a><br />Inscription : <a href="https://www.billetweb.fr/atelier-chamanique-de-base">https://www.billetweb.fr/atelier-chamanique-de-base</a><br />Nombre limité de places, réservation obligatoire. </span></p><p><span style="font-size: large;"> <b><br />Les intervenants</b><br /><br />Né en Bohème en 1944, <b>Siegfried Haehne</b> vit et travaille en Picardie depuis 1971.<br />Universitaire, homme d’affaires d’abord, artiste et thérapeute toujours, ses voyages le conduisent auprès d’Hommes Véritables, dans les Déserts, dans la Prairie et dans la Toundra où il plonge dans leur spiritualité qui porte sa vie d’aujourd’hui au service de son prochain. <br />Elève du physicien et pratiquant en néo-chamanisme Claude Poncelet, dont il transmet aujourd’hui les méthodes et la voie.<br /><br /><b>Nicolas D’Inca</b>, né en 1982 à Paris. Psychologue clinicien, hypnothérapeute, spécialisé dans la méditation, la transe, les états modifiés de conscience. Formé en bioénergie et en lithothérapie, pratique le chamanisme pour sa dimension d’expérience vivante et de méthode de guérison holistique. <br />Président fondateur de l’association Présence d’esprit qui organise des évènements à la croisée de la psychologie, du développement personnel et de la spiritualité.<br /></span></p>Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-65545949053933102742020-04-04T11:46:00.000+02:002020-04-05T10:29:57.568+02:00Dignité humaine, tendresse et courage<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1UF6aiX4s5roE-PyhIk599Suve3g5LNy7AJcEZ3rlZUaKbKe1c_USczM-hl6ysPzn9ta-AH4AvskqXKPIcKz1ViUP3nY6EV2I9C4_aFZeeydpDOWezNxzaEk4XO2EkSEu19lz1SFh2qyb/s1600/Dorje+Dradul.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="483" data-original-width="341" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1UF6aiX4s5roE-PyhIk599Suve3g5LNy7AJcEZ3rlZUaKbKe1c_USczM-hl6ysPzn9ta-AH4AvskqXKPIcKz1ViUP3nY6EV2I9C4_aFZeeydpDOWezNxzaEk4XO2EkSEu19lz1SFh2qyb/s400/Dorje+Dradul.png" width="281" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Chögyam Trungpa, le Dorjé Dradül de Mukpo</td></tr>
</tbody></table>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La dignité humaine ne dépend pas du compte en banque. Elle provient de ce que nous puisons dans nos ressources humaines inhérentes, en faisant les choses avec nos propres mains, ici et maintenant, correctement, magnifiquement. Nous pouvons réellement le faire ; même dans la pire des situations, nous avons le pouvoir d’infuser de l’élégance dans notre vie.<br /><br />Le chaos du monde est dû en grande partie au fait que les gens ne savent pas s’apprécier. N’étant jamais parvenus à éprouver de la sympathie ou à manifester de la douceur envers eux-mêmes, ils ne peuvent faire l’expérience de l’harmonie ou de la paix intérieure ; par conséquent, ce qu’ils communiquent aux autres est également discordant et confus. <br /><br />On devrait toujours se respecter soi-même et être à l’aise. Quand on marche dans la rue, inutile de se précipiter. On peut simplement se balader. Être soi-même, s’apprécier soi-même. On peut même apprécier son bavardage mental. Être sensible à sa condition d’être humain d’une seule pièce.<br /><br />Quand nous éveillons notre cœur, nous découvrons avec surprise qu’il est vide. (…) Si nous cherchons le cœur éveillé, si nous creusons dans notre poitrine pour le trouver, nous n’y découvrirons rien d’autre qu’une sensation de tendresse.<br /> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La première fois qu’un être humain donne naissance au cœur sensible qui est le propre du guerrier, il peut se sentir extrêmement gauche et ne pas trop savoir comment s’y prendre avec ce type de courage. Mais par la suite, à mesure qu’on se familiarise avec cette tristesse, on s’aperçoit que l’être humain est fait pour être tendre et ouvert.<br /><br />La tendresse est faite aussi de tristesse ; il ne s’agit pas de la tristesse de celui qui s’apitoie sur son sort ou qui vit une carence affective, mais d’une situation naturelle de plénitude. On se sent à ce point plein et riche qu’on est sur le point de fondre en larmes.<br /><br />Habituellement, être courageux veut dire ne pas avoir peur, ou alors retourner les coups que l’on reçoit. Mais ici nous ne parlons pas du courage des bagarres de ruelle. Le véritable courage est le produit de la tendresse. Il survient lorsque nous laissons le monde effleurer notre cœur, notre cœur si beau et si nu. Nous sommes disposés à nous ouvrir, sans résistance ni timidité, et à faire face au monde. Nous sommes disposés à partager notre cœur avec les autres.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Extraits de </span><span style="font-size: large;">Chögyam
Trungpa, <i>Shambhala. La voie sacrée du
guerrier</i>, Seuil, 1990. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">En souvenir du Dorjé Dradül de Mukpo mort à 47 ans le </span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">4 avril</span> 1987. </span><br />
<span style="font-size: large;">Bon courage à tous dans ces temps difficiles !</span></div>
<div style="text-align: justify;">
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<br />Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-15907597616219810332017-11-11T12:00:00.000+01:002020-02-29T09:49:21.013+01:00Mudra, un théâtre de l’espace 2/2<table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgOUGaavrnTuxtpXYoCjwAG9ZKkcC_xX82k2esQGIl_wkw5i8vEBKarG8D-gpjkKRg1qqdxg7A_JMBTSi_Mta8qkoil5SWBOJicFDtP3XYnMJ3r2stFam8tAs6lHSPnVXMOaJz-boLqpkFp/s1600/6.+Mudra+-+copie.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="1600" data-original-width="1132" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgOUGaavrnTuxtpXYoCjwAG9ZKkcC_xX82k2esQGIl_wkw5i8vEBKarG8D-gpjkKRg1qqdxg7A_JMBTSi_Mta8qkoil5SWBOJicFDtP3XYnMJ3r2stFam8tAs6lHSPnVXMOaJz-boLqpkFp/s400/6.+Mudra+-+copie.jpg" width="282" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Trungpa faisant un mudra d'enseignement</td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">1. 3. Les exercices d’intensification <i>Mudra Space Awareness</i>. <br /><br />Dans le cadre de l’art dharma, Trungpa crée une compagnie de théâtre, à la demande de ses étudiants engagés dans cette forme d’art à des degrés divers. Il réunit une troupe qu’il nomme Mudra, ce qui signifie « Geste » et leur donne comme consigne d’intensifier l’espace, de forcer leur sens de présence, comme s’ils cherchaient à se donner naissance, afin d’accroître leur sentiment d’être. Andy Karr, qui dirigeait le groupe de travail <i>Mudra Space Awareness</i> (Présence à l’Espace), écrit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />« Etrangement, intensifier notre corps dans diverses postures pour éviter d'être écrasés par l'espace est le motif central d'une série d'exercices que Chögyam Trungpa a conçus pour ses étudiants du Groupe de Théâtre Mudra, en 1973. Trungpa présenta ces exercices de « conscience de l'espace » sans donner quasiment aucune explication de ce qu'il entendait par « intensification » ni par « espace ». (…)<br />Je pense que ce que Trungpa nous montrait avec les exercices Mudra était l’espace. Cet espace se manifeste comme étant notre corps, notre esprit, nos différents environnements. Puisque tous les phénomènes sont espace, il n’y a aucune contradiction à voir l’espace nous écraser ou s’accommoder de nous. »</span><span style="font-size: large;">« La pratique du Théâtre Mudra : couper l'oxygène à l'ego » par Andy Karr (texte publié dans <i>Recalling Chögyam Trungpa</i>) </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: right; margin-left: 1em; text-align: right;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbQjTveh8gOcJzmpab0pReDsAZcsUvffjgGNwrlKNSHxmzTmWGlSxDBbs7cFzvvzCSdpjFyk_PxsHEXBwL0sBPgM7ZAIurf-INnUchXt7DELQzcPnwZISKRArLv52bNYyLYlAK3L5U9s3R/s1600/Mantra%252C+Benefit+for+Kama+Dzong+Meditation+Center%252C+May+6%252C+1972.+Macky+Auditorium%252C+Boulder%252C+CO.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="552" data-original-width="378" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhbQjTveh8gOcJzmpab0pReDsAZcsUvffjgGNwrlKNSHxmzTmWGlSxDBbs7cFzvvzCSdpjFyk_PxsHEXBwL0sBPgM7ZAIurf-INnUchXt7DELQzcPnwZISKRArLv52bNYyLYlAK3L5U9s3R/s400/Mantra%252C+Benefit+for+Kama+Dzong+Meditation+Center%252C+May+6%252C+1972.+Macky+Auditorium%252C+Boulder%252C+CO.png" width="273" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Mantra, poetry reading, 1972, Boulder, CO</td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">4. La compagnie de théâtre Mudra naît dans le contexte de recherches théâtrales des 70’s en pleine effervescence créatrice, Trungpa organise des rencontres à Naropa, Boulder avec l’avant-garde américaine, notamment les grands poètes de la beat generation. La confluence des recherches respectives sur l’espace et la présence théâtrale est impressionnante. L’arrivée du bouddhisme en Amérique rejoint tout un courant de la contre-culture qui est à la recherche d’une nouvelle forme d’être ensemble et d’une expression artistique neuve. S’y croisent entre 72 et 73 les étudiants de Trungpa et ceux de : l’Open Theater de Joseph Chaikin, Robert Wilson, Meredith Monk ; la rencontre avec Peter Brook aura lieu à New-York… tous ceux qui deviendront des pionniers puis des références absolues dans le milieu de l’art théâtral. L’influence est réciproque. Sa recherche de l’espace artistique est peut-être simplement un moyen de transmettre l’expérience de la méditation en langage occidental moderne, mais rejoint aussi les préoccupations très fortes d’une époque. Joseph Chaikin et son manifeste sur la présence de l’acteur ; Bob Wilson et son rapport visuel, scénographique à l’espace, au jeu des lumières et à l’usage du geste délibéré ; Peter Brook dans une quête de simplicité, un espace scénique immersif, une intense présence de l’acteur et une authenticité de la parole… tous ces thèmes sont travaillés à cette époque par Chögyam Trungpa. Robert Wilson dira de lui : "Je le trouvai extrêmement ouvert et libre d’esprit, avec un grand sens de l’ironie et de l’humour : un homme qui pouvait voir deux mondes en un. Il y avait toujours cet espace derrière ce qu’il disait et faisait. Cela me fascinait."<br /><br />5. Il écrit lui-même plusieurs pièces de théâtre qu’il met en scène avec sa troupe : <br /><br />La première, Sandcastle « Château de Sable », est une est une pièce de théâtre qu’il écrit au début des années 1970, structurée en une série de courtes scènes entre deux ou trois personnages. Reflétant cette époque d’incertitude en Amérique du Nord, elle se fait l’écho de ses doutes et névroses, en adoptant la forme de l'absurde.<br />Cela n’est pas sans rappeler le théâtre de Samuel Beckett, pour lequel Trungpa avait beaucoup d’admiration, et qui décrit un monde en perte de repères.<br /><br />Dans une autre pièce intitulée Prajna, ce qui en sanscrit veut dire intelligence première ou intelligence primordiale, la scène et les costumes sont structurés, épurés, les personnages entrent et sortent de la scène à la manière d’un ballet traditionnel japonais dans leurs gestes, presque rituels. Un grand sens de dignité qui coupe court à l’esprit conceptuel s’en dégage.<br /><br />Dans une autre, Water Festival (« Festival d’Eau ») la confusion de l’esprit humain est encore la cible, le personnage principal meurt de soif sur la scène mais refuse l’eau partout présente qu’on lui propose… désignant l’état d’insatisfaction permanent de l’ego.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgmnd6VDnCqT3bUnA07qICzRAlwicf0u_ys60-SQ2lLxdWmlipQQaJSeLerauDV3rCYzJHC-YlGoQmMZnbFRJ2BDROmNnBkkyNIwN7ebmtlM3raflq3kJMQuez5d__F9sxG9Wmc8pf-AKXL/s1600/5.+AH+Mantra+Calligraphy+%2528for+Allen+Ginsberg%2529%252C+Cho%25CC%2588gyam+Trungpa+Rinpoche.+ca+1980+-+copie.jpg" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="871" data-original-width="1446" height="384" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgmnd6VDnCqT3bUnA07qICzRAlwicf0u_ys60-SQ2lLxdWmlipQQaJSeLerauDV3rCYzJHC-YlGoQmMZnbFRJ2BDROmNnBkkyNIwN7ebmtlM3raflq3kJMQuez5d__F9sxG9Wmc8pf-AKXL/s640/5.+AH+Mantra+Calligraphy+%2528for+Allen+Ginsberg%2529%252C+Cho%25CC%2588gyam+Trungpa+Rinpoche.+ca+1980+-+copie.jpg" width="640" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">AH Mantra (for Allen Ginsberg), Chögyam Trungpa, ca 1980 </td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">6. En plus de ces pièces, il écrit une série de 5 Cycles de Son « Sound Cycles » pour l’Open Theater de Joseph Chaikin, qui se basent sur les sons plus que sur le sens pour créer une atmosphère d’une certaine tonalité émotionnelle. Le poète John Giorno en mettra une dans son dispositif de téléphonie poétique… <br /><br />Chögyam Trungpa écrit : « Dans la tradition Vajrayana du bouddhisme, qui porte sur l’énergie, on parle de trois principes : le corps, la parole et l’esprit. Le corps correspond à la matière, l’esprit aux pensées et à l’espace. La parole est ce qui les relie, et c’est l’énergie. Méditer sur les sons des mantras est l’un des moyens fournis par la tradition de se relier à cette énergie. Le mantra crée un environnement vivant d’énergie. » <br />Là encore, comme toujours, son rapport au son est poétique, non religieux. La parole invite à se dénuder, s’ouvrir aux émotions, une dimension essentielle dans la poésie comme le théâtre.<br /><br />7. Cette Présence à l’espace permet de mieux percevoir que l’esprit n’est pas « dans la tête », il est présent en situation ici même. Par le corps, par la parole, et par les émotions ou les pensées. C’est une présence très ordinaire des choses de la vie quotidienne, et à la fois une grande curiosité dans l’exploration de ce qui nous entoure. <br />La créativité dépend de l’état d’esprit de l’artiste. Comme dit Trungpa, Beethoven ou son musicien préféré Mozart – et nous pourrions ajouter le moderne John Cage qu’il a connu à Naropa – ne peuvent pas rentrer du marché et s’affaler sur une chaise pour se lancer dans l’écriture d’un chef-d’œuvre – ils doivent entrer en rapport (non nécessairement à la méditation, mais) à un état d’esprit ouvert, attentif, qui soit comme une page blanche. Sans ce rapport à une nouveauté qui fasse rupture, on ne fait que répéter, recycler, ressasser toujours les mêmes concepts et les mêmes façons de percevoir le monde et donc de l’exprimer. Cet état d’ouverture peut être créé en se laissant simplement être, comme nous l’avons fait dans l'exercice de présence au corps, être juste soi sans en rajouter ; en prêtant une attention curieuse à ses perceptions, ce qui permet de sortir du pilote automatique de l’esprit ; ou cela peut arriver par un état de brèche, soit une brèche dans la perception, ou une brèche temporelle (l’espace entre deux pensées, un silence), ou cela pourrait être une brèche causé par un élément extérieur, de surprise, cette brèche ayant son existence à la fois en dedans et en dehors de l’esprit, et ces niveaux extérieurs et intérieurs sont impossibles à séparer !<br /><br />Un coup de GONG retentit dans la salle – silence – Questions-réponses.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Nicolas D'Inca </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Suite et fin de la présentation faite lors de la journée <b>Scénographie & Technologie #2</b> le samedi 11 novembre 2017 aux Grands Voisins, Paris.</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-60134434929271439492017-11-11T11:00:00.000+01:002020-02-24T22:09:28.318+01:00Mudra, un théâtre de l’espace 1/2<div style="text-align: justify;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjaoZUiR85QSDbBpUORCswI_t38XGLh594dsLusLxYJYYAnAw4EGuP0aS5F45Hr7afr7ZPBv0GUrREroS30N6W3Bzclc2T7UVE6HlvX-qPihi3AUEnUR65eIuh7Oz970yXgbocnUNyAeiZq/s1600/Capture+d%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran+2020-02-24+a%25CC%2580+21.39.49.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="91" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjaoZUiR85QSDbBpUORCswI_t38XGLh594dsLusLxYJYYAnAw4EGuP0aS5F45Hr7afr7ZPBv0GUrREroS30N6W3Bzclc2T7UVE6HlvX-qPihi3AUEnUR65eIuh7Oz970yXgbocnUNyAeiZq/s200/Capture+d%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran+2020-02-24+a%25CC%2580+21.39.49.png" width="200" /></a><span style="font-size: large;">Présentation faite lors de la journée <b>Scénographie & Technologie #2</b> le samedi 11 novembre 2017 aux Grands Voisins, Paris, merci à Franck Ancel qui est à l'initiative de cette journée pour son invitation. </span><br />
<span style="font-size: large;">Merci aux artistes Julia Stern, Coline Deschamps, Nicolas Desplats, Rodolphe Farmer, Benjamin Neyrial pour leur présence et leur créativité. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgd0X-idCvGR_a2oKlKsH7EkXpR7QJnO6wlQCOjgIs-A5o7eomjHfSdS5WrUI_HTyeb_NhCfT0CwhID9NGdXpDeVUvukvaxPdr_pGwehJJUo5loZR9HoxdNsMdDqSgsCDKkxAQaIHB7KDpt/s1600/polieri+1998.png" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" height="182" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgd0X-idCvGR_a2oKlKsH7EkXpR7QJnO6wlQCOjgIs-A5o7eomjHfSdS5WrUI_HTyeb_NhCfT0CwhID9NGdXpDeVUvukvaxPdr_pGwehJJUo5loZR9HoxdNsMdDqSgsCDKkxAQaIHB7KDpt/s200/polieri+1998.png" width="200" /></a><span style="font-size: large;"> Sur le flyer de ce programme tout d'abord une provocation, que je trouve très amusante, sur la photo de Jacques Polieri : le voici goguenard, entouré de statues de bouddhas ! Mais au-delà de la blague, cela souligne un point : un visionnaire de l’avant-garde théâtrale pourrait ne pas être étranger à la pensée bouddhiste. Pourquoi la vision du Bouddha a-t-elle le moindre rapport avec l’art, encore plus avec l’art moderne ? <br />Parce que s’y manifeste un sens de la présence qui implique un grand sentiment de confiance en l’espace, nourri par la curiosité d’en sentir toutes les caractéristiques vivantes. <br />(C’est ce qui peut faire dire à Ariane Mnouchkine que le théâtre est « l’art du présent », un art de l’impermanence, de l’ici et maintenant – termes typiques du bouddhisme devenus aujourd’hui communs.) Cette confiance, le maître tibétain Chögyam Trungpa l’a manifestée tout au long de sa création artistique. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /><b><u>Exercice 1</u> : l'espace tel quel, par la présence au corps</b><br /> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Dans le théâtre comme dans la vie, avant même d’entamer un mouvement, un geste, de prononcer une parole, un sens de l’espace est toujours présent. Tout d’abord, l’espace de notre propre corps, la place que nous occupons à cet instant même, notre sensation d’être.<br /><br />Vous êtes bel et bien ici, dans cet amphithéâtre des Grands Voisins, à Paris, c’est l’automne en ce 11 novembre 2017, vous êtes assis sur ces bancs ou ces sièges, à telle hauteur dans les gradins, et vous voyez et vous entendez ce qui a lieu autour de vous. C’est comme une manière de se rendre disponible à la rencontre, avec soi d’abord, puis avec les autres, puis avec nos perceptions, le monde alentour. <br /><br />De la plante des pieds sur le sol, au sommet de votre tête, vous pouvez prendre contact avec ces espaces en vous qui ressentent, qui résonnent, qui vous donnent des informations, qui dansent avec l’espace présent. On pourrait se demander quelle partie de notre corps semblent capter le plus d’informations ? Même si une forme d’hésitation a lieu, il est possible de faire confiance a ce qui se passe, à ce qui vous vient, et de vous installer dans cet espace, de toute votre confiance. <br /><br />Une partie de vous perçoit un espace plus vaste par le simple fait d’y prêter attention. Nous pouvons le faire en quelques instants, comme maintenant, ou y passer davantage de temps, comme dans la pratique de la méditation issue du bouddhisme, mais le sens est le même : il s’agit juste de se laisser être. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">1. 1. Commençons par une brève présentation de Chögyam Trungpa, une sorte de <b>« Portrait de l’artiste en maître tibétain »</b></span></span></div>
<table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhB92xXQDeInLV-KFJY0Hyxyzgvw1k-cVzKQAGzKJDBJAElyHUGjNYc6ZtA81GnNnZ-7a0zROGMWGERLIu6TaK22FMmkmeBc8Ac66_I29gkAS222EGNWTlTiUGqfKCt8MGaoxbd9xet8fHW/s1600/3.+Trungpa+et+Khenpo+Gangshar.png" imageanchor="1" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhB92xXQDeInLV-KFJY0Hyxyzgvw1k-cVzKQAGzKJDBJAElyHUGjNYc6ZtA81GnNnZ-7a0zROGMWGERLIu6TaK22FMmkmeBc8Ac66_I29gkAS222EGNWTlTiUGqfKCt8MGaoxbd9xet8fHW/s320/3.+Trungpa+et+Khenpo+Gangshar.png" width="228" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Khenpo Gangshar et Trungpa, Tibet, 1959</td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Chökyi Gyamtso Trungpa est né en 1940 dans le Tibet traditionnel, avant l’invasion chinoise de 1959, date à laquelle il rejoint l’Inde, l’Angleterre puis les Etats-Unis. Il meurt au Canada en 1987 à l’âge de 47 ans, en léguant une œuvre de pionnier dans la transmission du bouddhisme tibétain. Nous n’en dirons pas plus sur son histoire de vie, pour ceux que cela intéresse il est possible de se référer à sa biographie française parue aux éditions du Seuil. <br />Le point qui retient notre attention aujourd’hui est son rôle en tant qu’artiste. Chögyam Trungpa pratique quasiment tous les arts : poésie, photographie, installation d’objets, création scénographique dans des musées d’art moderne, ikebana (l’art floral japonais), calligraphie, cinéma et enfin, le théâtre. </span><span style="font-size: large;"> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"> </span><span style="font-size: large;"> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Fondamentalement, avant d’être un maître dans le sens spirituel, lui qui se décrivait comme un homme ordinaire, un « Monsieur tout le monde », il est un artiste dans sa vie quotidienne. Pour lui, l’art n’a pas à provenir de génies ou de personnes supérieures à leurs contemporains, il récuse également le mythe de l’artiste maudit et fait appel au contraire à une santé de base, « cette santé avec laquelle nous sommes nés » dit-il. L’art est pour lui communication entière avec le monde, une manière d’entrer en rapport les uns avec les autres. (Cela a lieu avec douceur, humilité et bienveillance, par l’intérêt que l’artiste porte à ses propres perceptions sensorielles et à la manière de les communiquer à autrui). Trungpa écrit : « Un travail artistique fait ressortir la bonté et la dignité d’une situation. Cela semble être la raison principale de l’art. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<span style="font-size: large;"></span></div>
<table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifj1jmAngU8uzz9_AhPbVR_12tw_ZxEW2qdXDajwVUSpnyTS1jMftNd88p2af-PHP_iwCX-PLUNKnZpSEoD95_0K2qAeKUUD21_FmHfqJ3lBsrh9D4bu6UFGH_Ub1uklzYRjiiYGRgcOTN/s1600/10.+Ginsberg+Trungpa+-+copie.jpg" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="198" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifj1jmAngU8uzz9_AhPbVR_12tw_ZxEW2qdXDajwVUSpnyTS1jMftNd88p2af-PHP_iwCX-PLUNKnZpSEoD95_0K2qAeKUUD21_FmHfqJ3lBsrh9D4bu6UFGH_Ub1uklzYRjiiYGRgcOTN/s320/10.+Ginsberg+Trungpa+-+copie.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Allen Ginsberg et Chögyam Trungpa, USA circa 1978</td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Un de ses disciples célèbres, qui fut un de ses amis proches, n’est autre que le poète de la Beat Generation, le célèbre Allen Ginsberg. <br />Il rapporte que Trungpa insistait pour qu’il enseigne la poésie à Naropa, l’université bouddhiste qu’il avait fondé parce que dit-il : « il voulait que les méditants soient inspirés par la poésie, parce qu’ils ne pourront enseigner s’ils ne sont poètes – ils ne pourront communiquer ». </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Il incite Ginsberg à monter sur scène et à improviser sa poésie, en direct, selon les circonstances. Ainsi il l’entraîne selon le principe poétique qu’ils élaborent ensemble : <i>first thought best thought</i> « première pensée meilleure pensée ». L’état d’esprit ouvert permet de faire de bonnes trouvailles non préméditées. Ainsi tout ce qui se présente peut faire l’objet d’une œuvre d’art, du moment que l’intention de l’artiste est de se montrer authentique et non d’impressionner son public. Cela est palpable dans son émouvant poème, qui lors de ses funérailles publiques a été lu par Patti Smith accompagné au piano par Philip Glass (« Lors de la crémation de Chögyam Trungpa »). <br /><a href="https://www.dailymotion.com/video/x17y3k4" target="_blank">Allen Ginsberg, On the Cremation of Chogyam Trungpa Vidyadhara (1987)</a><br /><br /><br />1. 2. <b>Dharma art. </b><br /><br />Trungpa emploie une expression qui mêle sanscrit et anglais « dharma art », que l’on peut rendre en français par « l’art dharma ». Dharma est le nom donné aux enseignements du Bouddha, mais cela signifie les faits, la loi naturelle, les choses comme elles sont ; ce sont les moyens employés pour ouvrir l’esprit d’un élève à la réalité telle qu’est. Dans le sens où il l’utilise, ce n’est pas un art religieux ni une illustration du dogme bouddhiste, mais une perception claire, pleine et entière, une ouverture de tous les sens. Cela suppose une appréciation de notre vie dans ses moindres détails, une attention aux gestes ordinaires comme s’habiller, prendre son petit déjeuner, coiffer ses cheveux ou boire un verre d’eau.<br /><br />Aucun « au-delà » spirituel, insiste Trungpa qui écrit : « Cette vie ou cette expérience de l’univers est la seule chose ; il n’y a rien du tout au-delà, comme un autre niveau d’existence ou quoi que ce soit d’autre. (…) Ce monde, cette manifestation physique, est le monde. (…) Mais <i>comment</i> nous le percevons – cela est plus intéressant. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgXKATUNRDjuHuQ5JA2czhwX1nN33buY0SVgh_FOvg_tlXxMwgo5Wi9AksoHTf5pG8HBQyrc2tMbMyiNxozw32C35KggOQyNtHBY6zVZaKK-_50V_voBSOufcQEzY_f8RrRBIGKlAy16-ba/s1600/7.+photographe.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="301" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgXKATUNRDjuHuQ5JA2czhwX1nN33buY0SVgh_FOvg_tlXxMwgo5Wi9AksoHTf5pG8HBQyrc2tMbMyiNxozw32C35KggOQyNtHBY6zVZaKK-_50V_voBSOufcQEzY_f8RrRBIGKlAy16-ba/s320/7.+photographe.jpg" width="320" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Trungpa photographiant un groupe d'étudiants, 1974</td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Ce qu’il cherche à transmettre par l’art est avant tout une sensation fraîche, neuve, éveillée de notre monde. Quelque chose qui soit personnel à l’artiste, bien à lui, qu’il n’a pas à fabriquer.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Comme écrit l’actrice Lee Worley qui a longuement travaillé avec lui : <br />« Chögyam Trungpa était convaincu que l’art a la capacité de changer les choses lorsqu’il n’est pas utilisé pour gratifier l’ego. Mudra comprend un entraînement sensoriel et un entraînement de l’esprit par le corps, intégrant la présence à l’espace par la vigilance. » <br /> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Pour aller plus loin se référer à son texte, « L’espace entre-deux : à propos du legs théâtral de Chögyam Trungpa » par Lee Worley. Texte publié dans <i>Recalling Chögyam Trungpa</i>, Shambhala Publications, en anglais seulement.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">(à suivre)</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-32509614066879029502015-06-04T10:00:00.003+02:002020-02-24T21:05:59.161+01:00La pratique du Théâtre Mudra : couper l'oxygène à l'ego<div style="text-align: justify;">
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span lang="FR" style="mso-fareast-font-family: "Times New Roman";"><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg6mDQAB63n_XhBKmFv1P-9m7OdZal98QpaGRKA7udILQ5k7ZReY6bZ5naQhKkq_7LrQ9jBH6dVNkv0YE192JslIpqGRwpv0SZALuUUB9TJWrp8-f91XFl5FjuLBDsK620yrE866iGY8RTG/s1600/Trungpa+early+70%2527s+outdoor+with+students.png" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="360" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg6mDQAB63n_XhBKmFv1P-9m7OdZal98QpaGRKA7udILQ5k7ZReY6bZ5naQhKkq_7LrQ9jBH6dVNkv0YE192JslIpqGRwpv0SZALuUUB9TJWrp8-f91XFl5FjuLBDsK620yrE866iGY8RTG/s640/Trungpa+early+70%2527s+outdoor+with+students.png" width="640" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">Chögyam Trungpa en compagnie d'étudiants, Colorado, début des années 70</td></tr>
</tbody></table>
</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><span lang="FR">Que
faites-vous lorsque votre maître de méditation vous dit : "L’espace vous
écrase. Vous devez développer l’intensité de votre corps pour éviter d’être
écrasés !" Il n’est pas difficile de s’imaginer réduit en bouillie par un
puissant véhicule tout terrain ou écrabouillé à l’intérieur d’un immeuble
construit sur la faille de San Andreas. On peut éventuellement concevoir être
aplati sous un piano lâché du haut d’une grue. Mais par l’espace ?<br />
<br />
Etrangement, intensifier notre corps dans diverses postures pour éviter d’être
écrasés par l’espace est le motif central d’une série d’exercices que Chögyam
Trungpa a conçus pour ses étudiants du Groupe de Théâtre Mudra, en 1973.
Rinpoché présenta ces exercices de « conscience de l’espace » sans
quasiment donner aucune explication de ce qu’il entendait par « intensification
» ni par « espace ». Après avoir montré les postures, il nous dirigea pendant
que nous les essayions. Il fut très clair sur le fait qu’il voulait que nous
fournissions le plus d’efforts physiques possible, et nous dit de nous réunir
trois soirs par semaine pour pratiquer. Rendez-vous fut pris.<br />
<br />
Pendant les années qui suivirent, Rinpoché vint nous rendre visite une fois
tous les 2 ou 3 mois, pour voir comment nous mijotions dans notre jus, et
touillait la soupe par cette exhortation régulière : « Vous pouvez le
faire ! », alors que nous luttions pour intensifier de plus en plus
notre corps. Durant ces visites, il présentait de nouveaux exercices, donnait
quelques commentaires additionnels et apportait des réponses elliptiques à nos
questions confuses. Il ne clarifia jamais les bases de la pratique. Certains
essayèrent de combler le vide à l'aide de visualisations élaborées de l’espace
interplanétaire, pendant qu’ils travaillaient les exercices de manière
exagérée. D’autres décidèrent que nous étions en train d’apprendre les secrets
des danses monastiques que Rinpoché avait apprises au Tibet. D’autres enfin
imaginèrent que cela devait être l’antichambre des Yogas Tibétains les plus
ultimes. Ce que nous pensions n’avait pas vraiment d’importance. Les
instructions de Rinpoché étaient toujours «<i>
Just do it !</i> », bien avant que Nike ne fit de cette expression sa
signature publicitaire… La plupart du temps, nous tendions et contractions
notre corps autant que nous pouvions, et de temps à autre nous nous demandions
– Sacrebleu ! – ce que nous pouvions bien être en train de faire.<br />
<br />
Ceci est typique de la manière dont Rinpoché travaillait avec ses étudiants. Il
présentait des pratiques avec un minimum de langage conceptuel et utilisait des
images évocatrices pour en transmettre l’intuition. Il existe un slogan dans la
tradition bouddhiste Kagyü qui dit : « Découvrir la vue dans et avec la
méditation ». C’est la manière dont Chögyam Trungpa opérait. Comme il l’a
dit et redit, le jeu de l’ego est de couvrir l’espace primordial de la sagesse,
à l’aide de confirmations spirituelles, psychologiques et matérielles. Même les
techniques pour déjouer les duperies de l’ego peuvent être minées par ce
processus matérialiste. « Découvrir la vue dans et avec la méditation » est
voir ce qui est, de façon nue – une fois enlevés les filtres illusoires de
l’ego. L’expérience directe vient d’abord, la compréhension arrive après.<br />
<br />
Enseigner de cette manière demande beaucoup de courage et de patience de la
part du maître, car il (ou elle) doit refuser continuellement même la plus
petite confirmation égotique à ses disciples. C’est pour cela que les grands
Maîtres n’ont pas de copains. Si l’on se situe du point de vue de l’ego, c'est
une approche déraisonnable. Mais c’est aussi la preuve d’une formidable
confiance en l’intelligence des étudiants, et qui ouvre un chemin rapide pour
leur expérience et leur réalisation.<br />
<br />
De la part des étudiants, une grande confiance en l’intégrité et l’habileté du
Maître est requise, pour maintenir pendant de longues périodes la pratique de
ce qui ne semble être qu’une lutte sans fin. Chögyam Trungpa a gagné cette
confiance chez ses étudiants.<br />
<br />
Qu’essayait de faire Rinpoché avec ces pratiques ? Bien qu’il les présenta dans
un contexte de « théâtre », ce ne fut que pendant la première année du Groupe
de Théâtre que Rinpoché les mit directement en relation avec le jeu de scène.
Après avoir présenté les exercices de conscience de l’espace, il ne sembla plus
particulièrement intéressé par les représentations sur scène. Quand le Groupe
Mudra montait des œuvres, l’inspiration était surtout le fait des étudiants.
J’ai le sentiment que l’intérêt de Rinpoché pour le théâtre répondait à
l’énergie d’un groupe de personnes. Des gens de théâtre voulaient interagir
avec un Maître Tibétain exotique, et celui-ci était d’accord pour dialoguer. Il
voulait explorer tout phénomène culturel que les étudiants lui présentaient,
pour voir si l’on pouvait le modeler en propos dharmique, en lien au <i>dharma</i>. C’était une caractéristique
prédominante de son activité d’enseignant.<br />
<br />
Le Groupe de Théâtre fournit aussi une diversion utile. Sous couvert d’activité
mondaine, Rinpoché put présenter des méthodes profondes à ses étudiants, sans
qu’aucun ne puisse en tirer un crédit spirituel. « Je fais des exercices
de théâtre » ne sonne pas aussi noblement que « Je pratique le
Dzogchen » ! Le fait que Rinpoché attendît que nombre de ses étudiants
eussent commencé les pratiques Vajrayana pour présenter les pratiques Mudra,
suggère que le théâtre était seulement un objectif provisoire.<br />
<br />
Je pense que l’objectif réel se trouve dans l’instruction « l’espace vous
écrase ».<br />
<br />
Pour développer cette image, nous devons effectuer un court voyage dans les
enseignements bouddhistes Mahayana et Vajrayana (les enseignements du Grand
Véhicule et du Véhicule Indestructible). C’est là que Rinpoché a grandi.<br />
<br />
Notre compréhension habituelle de la réalité est que nous sommes substantiels
et solides. Nos mondes sont solides. En contraste avec ces choses solides,
l’espace est considéré comme vide, inerte. L’espace se définit normalement
comme la distance entre deux choses. Les enseignements bouddhistes Mahayana
vont en sens inverse de notre conception habituelle de l’espace et de la
matière. Ils disent que nous sommes faits de vacuité. Notre corps est vacuité.
Nos mondes sont vacuité. Ils refusent toute l’existence substantielle dont nous
imaginons l’ego et ses projections être dotés.<br />
<br />
Nous n’avons pas le temps ici d’approfondir ce point, mais on peut simplement
mentionner que c’est ce que les enseignements Mahayana veulent dire par la
phrase : « la forme est vacuité ; la vacuité est aussi forme. La vacuité
n’est autre que la forme ; la forme n’est autre que la vacuité ». Ces
enseignements expliquent aussi que la solidité illusoire de l’ego et de ses
projections, qui sont cause de nos luttes et de notre souffrance, est maintenue
grâce à un effort de notre part.<br />
Dans la perspective Mahayana, la vacuité n’est pas un vide inerte, mais elle
est dotée de qualités suprêmes. Cette vacuité est l’espace vivant dynamique,
dont le potentiel est de manifester tout phénomène possible. C’est la base de
l’ensemble de notre expérience. On l’appelle souvent <i>dharmadhatu</i>, espace des phénomènes.<br />
<br />
Comme dit le noble pandit indien Nagarjuna :<br />
<br />
« Si la vacuité est possible,<br />
Alors toute chose est possible.<br />
Mais si la vacuité n’est pas possible,<br />
Alors rien d’autre n’est possible. »<br />
<br />
Les enseignements Mahayana présentent souvent cette réalité au moyen du
raisonnement et de l’analyse. D’abord, les étudiants développent de la
confiance en la signification de la vacuité. A partir de cette compréhension,
ils méditent et en développent l’expérience et la réalisation. C’est de cette
manière que fonctionne le processus Mahayana de transformation. On peut le
décrire en disant « découvrir la méditation dans et avec la vue ».<br />
<br />
L’approche Vajrayana consiste en « découvrir la vue dans et avec la
méditation ». C’est plus rapide, mais on peut facilement passer à côté de
l’essentiel.<br />
<br />
Le chemin Vajrayana est connu sous le nom du véhicule de la fructification. La
compréhension Vajrayana est fondamentalement la même que celle du Mahayana,
mais on insiste sur la réalisation directe de la nature véritable de la réalité
dans notre expérience immédiate, plutôt que sur l’émergence progressive de la
bouddhéité à partir d’une graine fondamentale, grâce aux processus graduels de
l’étude et de la pratique.<br />
<br />
Cette nature véritable est l’espace dynamique de la vacuité, dont nous avons
parlé plus haut. Dans le Vajrayana, elle est directement montrée aux étudiants
par le Guru. Je pense que ce que Rinpoché nous montrait avec les exercices
Mudra était l’espace. Cet espace se manifeste comme étant notre corps, notre
esprit, nos différents environnements. Puisque tous les phénomènes sont espace,
il n’y a aucune contradiction à voir l’espace nous écraser ou s’accommoder de
nous.<br />
<br />
Voici maintenant à peu près 25 ans que j’ai arrêté de pratiquer avec le Groupe
de Théâtre Mudra. Je lisais récemment <i>Bardo.
Au-delà de la folie</i> (<i>Transcending
madness</i>), un livre de Chögyam Trungpa Rinpoché. Dans le chapitre sur
l’expérience des Six Mondes du Samsara, j’ai pu lire ces lignes :<br />
<br />
« Ces expériences des six mondes – dieux, dieux jaloux, humains, animaux,
fantômes affamés, enfer – sont de l’espace, ce sont différentes versions de
l’espace. (Les six mondes) semblent intenses et solides, mais en réalité, ce
n’est pas du tout le cas. Ce sont différents aspects de l’espace – et c’est ça
qui est intéressant ou passionnant. En fait, ils sont l’espace complètement
ouvert, sans aucune couleur ou sans qu’il existe particulièrement une manière
solide de s’y relier ».<br />
<br />
Ceci semble conclure notre propos. Dans ce texte, avec ses propres mots,
Rinpoché a expliqué l’espace qu’il nous désignait.<br />
<br />
Comme il m’a fallu plus de 25 ans pour comprendre la raison de ces exercices, vous
pourriez vous demander en quoi ces pratiques sont efficaces. L’idée est que le
processus de transformation de notre perception ordinaire est semblable au
processus de croissance d’un arbre à partir d’une graine : au moment où l’on
pratique les exercices, les questions fondamentales à propos de la nature de
l’espace et de la nature de notre corps sont plantées dans notre psychisme.
L’étude nourrit notre curiosité, celle-ci est désaltérée par la pratique de la
méditation et réchauffée par le soleil des moyens habiles de Rinpoché. L’arbre
de notre intuition grandit et des aperçus de la nature de l’espace des
phénomènes fleurissent.<br />
<br />
Peut-on imaginer meilleur théâtre ?</span></span><span lang="FR"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<br />
par Andy Karr, contribution au volume collectif <i>Recalling Chögyam Trungpa</i>, non publié en français</div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-33237200394638973172015-05-12T23:12:00.000+02:002020-02-24T16:10:27.713+01:00Les choses comme elles sont. Une initiation au bouddhisme ordinaire<style>
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<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<span style="font-size: small;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgBr7twXBh2UWcJMDai2UXW-h4bXFtWpfSvrZNBFpa7HI8hYZVZPJQYZ407XW210LT70Oj_83vTW6MeMz6BrRhnKdxPtNCk5GuulGgqtbH-dAlq0U6Qe2GR5NJipko1rx3SOothxzmXraTa/s1600/Herve%CC%81+Clerc.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgBr7twXBh2UWcJMDai2UXW-h4bXFtWpfSvrZNBFpa7HI8hYZVZPJQYZ407XW210LT70Oj_83vTW6MeMz6BrRhnKdxPtNCk5GuulGgqtbH-dAlq0U6Qe2GR5NJipko1rx3SOothxzmXraTa/s320/Herve%CC%81+Clerc.jpg" width="194" /></a></span></div>
<div class="MsoNormal" style="margin-right: -21.3pt; mso-layout-grid-align: none; mso-pagination: none; text-align: justify; text-autospace: none; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: small;"><i><span style="mso-fareast-language: JA;"><br /></span></i></span></div>
<div align="right" class="MsoNormal" style="margin-right: -21.3pt; mso-layout-grid-align: none; mso-pagination: none; text-align: right; text-autospace: none;">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
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<br />
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Pour
Louis-Basile</span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;"><i>« Le
tout est de se tenir dans l’ordinaire, et sans affaires : </i></span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;"><i>chier
et pisser, se vêtir et manger. </i></span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;"><i>Quand
vient la fatigue, je dors ; </i></span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;"><i>le
sot se rit de moi, le sage me connaît. » </i></span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Lin-Tsi</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">La lecture du livre d’introduction au bouddhisme
d’Hervé Clerc <i>Les choses comme elles sont</i>, publié chez Gallimard en
2011, m’a fait connaître un auteur indéniablement honnête, clair et original.
N’étant par chance ni universitaire ni bouddhiste officiel, il n’essaie pas de
couper les cheveux en quatre à la manière des intellectuels, ni de vendre une
certaine idée religieuse de la spiritualité comme le font les gourous de tous
bords. Quel soulagement qu’il s’agisse d’un homme de notre culture et de notre
temps, et non de quelque érudit coupé de son expérience ou d’un lama exotique
retiré du monde. C’est l’œuvre d’un autodidacte issu de mai 68, journaliste de
formation, marié, père de deux enfants. La motivation qui a présidé à
l’écriture de son essai est une expérience de jeunesse, celle du <i>nirvana</i>
ou du <i>satori</i>, de l’éveil libre de tous points de référence, que de
patientes années d’études bouddhiques mèneront à spécifier et circonscrire.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Pour gagner en clarté, son propos pourrait se décliner
en trois volets qui ne sont ni chronologiques ni séparés. Il présente d’abord
cette expérience unique, dans la fraîcheur de son éclosion spontanée, qui me
paraît l’approche la plus innovante du livre, la plus personnelle, la plus
touchante aussi. Puis il expose la vie et la doctrine du Bouddha sur son
versant oriental en se référant aux textes anciens, mettant ainsi en lumière
les idées clefs que sont les quatre nobles vérités, les cinq <i>skandhas</i>,
le karma, ou la pratique de la méditation. Enfin, il ne cesse d’appeler à une
mutation du bouddhisme acclimaté à la modernité occidentale, au-delà des
particularismes culturels. Clerc se présente comme un homme ordinaire à qui il
est arrivé une chose extraordinaire, un « état inouï » : la
vision du nirvana qui lui est tombée dessus un beau jour, sans prévenir.
« Je crois, sur l’expérience centrale du bouddhisme, disposer d’une
information de première main » écrit-il, et il n’y a aucune raison de
mettre cela en doute. Son désir ardent de préserver le bouddhisme comme
tradition vivante du « tout autre », qui découle de ce moment initial
de liberté pure, est le garant de son authenticité. L’avant-dernier chapitre 20
« Rapt » donne le ton de l’expérience, de son effraction totale, de
la brèche qui venait de cet « unique nécessaire ». Clerc s’y montre
sans fard : « Qu’un gamin ignorant, à l’âme poreuse, dont la vie est
en perpétuelle vidange, puisse faire l’expérience du nirvana est une insulte au
sens commun. » Cependant par la suite, et sans doute pour faire appel au
sens commun, sa volonté d’amener à une compréhension du « bouddhisme
ordinaire » n’est pas exempt de parti pris implicites. Nous verrons
ensemble lesquels et discuterons certaines <i>thèses centrales</i> de ce livre
riche d’enseignements, mais notons déjà la difficulté qui est au cœur de ce
travail. Hervé Clerc a connu l’expérience de l’éveil dans sa jeunesse, son
esprit s’est dépassé et libéré lui-même, il a eu un aperçu fulgurant de la
réalisation. Soit. Dès lors l’enjeu de son livre, de sa vie même, sera de
rester fidèle à cet éclair d’illumination, de soutenir l’épreuve qu’est une
telle brèche pure, exempte de temps et d’espace. Il lui faudra pour cela être
des plus exigeants sur la description de l’expérience, sur le travail des
textes et sur la transmission de sa compréhension du bouddhisme vécu. Attention
à tenir ce rythme de la nouveauté jusqu’au bout sans capituler en route, sans
quoi le fait de se replier sur des idées déjà connues fait peser à tout
l’édifice qu’il tente d’ériger le risque de s’écrouler faute de matière assez
solide, assez réelle et personnelle. Alors le point de vue sublime et exalté
que le lecteur pourrait embrasser d’un coup d’œil une fois parvenu au sommet
restera inaccessible. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><b>Une certaine vision de la voie, du nirvana à l’éveil</b></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">La force de l’ouvrage d’Hervé Clerc provient
précisément de sa position de franc-tireur, de pratiquant hors des cadres
institués, d’amateur éclairé qui livre son point de vue par définition
personnel, mais qui ne doit rien à l’esprit de chapelle. Or cela n’est pas si
exact, pour une lecture attentive, puisque le bouddhisme auquel Clerc se
propose de nous initier n’est pas seulement ordinaire, mais surtout ancien.
Qu’est-ce que le bouddhisme ancien ? Celui qui s’est développé en Inde
puis dans toute l’Asie du sud-est et qui s’est lui-même nommé ainsi en réaction
à l’émergence de nouvelles écoles du bouddhisme (dit « <i>mahayana </i>»).
Ce bouddhisme, appelé Theravada (voie des Anciens), a sa source dans ce que
l’on nomme le « canon pali » et se réfère aux paroles du Bouddha
historique lui-même. Il a pour pratique une ascèse spirituelle faite de
renoncement, adossée à une conception morale stricte, et prend pour idéal le
sage détaché du monde d’errance que représente le <i>samsara</i>, afin
d’atteindre à la paix du <i>nirvana</i>. Force est de constater que tel sera le
point de vue de l’auteur, dont les sources livresques majeures sont issues du
canon pali. Avant de débattre de son bien-fondé et l’opposer à d’autres
courants, il faut en prendre acte car la vision du but à atteindre sur la voie
diffère selon chaque école. Et pour Hervé Clerc, l’enjeu est clair : c’est
<i>nirvana</i>, l’extinction du mal-être, l’état bienheureux de quiétude qui
gît au-delà des peines. Ce serait cela, le fin mot de l’enseignement du
Bouddha, sa réalisation ultime, celle qu’il montra aux premiers disciples et
que les hommes essaient d’accomplir à leur tour depuis plus de 2500 ans. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Ainsi pour le Theravada, l’idéal du sage ayant réalisé
le chemin est l’<i>arhat</i>, celui qui s’est détaché des entraves, le
vainqueur des poisons de l’esprit que sont l’attraction, l’aversion, l’illusion.
Vaste programme ! Il n’y a là nulle ironie, ce but est très noble et c’est
celui que défend Clerc quand il écrit : « le bouddhisme a pour
origine et fin le nirvana, chaque bouddhiste espère, un jour ou l’autre, dans
cette vie ou dans une autre (plutôt dans une autre), réaliser ce qui se cache
sous ce mot. » Passons sur la croyance en la renaissance, mal interprétée
en Occident. Notons cependant un point problématique. Cet enjeu du chemin
bouddhiste s’oppose à un autre, ou plutôt le limite et le rend même inapparent,
celui d’atteindre non plus à l’extinction (<i>nirvana</i> ou <i>nirodha</i>)
mais de pousser la recherche spirituelle jusqu’à ses dernières limites :
l’éveil (<i>bodhi</i>). Or le Bouddha explicite bel et bien l’éveil et non la
quête dualiste du nirvana comme le fin mot de son enseignement, dans le canon
sanscrit cette fois, reconnu par les écoles mahayana, ce courant qui va du
ch’an chinois au zen japonais, jusqu’au tantra indo-tibétain. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">La différence est de taille. Clerc lui-même est
sensible à cette distinction entre <i>nirvana</i> et <i>bodhi</i>, mais pour
rabattre ensuite la seconde sur la première. Alors que l’éveil serait presque
comme le versant positif de ce qui est présenté négativement comme voie de
soustraction, d’abandon, de retrait, de repli, voire de méfiance envers la
manifestation du monde qui peut se dégager d’une conception étroite de nirvana.
L’extinction de la soif mentale que prône le bouddhisme ancien, rencontré il y
a plusieurs siècles par les missionnaires chrétiens, les a à la fois séduit par
sa rigueur morale exempte de toute frivolité devant l’effroi de la vie, et dans
le même temps a contribué par mécompréhension totale à faire admettre le
bouddhisme en Occident comme un avatar du nihilisme. Après quoi il sera facile
pour les protestants puis des penseurs comme Schopenauer ou même Freud, de
dénoncer dans ce « bouddhisme » revisité la recherche aveugle d’une
fin définitive à la souffrance, cette quête mortifère reposant sur une haine de
la vie n’ayant d’égal que la faiblesse de l’homme à y faire face. Bien sûr
Hervé Clerc est plus fin que cela, et il arrive après deux siècles d’erreur, ce
qui lui permet de ne pas tomber dans ce piège assez grossier où l’Occident
projette sa dégénérescence sur l’Orient. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Cependant sa vision de la sagesse, du but du chemin
comme nirvana et de la glorification du sage <i>arhat</i> délivré de toute
illusion, peut s’avérer partiale. Sur un point précis, elle est même égarante.
C’est le titre du chapitre 10 qui nous en donne l’indice : « Le sage,
cet insulaire ». Tel est le souhait manifeste de l’auteur, qu’il prête
comme intention première du Bouddha lorsqu’il enseigne de « se faire une
île avec son soi (<i>attadipa</i>) ». Cette position est celle imputée au
Theravada, voie de sagesse qui tendrait à se confondre avec le stoïcisme
antique. Clerc prend ici une certaine traduction de la phrase du Bouddha
recueillie dans le canon pali, en jouant sur l’homonymie du mot « <i>dipa </i>»
qui possède les deux sens distincts d’île et de lampe. Ainsi plutôt que de lire
« devenir pour soi une île » il est possible d’entendre « soyez
à vous-même votre propre lampe ». Or que fait une lampe ? Elle
brille, elle éclaire, elle illumine, elle est la clarté même : cette
qualité qui permet d’être clairvoyant est celle de <i>bodhi</i>, l’éveil,
l’esprit éveillé. Toutes les écoles du mahayana mettront l’accent sur la
lumière naturelle de l’esprit, et non sur la construction illusoire d’une île à
l’abri du malheur, de l’erreur, du samsara. En effet, quelle spiritualité
authentique pourrait se targuer d’avoir comme finalité une telle
isolation du monde ? Thomas Merton a déjà opposé à cette vision
insulaire le titre de son fameux ouvrage qui sonne comme une provocation à
l’ouverture : « Nul n’est une île ». C’est dit. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Comment se fait-il que le libre-penseur Hervé Clerc reste
prisonnier d’une telle conception étroite, bloqué à mi-chemin de son propre
élan ? Le lecteur ne peut qu’en rester dérouté, car dans ce chapitre il
indique pourtant bien qu’il s’agit là d’une étape préparatoire à la vision des
« choses comme elles sont ». Il s’appuie sur la célèbre parole d’un
maître zen : « Avant qu’un homme étudie le zen, les montagnes sont
pour lui des montagnes et les eaux sont des eaux. Lorsque, grâce aux
enseignements, il a réalisé une vision intérieure de la vérité du zen, les montagnes
pour lui ne sont plus des montagnes et les eaux ne sont plus des eaux. Mais
après cela, lorsqu’il parvient au repos, de nouveau les montagnes sont des
montagnes et les eaux sont des eaux. » A la suite de cette parabole
indiquant pourtant un dépassement, Clerc commente : « Celui qui ne
voit plus les montagnes comme des montagnes, et l’eau comme de l’eau, n’est pas
dans son assiette. Il ne connaît pas les ficelles. Il n’est pas liant. Il se
tient au milieu du gué. Dans ce lieu étroit, ce détroit, nombreuses sont les
pensées qu’il ne pense pas, les recherches qu’il n’effectue pas, les mots qu’il
ne prononce pas, les actes qu’il n’accomplit pas, les tiroirs qu’il n’ouvre
pas. Il coupe court. Il se tient en réserve, recueilli, dans son île à lui. »
(p. 109-110). Donc il est évident à l’auteur même que se tenir ainsi en réserve
tel un indien encerclé par l’ennemi n’est pas le passage du gué, la traversée
vers la rive du réel.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Ce saut pour rejoindre la rive ordinaire où les choses
retrouvent leur juste place, ou plutôt ce départ vers le grand large (car le
fleuve est en fait un océan), personne ne prétendra qu’il est facile. Simple
comme tout, d’accord, néanmoins des plus difficiles. C’est le propos des écoles
mahayana d’inviter le pratiquant à oser se lancer à l’aventure, appel à prendre
le large signifié par le célèbre mantra du Sutra du Cœur : <i>Om gate gate
paragate parasamgate bodhi svaha</i>. Une traduction libre et fidèle quant au
sens pourrait le rendre par : « Ouvert, allé, en-allé, allé par-delà,
ayant complètement traversé jusqu’à l’autre rive, ainsi est l’éveil ». On
ne saurait mieux dire, note Clerc, laconique. Cette formulation, précise-t-il,
n’est pas tant un mantra qu’un résumé, il récapitule les quatre-vingt-quatre
mille enseignements du Bouddha. C’est vraiment le mot de la fin. Le sachant, il
n’est plus possible de s’en tenir à nirvana comme au but du chemin, qui a pour
fin dernière l’éveil. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><b>Une nécessaire retraduction </b></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Une question cruciale qui se pose en filigrane est la
suivante : le problème de la traduction n’est-il pas de la plus extrême
importance lorsque la pensée qu’il s’agit de rendre dans la langue française
n’est pas occidentale ? Non pas connue depuis des siècles, mais
fraîchement découverte, souvent inaccessible à une lecture autre
qu’hyper-érudite puisque, après tout, les sanscritistes éclairés ne courent pas
les rues ? La tradition bouddhique risque d’être vite recouverte par nos
projections et nos idées à son égard si nous n’y prenons pas garde. Et ce, que
l’on soit ou non spécialiste, dès qu’on se mêle de lire, écrire, parler du
bouddhisme : il est de première nécessité de peser les termes et
d’entendre leur résonnance à la fois dans notre langue et dans notre
expérience. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Hervé Clerc nourrit un véritable intérêt pour les textes
et leur exégèse. Il cite le canon bouddhiste ancien, avec ses termes pali et
sanscrit, et s’astreint à un véritable travail d’érudition. Un glossaire
« sur quelques enseignements » vient compléter son ouvrage, s’avérant
bien utile pour se familiariser avec la myriade de notions structurées et
subtiles du Theravada. Clerc s’appuie sur le bouddhisme indien dans son
attention scrupuleuse aux listes d’enseignements et son texte y gagne en
clarté, et facilite notre compréhension des notions abordées. Il rapproche par
ailleurs son souci de mieux dire pour mieux comprendre de la cure
psychanalytique pour laquelle « seules les choses non nommées, non
dénombrées, aux caractères flous et obscurs, constituent des menaces pour
l’homme et son intégrité. » Que soit ainsi rappelé un principe central de
l’analyse n’est certes pas pour déplaire au thérapeute que je suis. Néanmoins
un tel lien posé comme une évidence non discutée interroge. Clerc articule-t-il
son travail à un passage par la psychanalyse pour favoriser une entente
occidentale de l’esprit, et proposer un langage qui nous parle plus directement
à nous, Occidentaux du XXI<sup>e</sup> siècle ? Ou faut-il y voir un
manque de constance dans son souci premier de la langue, cette langue du
bouddhisme dont elle seule est à même de transmettre et de faire apparaître
réellement le phénomène en question ? </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Puisqu’il semble admis par l’auteur que la langue
préserve un rapport ouvert au monde dévoilé par le bouddhisme, qui l’empêche de
retomber dans ces <i>a priori</i> qui referment tout, dès lors la moindre des
choses serait d’avoir un égard tout particulier pour la lettre, le mot, le sens
étymologique des mots. Or il lui arrive de déroger à cette règle de base.
Parfois dans un souci de légèreté qui fait la fluidité de son style, car le
recourt massif au pali peut certes s’avérer indigeste dans un texte français.
Parfois par paresse intellectuelle, comme lorsqu’il note négligemment au détour
d’une citation « traduction contestée », sans en proposer de
meilleure. A sa décharge, sur ce point, il est loin d’être seul, car les
traducteurs de métier eux-mêmes ne font pas forcément leur travail jusqu’au
bout et, Clerc n’est spécialiste ni en langues orientales ni en religions
comparées. Cependant, lui aussi entend qu’une traduction est fautive et la
laisse en l’état, par respect aveugle d’une tradition déjà établie. Cette
précaution chez quelqu’un qui s’empoigne assez librement avec les textes est
décevante. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Je vous propose ici une incursion hors du monde
bouddhiste, qui n’est pas une digression linguistique loin de notre sujet. Il
est essentiel pour notre propos de voir comment la traduction d’un terme grec
ancien, en passant par le latin, puis le français, le rend parfaitement <i>inaudible
quant au sens qu’il avait pour ceux qui l’ont employé</i>. Prenons donc une
traduction solide d’Aristote, comme celle que nous devons au philosophe
Philippe Arjakovsky. Dans sa préface au livre VI de <i>L’éthique à Nicomaque</i>
(Pocket, Agora, 2007), il écrit : « Nous sommes donc parti de l’idée
que le véritable travail <i>contemporain</i> de <i>re</i>traduction des textes
d’Aristote n’avait pas commencé. Pour qu’il puisse commencer, il faut
d’abord comprendre dans quelle mesure toute traduction contemporaine d’Aristote
doit accepter d’être provisoire. » En ce sens, il est par exemple
profondément égarant de se limiter, avec tous les traducteurs français depuis
des générations, à rendre le terme grec <i>arétè</i> par « vertu ».
Arjakovsky quant à lui propose le mot d’« excellence ». La distinction
entre vertu et excellence ne repose pas sur un jeu conceptuel ; elle est
perceptible à l’oreille. Il est possible de louer l’excellence d’une chose,
l’excellence de tel cheval qui galope avec fougue, de tel général qui dirige
une bataille de main de maître, de tel artisan occupé à tourner un barreau de
chaise avec tout l’art requis, l’excellence même du voleur habile qui passe
inaperçu. Cela n’a rien à voir avec l’entente romaine de la « vertu »
en son sens moralement viril. On ne parlera jamais de la vertu du cheval,
encore moins de la vertu du voleur, autrement que pour signaler leur absence de
vice. Or il s’agit de l’accomplissement de leur être, la pleine manifestation
de ce qu’ils sont, la perfection aboutie, et non de leurs qualités morales. Lire
ainsi éclaire.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Une très heureuse trouvaille de traduction montre que
le travail peut être accompli avec de la patience face aux textes et une
entente du sens profond des mots. Voici l’intégralité de la page 91 où
Hervé Clerc donne une interprétation du mot samsara, qui pourrait faire date
dans la réception de cette notion bouddhique en Occident :</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">« <i>Samsara</i> désigne, comme je l’ai déjà dit,
l’errance. Le mot latin <i>error</i> désigne à la fois l’errance et l’erreur.
L’erreur est la respiration de l’errance. Dans le samsara, l’homme produit des
erreurs à tour de bras. Il erre comme il respire. Errer, pourrait-on dire, est
sa façon de respirer. Il ne se trouve pas dans l’errance « par
accident », ainsi que l’observe Heidegger dans une conférence intitulée <i>L’essence
de la vérité</i>. Il y est par nature, par <i>essence</i>, et cet errant est
d’autant plus embourbé dans l’errance qu’il n’a pas conscience d’y être. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">S’il le sait, tant mieux : l’homme, ce déviant <i>par
essence</i>, entre en défiance de lui-même. Du coup, il erre moins, dévie
moins. C’est une ancienne règle : un fou qui sait qu’il est fou est moins
fou qu’un fou qui ne sait pas qu’il est fou (<i>Dhammapada, 63</i>). </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Pour rendre l’allemand <i>die Irre</i> (l’errance),
François Fédier, traducteur de Heidegger, propose le mot « erroire ».
C’est une traduction possible du mot <i>samsara</i>. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">L’homme tourne dans un erroire. Depuis quand, il n’en
a aucune idée. Où il va, il ne le sait pas non plus. La mort, il ne sait pas ce
que c’est, la vie non plus. Sa vision est obscure, courte, brouillée, faussée,
voilée. Il voit 1) le beau où est le laid ; 2) le plaisir où est la
douleur ; 3) le moi où il n’y a pas de moi ; 4) la stabilité où il y
a l’impermanence. Ces quatre grandes « distorsions » de la vision le
constituent dans sa nature de créature errante ». </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Le recours à François Fédier pour rendre <i>samsara</i>
par « erroire » ne manquera pas d’en réjouir certains, auxquels je me
joins, par reconnaissance envers le travail de pointe du traducteur d’<i>Acheminement
vers la parole</i> et des <i>Apports à la philosophie</i>. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><b>Méditation, phénoménologie, expérience</b></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">La présence de Martin Heidegger dans ce livre est
aussi discrète qu’insistante. La proximité est en effet frappante entre ce
penseur majeur de l’Occident du XX<sup>e</sup> siècle et le mode oriental
d’approche des phénomènes. C’est pour cela que Clerc se réfère à la
phénoménologie dont le mot d’ordre est, selon Husserl, « droit à la chose
même » et, d’après Heidegger, « voir plutôt que penser », car c’est
là tout ce qui intéresse ceux qui marchent dans les pas du Bouddha. C’est à
juste titre qu’il y trouve une des meilleures définitions de la méditation qui
soit : « Ouvrir les yeux sur la chose même, la voir dans sa nudité,
posée, comme elle se donne à voir, sans écran, sans ego, voilà la méditation,
voilà le bouddhisme (voilà la phénoménologie ?) ». </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Trois chapitres au moins sont dédiés à présenter la
pratique de la méditation, cœur du chemin bouddhiste, auxquels je renvoie le
lecteur : le chapitre 11 intitulé « Garder le fil », le 17
« La chambre claire », le 18 « Conscience de derrière ».
Pour parler de méditation, Clerc se réfère principalement au <i>Discours sur
l’établissement de l’attention</i> (<i>Satipatthana sutta</i>), l’un des sutras
les plus vénérés du canon pali. Dans ce sutra est décrit l’élément central de
toute pratique du développement de l’attention (<i>shamatha</i>, poser
l’esprit), ce qu’on entend généralement par méditation. Ce fil qui court à
travers la vie comme une trame et peut en transformer le motif, est <i>sati</i>.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">« <i>Sati</i>, mot clef du bouddhisme, désigne
l’attention, la vigilance, la présence d’esprit, mais aussi une capacité de
mémorisation et de reconnaissance » note Clerc, en jouant sur la polysémie
de ce terme autour duquel toutes les pratiques se déclinent. « Si le
bouddhisme était une religion, ce serait une religion de l’attention »
ajoute-t-il afin de mieux enfoncer le clou. Seuls l’apprentissage et le
maintien de l’attention permettent au pratiquant d’avancer sur sa voie. Encore
une fois, le bouddhisme ne dépend donc pas d’une révélation divine ou de
l’obéissance aux croyances et aux préceptes, mais se constitue tout entier
comme observation participante de son propre esprit à même la vie quotidienne.
Le pratiquant « sait où il est », pour reprendre cette formule
qu’Hervé Clerc emprunte à son ami l’écrivain Emmanuel Carrère. De fait, la
méditation mène à cette acuité à la fois sereine et pleine d’ardeur d’une
vision désobstruée de la réalité. « Méditer c’est quand l’esprit sans
obstacle rencontre le monde sans obstacle. » C’est l’une des belles
définitions que propose l’auteur, et qui vaut pour le regard phénoménologique
aussi bien que pour la présence attentive du méditant. Ainsi le pouvoir de
« reposer dans l’être » serait l’essence de la méditation, nous assure
Clerc. Encore une belle définition, qui désarme par son apparente simplicité et
implique d’importants débouchés philosophiques. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">« Le bouddhisme est avant tout affaire
d’expérience. Il a commencé à péricliter quand les savants et les érudits ont
pris le pas sur ceux qui prennent le risque d’aller voir. » écrit
Hervé Clerc dans une note incisive qui vise juste. S’interrogeant sur
l’alternance de la vie et de la mort dans le cycle de l’existence, il note
encore : « Comme toutes les grandes vérités bouddhiques, celle-ci
relève de la méditation et de l’expérience. » La méditation,
« voir » les phénomènes, le repos dans l’être, cela qui fait
l’essentiel d’une vie humaine accomplie est, avant tout, affaire d’expérience.
Il s’agit de connaître intimement la vie humaine, par soi-même, non pas comme
un objet extérieur observé de l’intérieur par un sujet. L’abolition du dualisme
entre moi et le monde, que signent les expressions « sans écran, sans ego,
sans obstacle », est la porte d’entrée vers une connaissance directe que
le bouddhisme a nommé <i>prajna</i>, l’intuition première, la connaissance <i>a
priori</i>, la vue claire. La méditation y débouche, que ce soit celle sur la
respiration, ou sur la marche, que détaille Clerc ; mais chose étonnante
pour nous autres Occidentaux, dit-il, c’est aussi le cas de celle sur l’amour.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Un passage phare du livre éclaire cette pratique
méconnue, indissociable de la présence attentive depuis les commencements du
bouddhisme, et qui est exposée dans le très ancien <i>Metta sutta</i> (sutra
sur l’amour bienveillant). La vue directe et claire de la sagesse est avant
tout, pour le Bouddha, intelligence du cœur. Non seulement l’homme aimant a
choisi « la plus noble façon de vivre », mais c’est par l’amour
seulement qu’on connaît quoi que soit. Nous retrouvons ici l’idée exprimée par
Confucius lorsqu’il déclare « Celui qui sait une chose ne vaut pas celui
qui l’aime. » Tout bonnement parce que celui qui l’aime <i>englobe</i> en
lui la connaissance et la préserve dans l’amour. Voilà une vérité d’expérience
pour le moins percutante.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><b>Une liberté de ton non religieuse</b></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">« Je ne cherche pas de maître. Je ne crois pas
beaucoup aux maîtres, ni par voie de conséquence aux disciples, seulement aux
rencontres. » En héritier de mai 68, Hervé Clerc défend la libre-pensée
dans laquelle il semble voir la vertu, ou plutôt l’excellence fondamentale du
bouddhisme ancien et de celui, moderne et ordinaire, qu’il appelle de ses vœux.
Ce qui chez lui est une faiblesse devient aussi une force. Le fait de ne pas
avoir de maître – et devenir disciple est avant tout affaire de rencontre avec
le maître qui vous parle enfin pour de bon – présente une certaine chance,
celle de rester non-affilié et en quête permanente. Cela peut aussi bien
dériver sur le risque de s’arrêter en cours de route, d’en rester à ses propres
limites et de trouver dans le bouddhisme ce qu’on y cherche, mais aussi ce
qu’on y apporte. Le danger est toujours présent de ne voir qu’à sa manière,
selon sa tendance et ses penchants névrotiques, et non d’atteindre « les
choses comme elles sont ». </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Cependant l’intérêt majeur du livre d’Hervé Clerc
tient à ce parti pris de n’exposer que ses croyances quant au chemin et sa
compréhension personnelle des paroles du Bouddha. En cela il se montre
parfaitement fidèle à l’adage canonique selon lequel il faut marteler toute
pensée tel de l’or pour en éprouver la pureté, qu’il ne faut accepter aucun
principe par argument d’autorité qui n’ait pas été vécu et intégré dans sa
propre pratique. Clerc s’étonne, et il y a de quoi, qu’une religion se soit
fondée à la suite d’un homme qui énonce des vérités tout en mettant en garde de
ne rien croire. Aux habitants du royaume de Kosala, le Bouddha n’a-t-il pas
dit : « Pensez par vous-mêmes. Voyez par vous-mêmes. Soyez à
vous-même votre propre maître. » La célèbre maxime zen « tuez le
bouddha » va en ce sens. Rien n’est acquis, tout reste à découvrir.
« Un bouddhiste ne croit pas, il voit. Et quand il ne voit pas, il attend
de voir, patiemment. » L’examen, l’étude, l’analyse, la compréhension
intime, la réalisation directe de l’esprit et de ses mécanismes d’aveuglement,
voilà ce qui fait le cœur de la voie (<i>magga</i>) offerte par le bouddhisme
ordinaire, qui désire voir les choses comme elles sont. Cet appel à une plus
grande lucidité dans notre condition humaine, sans jamais la renier par
l’exhortation à la dépasser, traverse tout le livre. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Il est évident qu’Hervé Clerc a trop souffert de
courir après un rêve insensé, la chimère de ne plus être humain, pour ne pas
mettre son lecteur en garde. Les périls sont nombreux sur la voie – qui
traverse de part en part l’<i>erroire</i> auquel nous appartenons de naissance.
L’essentiel n’est pas le but, mais le chemin. C’est pourquoi il est possible de
trouver chez lui une invitation à se mettre en route afin de savoir, pour et
par soi-même, répondre à la question posée par l’existence : qu’est-ce que
je fais là ? La question anodine prend des proportions cosmiques lorsqu’il
s’agit d’y répondre pour de bon. Elle peut verser dans ce que Clerc a vécu, la
« nostalgie dévorante » de l’aperçu du nirvana. Elle peut également
nourrir la recherche d’une vie entière, comme son exemple le prouve. Un immense
souffle porte bien des êtres sur la voie bouddhique. Néanmoins agir en véritable
« bouddhiste » exige le courage digne d’un « héros pour
l’éveil » – rappelons que le Bouddha appartenait par sa naissance à un
clan guerrier, non à la paisible caste religieuse des brahmanes. Cela indique
assez clairement, pour ceux que l’aventure tente, ce qu’il en est :
« Le <i>combat spirituel</i> est aussi brutal que la bataille
d’hommes », dit Arthur Rimbaud.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Cet air du grand large insuffle au livre son accent
sincère et libre, et lui évite d’étouffer dans les relents du moralisme qui
accompagne généralement la spiritualité. Les conseils spirituels pour mener une
vie meilleure font florès à notre époque, sous le slogan global de
l’utilitarisme ambiant. « Le bouddhisme pour aller mieux » a sans
doute de beaux jours devant sa boutique. Le confort du bien-être n’est pas la
question pour celui qui se met en chemin, mais la réalisation de ce que le zen
nomme « la Grande Affaire » de la vie et de la mort. Hervé Clerc en
est parfaitement conscient, lui pour qui la recherche de la voie n’a jamais été
rien d’autre qu’une nécessité vitale absolue depuis le plus jeune âge.
Néanmoins, puisqu’il propose son parcours et sa vision à notre esprit critique,
faisons une remarque de plus. Le danger existe de réduire la voie de
l’ouverture et du sans-demeure qu’est le bouddhisme a une tendance religieuse
parmi les autres. Clerc s’en garde bien, la plupart du temps, mais parfois est
rattrapé par son éducation chrétienne manifestement profonde. Mais qui
aujourd’hui, en Occident, est quitte du christianisme et de la rengaine du « monotonothéisme »
dénoncé par Nietzsche ?</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Utiliser le terme de « créature » pour
parler de l’homme égaré alors que le bouddhisme s’est fondé en niant
expressément toute idée de créationnisme, ou interpréter la figure du
bodhisattva comme un dieu semblent des déviations légères, alors qu’elles
déplacent l’accent très loin du curseur non-théiste, ni croyant ni athée, du
bouddhisme originel. Par exemple lorsque nous lisons que le bodhisattva de la
compassion Avalokiteshvara « est appelé ‘<i>le Seigneur qui voit en dedans</i>’
(et que l’on peut voir au dedans de soi), comme le Père de l’Evangile, <i>qui
voit dans le secret</i> » le glissement sémantique semble presque évident,
mais il n’en est rien. Le nom de « seigneur qui regarde (vers le
bas) » ne désigne pas un créateur ayant souci de ses enfants qu’il connaît
de l’intérieur pour les avoir faits à son image, mais évoque plutôt la présence
qui prend soin de ce qui requiert ses soins, considère la peine humaine avec
bienveillance, soulage tous les êtres souffrants avec le même désir où qu’ils
se trouvent. Avalokiteshvara n’est pas un dieu pour les bouddhistes mahayana,
ni une personnification intérieure, mais la <i>qualité</i> vivante de la
compassion et de l’amour dont nous avons parlé plus haut, son atmosphère, sa
perfection, que le pratiquant éveille en lui. C’est la présence même du cœur
aimant qui voit la douleur sans écran et y répond sans obstacle. Chaque fois
qu’un geste est fait ou une parole prononcée à partir de ce lieu-là, de cet
espace ouvert du cœur, le bodhisattva se manifeste. Son existence n’est jamais
en dehors du monde, elle en est l’un des visages les plus nobles, que chacun
revêt à son tour. Cette entente de la divinité comme accomplissement de
présence éloigne tout autant le bouddhisme du christianisme qu’elle le rapproche
du monde grec. Dans la haute Antiquité, le dieu est le visage de l’excellence
de toute chose manifestée dans son plein éclat, la parure spirituelle qui
couronne la nature et gouverne l’œuvre des hommes. Lire <i>Les dieux de la
Grèce</i> de Walter Otto s’avère plus important pour parvenir à une
compréhension vécue du phénomène divin que se plonger dans la lecture,
merveilleuse par ailleurs, des Evangiles.</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;">Car lorsque Clerc utilise l’image évangélique
« Que ta main droite ignore ce que fais ta main gauche » pour
expliquer la qualité du don (<i>dana</i>), là encore il peut s’agir d’un
éclaircissement par des paroles reconnues dans notre culture et qui y font
sens ; ou d’un rabattement de l’inconnu du bouddhisme au déjà-connu du
christianisme dont les perspectives, notamment sur la vertu cardinale de
charité, n’ont rien en commun. Confronter le bouddhisme originel à notre monde
moderne pour donner naissance à un bouddhisme ordinaire nécessitera, pour tâche
préalable indispensable, de le repenser en-dehors du cadre philosophique et
religieux qui est le nôtre et qui continue d’agir malgré nous, à notre insu. De
rendre nos présupposés culturels apparents. Alors seulement il sera libéré des
dogmes et enfin vécu en lui-même. Le chemin du Bouddha tel quel, pur, sans
ajouts extérieurs qui le défigurent. </span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><i>Les choses comme elles sont. Une initiation au
bouddhisme ordinaire</i> est un ouvrage
que je recommande, vous l’aurez compris. C’est un des rares ouvrages français
dont l’approche soit originale et féconde, il entraîne de nombreuses réflexions
et amène à renouveler notre regard sur la pratique de la méditation. Seul un
examen critique lui permettra (comme à toute expérience et toute lecture dans
l’horizon bouddhiste) de remplir son usage avoué : exercer l’œil de
l’esprit afin de connaître l’esprit. Alors le rêve est permis, atteindre la
libération, le <i>nirvana</i>, cette « histoire de fous », cette
« félicité inouïe », authentique sagesse qui est folie aux yeux du
monde. Laissons au maître chinois de la folle sagesse Lin-Tsi le mot de la
fin, qui ne clôt rien : « Le tout est de se tenir dans l’ordinaire,
et sans affaires : chier et pisser, se vêtir et manger. Quand vient la
fatigue, je dors ; le sot se rit de moi, le sage me connaît. »</span></div>
<div style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<br />
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">N.D.</span> </div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">18-24
avril 2015</span></div>
<div align="right" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Paris/Saint
Erme</span></div>
<div class="MsoNormal">
<span style="font-size: small;"><br /></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-34000802745684630552014-11-13T20:45:00.000+01:002020-02-24T14:23:14.091+01:00La Rencontre de la Psychologie Occidentale et de la Psychologie Bouddhiste<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnCHWUok-9zzf0KTOlK12AP0rE0Dl2WSjplGXr6EN8cVTr-Smji-GkarI-WPahUj2f_q2g_XzBm1WC9U9gFfVAY8OLZWijE6Md0w1l7BB6joi1CrlN7PombKeMoPZjs_GkM6l8bogcWH8C/s1600/The+sanity+we+are+born+with.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjnCHWUok-9zzf0KTOlK12AP0rE0Dl2WSjplGXr6EN8cVTr-Smji-GkarI-WPahUj2f_q2g_XzBm1WC9U9gFfVAY8OLZWijE6Md0w1l7BB6joi1CrlN7PombKeMoPZjs_GkM6l8bogcWH8C/s320/The+sanity+we+are+born+with.png" width="215" /></a></div>
<h3>
<span style="font-size: large;">Par Chögyam Trungpa </span></h3>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><i>Ce que le bouddhisme a vraiment à apprendre au psychologue occidental, c’est la manière de se relier plus étroitement à sa propre expérience et à la fraîcheur, à l’entièreté et à l’immédiateté de cette expérience.</i><br /> </span></div>
<h4>
<span style="font-size: large;">L’expérience directe et la théorie</span></h4>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La psychologie bouddhiste traditionnelle souligne l’importance de l’expérience directe dans le travail psychologique. Si l’on compte uniquement sur la théorie, quelque chose de fondamental est perdu. Du point de vue bouddhiste, l’étude de la théorie est seulement un premier pas. Elle doit être complétée par un entraînement à l’expérience directe de l’esprit lui-même, en soi et chez les autres.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Dans la tradition bouddhiste, cet aspect expérientiel est développé par la pratique de la méditation, observation immédiate de l’esprit. La méditation dans le bouddhisme n’est pas une pratique religieuse mais plutôt une façon de clarifier la véritable nature de l’esprit et de l’expérience. Traditionnellement, l’entraînement à la méditation comporte trois parties : <i>shila</i> (la discipline), <i>samadhi</i> (la pratique de la méditation) et <i>prajna</i> (la connaissance intuitive).</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Shila (la discipline) consiste à simplifier sa vie en général et à éliminer les complications inutiles. Pour développer une discipline mentale authentique, il est d’abord nécessaire de voir comment nous nous chargeons continuellement du poids d’activités et de préoccupations superflues. Dans le contexte occidentale séculier, shila implique le fait de cultiver une attitude de simplicité à l'égard de sa vie en général. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Ensuite, il y a samadhi, la méditation, qui est le cœur de l’entraînement expérientiel bouddhiste. Cette pratique consiste à s’asseoir et à porter une attention légère mais consciente au souffle, et ensuite à noter lorsque votre attention n’est plus sur le souffle et donc à l’y ramener comme à un point de repère. On prend une attitude d'attention nue envers les différents phénomènes tels que les pensées, les sensations et les sentiments qui s’élèvent dans l’esprit et dans le corps pendant la pratique. On peut dire que la méditation est un chemin nous menant à l’amitié envers nous-mêmes, car il s</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>agit d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>une expérience de non-agression. En fait, traditionnellement, la pratique de la méditation est appelée « demeurer en paix ». La pratique de la méditation est un chemin permettant de faire une expérience fondamentale de notre être même, au-delà de nos schémas de fonctionnements habituels.
</span><br />
<br />
<span style="font-size: large;">Shila est la base de la méditation et samadhi est le chemin de la pratique. Le fruit en est prajna, ou la connaissance intuitive. Elle commence à se développer grâce à la méditation. Dans l’expérience de prajna, la personne perçoit directement et concrètement comment l’esprit fonctionne réellement, ses mécanismes et ses réflexes à chaque instant. Prajna est traditionnellement appelée la vision discriminante, ce qui ne signifie pas que l’on développe de préférences. Prajna est plutôt la connaissance de son propre monde et de son propre esprit sans aucun préjugé. Prajna discrimine en ce sens qu’elle distingue la confusion et la névrose.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Prajna est une vision immédiate et non-conceptuelle et en même temps, elle donne la première impulsion qui nous inspire pour l’étude intellectuelle. Lorsque quelqu’un a vu comment fonctionne vraiment son propre esprit, il a un désir naturel de clarifier et de mettre en mots ce dont il a fait l’expérience. Cette curiosité est spontanée : comment d’autres personnes ont-elles parlé de la nature de l’esprit ? La connaissance immédiate mène à l’étude mais en même temps, il est nécessaire de maintenir une discipline permanente, un entraînement à la méditation de façon à ce que les concepts ne deviennent jamais uniquement des concepts. Le travail psychologique reste alors vivant, frais et bien enraciné.</span><br />
<br />
<span style="font-size: large;">Dans la civilisation bouddhiste du Tibet, où je suis né et ai été élevé, un équilibre était toujours maintenu entre la familiarisation avec l’expérience et la théorie. Dans ma propre éducation, on allouait une partie du temps à l’étude et l’autre à la pratique de la méditation. Cela faisait partie de la tradition bouddhiste, où nous pensions qu’un tel équilibre était nécessaire pour qu’un véritable apprentissage ait lieu. Lorsque je suis arrivé en Occident pour étudier à Oxford, en 1963, je fus assez surpris de découvrir qu’en psychologie l’accent est tellement mis sur la théorie au détriment de l’expérience. Bien sûr cela rend la psychologie occidentale immédiatement accessible pour quelqu’un issu d’une autre culture, comme c’était mon cas. Les psychologues occidentaux ne vous demandent pas de pratiquer, mais vous décortiquent leur discipline de A à Z. Une telle approche sans détours fut pour moi un soulagement. D’un autre côté, je m’interrogeais sur la profondeur d’une tradition qui se repose si lourdement sur les concepts et vous ouvre ses portes si facilement. <br /><br />D’autre part, les psychologues occidentaux semblent reconnaître intuitivement la nécessité de mettre l’emphase sur l’expérience directe de l’esprit. C’est peut-être ce qui pousse tant de psychologues à s’intéresser au bouddhisme. Ces personnes ont l’air d’y chercher ce qui manque dans leurs propres traditions. Cela me frappe, mais cet intérêt est tout à fait approprié. Dans ce sens, le bouddhisme a quelque chose d’important à offrir à la psychologie occidentale. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Une question importante revient toujours quand des psychologues occidentaux commencent à étudier le bouddhisme : « Est-ce qu’il faut devenir bouddhiste pour étudier le bouddhisme ? » La réponse est évidemment que non mais on doit aussi se demander en retour : qu’est-ce que l’on veut apprendre ? Ce que le bouddhisme a vraiment à apprendre au psychologue occidental, c’est la manière de se relier plus étroitement à sa propre expérience et à la fraîcheur, à l’entièreté et à l’immédiateté de cette expérience. Pour cela, on n’est pas obligé de devenir bouddhiste mais on doit pratiquer la méditation. Il est certainement possible d’étudier seulement la théorie de la psychologie bouddhiste mais ce serait passer complètement à côté de son propos. Si on ne se base pas sur sa propre expérience, on ne fait qu’interpréter les notions bouddhistes à travers des concepts occidentaux. Une bonne expérience de la méditation enrichit le travail avec soi et avec les autres. C’est une aide très importante quel que soit l’intérêt que l’on porte au bouddhisme en tant que tel.</span><br />
<br />
<span style="font-size: large;">Il est parfois très difficile de faire comprendre aux Occidentaux l’importance de la dimension expérientielle. Lorsque j’ai fondé un premier centre de méditation en Ecosse, peu après mon arrivée d’Inde en Angleterre, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de gens avec des problèmes psychologiques venaient nous demander de l’aide. Ils avaient déjà essayé toutes sortes de thérapies, et nombre d’entre eux étaient assez névrosés. Ils nous considéraient comme des médecins leur apportant une nouvelle technique médicale, et attendaient de nous la guérison. Dans le travail avec ces personnes, je remarquais un obstacle fréquent. Elles voulaient aborder les choses de manière purement théorique, plutôt que de faire pour de bon l’expérience de leurs névroses, afin d’œuvrer avec elles. Ils préféraient les comprendre intellectuellement : à quel moment cela avait mal tourné pour eux, comment leurs problèmes s’étaient développés puis installés, etc. La plupart du temps, ils refusaient d’abandonner cette approche. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">(...)</span></div>
<h4>
<span style="font-size: large;">Le point de vue de la santé</span></h4>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La psychologie bouddhiste est fondée sur la notion que les êtres humains sont fondamentalement bons. Leurs qualités les plus primordiales sont des qualités positives : l’ouverture, l’intelligence et la chaleur. Cette idée prend racine dans l’expérience de la bonté et d’un sentiment de dignité en soi-même et chez les autres. Cette compréhension est vraiment essentielle, elle constitue la source d’inspiration de la pratique et de la psychologie bouddhistes. (...)</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Dans la vision bouddhiste, les problèmes que nous rencontrons sont considérés comme des imperfections passagères et superficielles qui recouvrent notre bonté primordiale. Ce point de vue est positif et optimiste mais, encore une fois, nous devons souligner qu</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>il n’est pas purement conceptuel. Il prend racine dans l’expérience de la méditation et dans la santé qu’elle fait émerger. Il y a des schémas névrotiques habituels mais temporaires qui se développent à partir du passé, toutefois on peut les voir et couper à travers eux.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />L</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>attitude issue de l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>orientation et de la pratique bouddhistes est assez différente de celle supposée par la "mentalité de la faute". L</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>on expérimente pour de bon son esprit comme fondamentalement pur, c</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>est-à-dire sain et positif, et les soi-disant "problèmes" comme des souillures temporaires et superficielles. Un tel point de vue n</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>implique bien sûr pas de se débarrasser des problèmes, mais bien plutôt de déplacer notre attention et pour ainsi dire d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>ouvrir notre focale. Les problèmes sont vus dans le contexte bien plus vaste de la santé : ainsi on commence à relâcher son emprise, son accrochement à sa propre névrose, à dépasser l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>obsession et l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>identification qui s</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>ensuivent. L</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>accent n</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>est plus porté sur les difficultés en tant que telles, mais bien plutôt sur le terrain même de l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>expérience, grâce à la réalisation de la nature de l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>esprit. Lorsque les problèmes sont envisagés de cette manière, il y a moins de panique et tout semble plus travaillable. Chaque fois que les problèmes surgissent, au lieu de les considérer comme des menaces pures et simples, ils deviennent des situations d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>apprentissage, de nouvelles opportunités de découvrir davantage son propre esprit, et de poursuivre son exploration. <br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Par la pratique associée à l’étude, on fait l’expérience de la santé inhérente à l’esprit, le nôtre et celui des autres. On peut voir que nos problèmes ne sont pas enracinés si profondément que ça. On remarque qu’on peut vraiment faire des progrès. On découvre que l’on devient plus attentif et plus présent, on développe plus de santé et de clarté au fur et à mesure qu’on avance. C’est extrêmement encourageant.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Cette orientation qui privilégie la santé et la bonté provient de l’expérience de l’absence d’ego, une notion qui pose un certain nombre de difficultés aux psychologues occidentaux. L’absence d’ego ne signifie pas que rien n’existe, comme certains l’ont pensé. Il ne s’agit pas d’une forme de nihilisme. Cela signifie au contraire que vous pouvez lâcher prise de vos schémas névrotiques habituels et que, quand vous lâchez prise, vous le faites vraiment. Vous ne recréez pas une autre coquille immédiatement après. L’absence d’ego, c’est avoir suffisamment confiance pour ne pas du tout reconstruire et c’est faire l’expérience de la santé et de la fraîcheur provenant du fait de ne pas se terrer dans un cocon. La vérité de l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>absence d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>ego ne peut être pleinement expérimentée qu</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>à travers la pratique de la méditation. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br />L’expérience du non-ego encourage une véritable empathie à l’égard des autres. On ne peut avoir d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>empathie réelle ou de compassion à partir de l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>ego, parce qu</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>alors elle serait fatalement accompagnée par certains mécanismes de défense. Par exemple si votre ego était en jeu, vous pourriez tenter de ramener à votre propre territoire ce qui se passe dans le travail avec quelqu</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>un d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>autre. L’ego interfère avec la possibilité d’une communication véritablement directe, qui est est de toute évidence essentielle dans le processus thérapeutique. L’absence d’ego rend tout le processus de travail avec les autres authentique, généreux et libre dans sa forme. C’est la raison pour laquelle, dans la tradition bouddhiste, on dit que, sans absence d’ego, il est impossible de développer une compassion véritable.</span></div>
<h4>
<span style="font-size: large;">La pratique thérapeutique</span></h4>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La tâche du thérapeute est d’aider les patients à se reconnecter à leur bonté et à leur santé fondamentales. Des patients potentiels viennent à nous avec un fort sentiment d’aliénation et de misère intérieure. Nous devons leur pointer ce terrain fondamental de santé qui existe en eux et cela est plus important encore que de leur donner une batterie de techniques pour combattre leurs problèmes. On pourrait penser que c’est beaucoup demander, surtout lorsque l’on est confronté au travail avec quelqu’un qui a tout un historique de problèmes et de difficultés. Mais la santé </span><span style="font-size: large;">de base </span><span style="font-size: large;">de l’esprit est en fait à portée de main et peut être facilement expérimentée et encouragée.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Pour cela, il va sans dire que le thérapeute doit d’abord commencer par faire l’expérience de son propre esprit de cette manière. A travers la méditation, la clarté et la chaleur envers soi-même ont la place de se développer et elles peuvent ensuite être étendues à l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>extérieur. Ainsi la méditation et l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>étude fournissent la base de travail à partir de laquelle rencontrer les personnes perturbées, les autres thérapeutes, et soi-même dans le même temps. Manifestement, il n</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>est pas tant question ici de perspective théorique ou conceptuelle, mais de la manière dont nous expérimentons notre propre vie. Notre existence peut être vécue entièrement et pleinement, de façon à apprécier d</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>être un humain authentique et vrai. Voilà le sentiment que nous pouvons communiquer aux autres et encourager en eux. <br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Un des obstacle majeurs dans l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>aide apportée à nos patients pour aller dans cette direction, est encore une fois la notion</span><span style="font-size: large;"> de faute, et la préoccupation tournée vers le passé qui en résulte. Nombre de nos patients voudraient se défaire de leur passé, le résoudre. Mais cette approche peut s</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>avérer dangereuse si elle va trop loin. Si vous commencez de suivre ce fil, vous devrez en revenir avant votre naissance, à votre conception même, puis aux histoires de votre famille avant cela, à vos arrière-grands-parents, et ainsi de suite sans fin</span><span style="font-size: large;">. Cela peut remonter fort loin et devenir très compliqué. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Le point de vue bouddhiste met l</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>accent sur l’impermanence et le côté transitoire des choses. Le passé n</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>est plus, le futur n’a pas encore eu lieu, ainsi nous travaillons avec ce qui est ici, la situation présente. Ceci nous aide à ne pas catégoriser ou théoriser. Une situation fraîche et vivante prend place tout le temps, sur-le-champ. Avec cette approche qui ne catégorise pas, on est totalement présent plutôt que d’essayer de prolonger un évènement passé. Nous n’avons pas à regarder le passé pour voir de quoi nous et les autres sommes faits. Les choses parlent d’elles-mêmes ici et maintenant.</span></div>
<h4>
<span style="font-size: large;">Bouddhisme et psychologie occidentale</span></h4>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Lorsque j’étais étudiant à Oxford, j’ai été impressionné par certains points forts de la psychologie occidentale. Elle est ouverte à de nouveaux points de vue et à de nouvelles découvertes et elle maintient une attitude critique envers elle-même. Et il s</span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">’</span>agit de la discipline intellectuelle occidentale qui est le plus basée sur l’expérience. <br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Mais en même temps, du point de vue de la psychologie bouddhiste, il y a vraiment quelque chose qui manque dans son approche. Cet élément manquant, comme nous l’avons suggéré dans toute cette présentation, est la reconnaissance de la primauté à accorder à l’expérience immédiate. En cela le bouddhisme présente un défi essentiel aux thérapeutiques occidentales, et offre un point de vue et une méthode qui pourraient révolutionner la psychologie occidentale. <br /><br />Chögyam Trungpa, 1982.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Extraits de l’article “The Meeting of Buddhist and Western Psychology”, édité par Nathan Katz dans <i>The Naropa Journal of Contemplative Psychology</i>, Volume IV, texte publié en 2005 par les éditions Shambhala dans l’ouvrage <i>The Sanity We are Born With</i>. L'ouvrage de Trungpa n'est pas encore publié en France. Traduction libre pour l'usage personnel des lecteurs francophones. </div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-87856077071881968012014-02-15T10:10:00.000+01:002020-02-24T14:23:15.153+01:00La commercialisation de la pleine conscience<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmC1dniik5H2fvDwfSFmCK8qH2uKm0oXBa2NOPVIg3-wDKqv_T0SlOXJa-d9IZAQhNmtBHi1-ySGBe6YbpWSMAbPa0c97oe7kW35niA6mprNBNkC5sN_JwnYukBKoIBMg5wyg-8r2KrOS1/s1600/360_cover_0203.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmC1dniik5H2fvDwfSFmCK8qH2uKm0oXBa2NOPVIg3-wDKqv_T0SlOXJa-d9IZAQhNmtBHi1-ySGBe6YbpWSMAbPa0c97oe7kW35niA6mprNBNkC5sN_JwnYukBKoIBMg5wyg-8r2KrOS1/s1600/360_cover_0203.jpg" height="320" width="239" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Voici un article intelligent qui dénonce les travers de l'utilisation commerciale de la pleine conscience en vogue aujourd'hui, et des implications politiques d'une telle pratique dans l'économie libérale contemporaine. </span><span style="font-size: large;">Un texte de Ron Purser et David Loy publié sous le titre <a href="http://www.huffingtonpost.com/ron-purser/beyond-mcmindfulness_b_3519289.html" target="_blank">Beyond McMindfulness</a> dans le HuffingtonPost du 2 juillet 2013 (version originale anglaise). P</span><span style="font-size: large;">ar ailleurs pour souligner l'engouement croissant d'une telle pratique réadaptée, voici la une de couverture du prestigieux <i>Time</i> magazine du 3 février 2014, intitulé "La révolution en pleine conscience" (<a href="http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,2163560,00.html" target="_blank"><i>The mindful revolution</i></a>). Ce qui devient assez ironique en croisant les deux articles, puisque celui de Purser et Loy démontre assez bien l'usage de la <i>mindfulness</i> à des fins de conservation du statu quo, dans la société en général et les entreprises en particulier.<br /><br /><br />"La méditation de la pleine conscience (<i>mindfulness</i>) s’est imposée d’un coup, faisant son entrée dans les écoles, les entreprises, les prisons et les organismes gouvernementaux, l’armée américaine notamment. Des millions de gens tirent des bénéfices concrets de leur pratique de pleine conscience : moins de stress, une meilleure concentration et un peu plus d’empathie peut-être. Évidemment, on ne peut que se réjouir de ce développement majeur. Il a néanmoins sa part d’ombre.<br /><br />La révolution de la pleine conscience semble offrir une panacée universelle pour régler à peu près toutes les questions de la vie quotidienne. Plusieurs ouvrages ont été publiés récemment sur le sujet : Être parent en pleine conscience (<i>Mindful Parenting</i>), Manger en pleine conscience (<i>Mindful Eating</i>), Enseigner en pleine conscience (<i>Mindful Teaching</i>), Une politique de la pleine conscience (<i>Mindful Politics</i>), La thérapie de la pleine conscience (<i>Mindful Therapy</i>), Diriger en pleine conscience (<i>Mindful Leadership</i>), Une nation consciente (<i>A Mindful Nation</i>), La guérison consciente (<i>Mindful Recovery</i>), Le pouvoir de l’apprentissage conscient (<i>The Power of Mindful Learning</i>), Le cerveau conscient (<i>The Mindful Brain</i>), La pratique de l’attention dans les périodes de crise (<i>The Mindful Way through Depression</i>), Le chemin de l’attention vers l’auto-compassion (<i>The Mindful Path to Self-Compassion</i>). Quasi-quotidiennement, les médias font référence à des études scientifiques sur les multiples bienfaits de la méditation de la pleine conscience en termes de santé et comment une pratique aussi simple peut provoquer des transformations neurologiques dans le cerveau.<br /><br />L’engouement pour le mouvement de la pleine conscience a aussi créé une petite industrie lucrative. D’avisés consultants recommandent des formations à la pleine conscience, assurant qu’elle améliore l’efficacité au travail, qu’elle réduit l’absentéisme et qu’elle met en valeur les compétences personnelles si essentielles dans une réussite professionnelle. Certains vont même plus loin en affirmant qu’une formation à la pleine conscience peut agir comme une « technologie perturbatrice » qui transforme les entreprises même les plus dysfonctionnelles en des formes organisationnelles plus respectueuses, plus compatissantes et durables. Jusqu’ici, cependant, aucune étude concrète n’a été publiée pour appuyer de telles affirmations.<br /><br />Dans leurs stratégies de positionnement, les promoteurs des formations à la pleine conscience débutent généralement leurs programmes en disant qu’ils sont « d’inspiration bouddhiste ». Raconter aux néophytes que la pleine conscience est un héritage du bouddhisme, une tradition célèbre pour ses méthodes de méditation anciennes et éprouvées, offre un certain cachet et un effet tendance. Mais, parfois, dans la même phrase, les consultants assurent souvent leurs sociétés commanditaires que leur type de pleine conscience n’a plus de lien ou d’affiliation avec ses origines bouddhistes.<br /><br />Le découplage de la pleine conscience de son contexte moral et religieux bouddhiste se comprend comme un changement utile pour faire de ce genre de formation un produit vendable sur le marché. Mais l’empressement à laïciser et marchandiser la pleine conscience sous la forme d’une technique commercialisable risque d’aboutir à une dénaturation malheureuse de cette pratique ancienne, qui visait bien plus qu’à soulager un mal de tête, réduire la pression artérielle, ou aider des gestionnaires à être plus concentrés et plus productifs.<br /><br />Bien qu’une technique épurée et laïcisée, que certains appellent aujourd’hui le « McMindfulness », puisse rendre la pleine conscience plus acceptable pour le monde de l’entreprise, sa décontextualisation de sa vocation première de libération et de transformation et de son ancrage dans l’éthique sociale, revient comme Faust à vendre son âme. Plutôt que d’exercer la pleine conscience comme un moyen d’éveiller les individus et les organisations des racines malsaines de l’avidité, de la malveillance et de l’ignorance, elle est généralement remodelée en une technique banale, thérapeutique de développement personnel qui peut, en fait, renforcer ces racines.<br /><br />La plupart des explications scientifiques et autres qui circulent dans les médias présentent la pleine conscience en termes de réduction du stress et de renforcement de l’attention. Ces bienfaits sur le comportement humain sont proclamés comme des incontournables de la pleine conscience et ses principaux intérêts pour les entreprises modernes. Mais la pleine conscience, telle qu’elle est comprise et pratiquée dans la tradition bouddhiste, n’est pas simplement une technique moralement neutre pour réduire le stress et améliorer la concentration. Elle est au contraire une qualité distincte de l’attention qui est tributaire et influencée par de nombreux autres facteurs : la nature de nos pensées, de nos paroles et de nos actions, la manière de gagner notre vie, nos efforts pour éviter des comportements inappropriés ou maladroits, tout en développant ceux qui contribuent à une action sage, à l’harmonie sociale et à la compassion.<br /><br />C’est pourquoi les bouddhistes font une différence entre l’attention juste (<i>samma sati</i>) et l’attention incorrecte (<i>miccha sati</i>). La distinction n’est pas morale : la question est de savoir si la qualité de la conscience se caractérise par des intentions appropriées et des qualités mentales positives qui conduisent à l’épanouissement et à un bien-être optimal pour les autres autant que pour soi-même.<br /><br />D’après le canon pâli (les plus anciens enseignements attestés du Bouddha), même quelqu’un qui commet un crime prémédité et odieux exerce sa pleine conscience, bien que nuisible. De toute évidence, l’attention consciente et la concentration totale d’un terroriste, d’un tireur assassin, ou d’un criminel en col blanc n’est pas de la même étoffe que l’attention que le dalaï-lama ou d’autres pratiquants bouddhistes ont développée. La pleine conscience juste est guidée par des intentions et des motivations fondées sur la modération, des états mentaux sains et des comportements éthiques : des objectifs qui incluent, mais qui l’emportent sur la réduction du stress et l’amélioration de la concentration.<br /><br />Une autre idée fausse veut que la méditation de la pleine conscience soit une affaire privée ou intérieure. La pleine conscience est souvent commercialisée comme une méthode d’épanouissement personnel, un forme de répit dans les épreuves du monde féroce de l’entreprise. Une telle orientation individualiste et consumériste de la pratique de la pleine conscience peut se révéler efficace pour se préserver et faire avancer ses propres intérêts mais est inopérante pour atténuer les causes des détresses collectives et structurelles.<br /><br />Quand la pratique de la pleine conscience est cloisonnée de cette façon, les liens qui unissent des motivations personnelles s’effacent. Sa propre transformation personnelle est dissociée d’une transformation sociale et structurelle qui prenne en compte les causes et les conditions de la souffrance dans un environnement plus large. Une telle colonisation de la pleine conscience génère aussi une forme d’instrumentalisation : elle ajuste la pratique aux besoins du marché plutôt que d’offrir une réflexion critique sur les causes de notre souffrance collective, la <i>dukkha</i> sociale.<br /><br />Le Bouddha a souligné que son enseignement traitait de la compréhension et de la fin de <i>dukkha</i> (la souffrance au sens le plus général). Qu’en est-il de la souffrance provoquée par les modes de fonctionnement des institutions ?<br /><br />De nombreux défenseurs des entreprises estiment que la transformation commence par soi : si l’esprit peut devenir plus concentré et plus apaisé, alors les transformations sociales et structurelles suivront naturellement. Le problème d’une telle formulation, c’est qu’aujourd’hui les trois moteurs nuisibles relevés par le bouddhisme, que sont l’avidité, la malveillance et l’illusion, ne sont plus limités aux esprits individuels, ils se sont institutionnalisés en des forces qui échappent au contrôle de chacun.<br /><br />Jusqu’à présent, le mouvement de la pleine conscience a évité d’envisager sérieusement la question de l’omniprésence du stress dans les entreprises actuelles. Au lieu de cela, les sociétés ont accueilli avec enthousiasme le mouvement de la pleine conscience, car il fait peser à point nommé la charge sur le travailleur individuel : le stress est présenté comme un problème personnel et la pleine conscience est proposée comme une bonne médication pour aider les travailleurs à travailler plus efficacement et calmement dans des environnements toxiques. Enveloppé dans une aura de soin et d’humanité, la pleine conscience est refaçonnée en une soupape de sécurité, comme un moyen de relâcher la pression, une technique pour réagir et s’adapter aux efforts et aux tensions de la vie de l’entreprise.<br /><br />Il en résulte une version atomisée et privatisée de la pratique de la pleine conscience, qui est facilement cooptée et réduite à ce que Jeremy Carrette et Richard King, décrivent dans leur livre "Vendre la spiritualité. La prise de contrôle silencieuse de la religion" (<a href="http://www.amazon.com/Selling-Spirituality-Silent-Takeover-Religion/dp/0415302099" target="_blank">Selling Spirituality: The Silent Takeover of Religion</a>) comme un infléchissement « d’accommodement ». L’entraînement à la pleine conscience suscite un grand intérêt, car elle devient une méthode à la mode pour maîtriser les troubles du personnel, encourager l’acceptation tacite du statu quo et être un outil efficace pour garder l’attention concentrée sur des objectifs institutionnels.<br /><br />À bien des égards, les formations d’entreprises à la pleine conscience, avec leurs promesses que des salariés plus tranquilles, moins stressés seront plus productifs, ressemblent à s’y méprendre aux courants aujourd’hui décriés des « relations humaines » et des formations à la sensibilité qui étaient populaires dans les années 1950 et 1960. Ces programmes de formation ont été critiqués pour leur utilisation manipulatrice des techniques relationnelles, comme l’écoute active, employée comme un moyen de calmer les employés en leur faisant sentir que leurs préoccupations avaient été entendues alors que les conditions restaient inchangées sur leur lieu de travail. Ces méthodes ont été appelées « la psychologie de la vache » car des vaches satisfaites et dociles donnent plus de lait.<br /><br />Bhikkhu Bodhi, un moine bouddhiste occidental au ton direct, met en garde : « Sans une critique sociale forte, les pratiques bouddhistes pourraient être facilement utilisées pour justifier et maintenir le statu quo, et devenir un renfort pour le capitalisme consumériste. » Malheureusement, une perspective plus éthique et socialement responsable est désormais considérée par de nombreux pratiquants de la pleine conscience comme une préoccupation accessoire, ou comme une politisation inutile d’un cheminement personnel de transformation.<br /><br />Il est à espérer que le mouvement de la pleine conscience ne suivra pas la trajectoire habituelle de la plupart des modes de l’entreprise, l’enthousiasme débridé, l’acceptation dépourvue de tout sens critique du statu quo, la désillusion finale. Pour devenir une véritable force de transformation positive personnelle et sociale, il devra se réapproprier un cadre éthique et aspirer à des fins plus nobles qui prennent en compte le bien-être de tous les êtres vivants."</span><br />
Ron Purser et David Loy</div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-36060782899431091312013-01-03T17:55:00.001+01:002020-02-24T14:23:14.142+01:00Un maître pour trouver sa Voie<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiYUhZuNQXxKyOemNlDi7mQ99wIBkxtQGPDtbOfo_KPl-UGsQCgqXXvZaMr-S7bf529E3UThcc2pFik1M-7SkGRp_5N3m-kfFSs3e-n9BiVRRUKShRZHs1GtFbEoXKzTmtf9uYANdDPps1W/s1600/2909_couverture57.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiYUhZuNQXxKyOemNlDi7mQ99wIBkxtQGPDtbOfo_KPl-UGsQCgqXXvZaMr-S7bf529E3UThcc2pFik1M-7SkGRp_5N3m-kfFSs3e-n9BiVRRUKShRZHs1GtFbEoXKzTmtf9uYANdDPps1W/s400/2909_couverture57.jpg" width="296" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><i>A l’heure où la spiritualité tend à devenir un marché du bien-être, le maître se réduirait-il au dernier avatar d’une figure d’autorité archaïque n’ayant plus sa place ? Ou bien est-il encore le seul garant de la transmission d’une influence spirituelle authentique à notre époque ? Et si, loin d’appartenir au passé, la relation au maître était aujourd’hui à réinventer ? </i></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>La rupture des Temps Nouveaux </b></span><br />
<span style="font-size: large;">La perte de repères que nous connaissons, et que tous les indicateurs pointent comme une crise sans précédent, ouvre à une quête de sens entièrement neuve. Notre situation signe un temps de « déracinement » ou de « brèche » qui pourrait s’avérer une chance. Car il n’est plus possible, malgré la meilleure volonté, de se relier aux formes traditionnelles comme jadis, où les usages étaient les garants d’un lien authentique au monde sacré. Le maître spirituel s’inscrit dans une lignée ininterrompue, car « le rattachement à une organisation traditionnelle régulière est une condition nécessaire de l’initiation », met en garde <a href="http://oeuvre-de-rene-guenon.blogspot.fr/p/livres.html" target="_blank">René Guénon</a>. Ce point ne saurait être passé sous silence, sans quoi n’importe qui pourrait à bon compte se déclarer « maître ». Il y a donc un risque inhérent à notre époque, qui exige un discernement que ne requéraient pas les sociétés organisées sur un mode traditionnel. Plutôt que de le nier ou de s’en affliger, l’assumer ouvre des possibilités nouvelles de se relier pour de bon au chemin spirituel et à celui qui y mène, le maître. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Un guide nécessaire</b></span><br />
<span style="font-size: large;">Pour autant que la source de son
inspiration ne soit jamais d’ordre strictement humain, la spiritualité
authentique ne peut se passer d’une initiation réelle, de cœur à cœur.
La question n’étant pas « d’avoir » un maître comme une possession
supérieure, mais d’entrer en relation à un autre être qui a cheminé et
vous éclaire de son expérience sur la Voie – un guide à même de vous
donner une direction précise dans la « forêt obscure » de la vie, selon
l’expression de Dante. Grâce à lui, le disciple est invité a plus de
clarté d’esprit. De fait, le maître extérieur ne devrait pas être séparé
du maître intérieur, qui n’est autre que l’intelligence première,
plaçant celui qui chemine face à la vérité de son existence sur Terre.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><b>L’abandon de ses illusions</b></span><br />
<span style="font-size: large;">Si la psychanalyse a ses limites en ce qui touche la spiritualité, elle est de ce fait un solide garde-fou. Par sa critique virulente de la religion, « système de doctrines et de promesses », Sigmund Freud en a fait le modèle de l’illusion humaine. L’homme, échoué dans un monde sur lequel il n’a aucune prise, s’invente un protecteur tout-puissant qui a barre sur son destin personnel, une figure qu’il pourrait infléchir par certains comportements de soumission. Ici la cécité presque volontaire de Freud à l’égard de la mystique nous permet de lever bien des malentendus. La recherche d’un maître est bien souvent une fuite infantile devant sa propre responsabilité. Or, celui qui s’engage sur une Voie doit être conscient qu’il va progressivement être amené à abandonner ses illusions protectrices et affronter la réalité en face, et non apprendre à s’en prémunir davantage. Il ne faudrait jamais faire fi de son intelligence et d’un certain sens de cynisme face à toutes les promesses fallacieuses de la vie spirituelle. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;">Le Maître, selon la psychanalyse, est trop souvent objet de fascination ou substitut du père. Pourtant ce n’est pas la vérité du maître spirituel et Jacques Lacan, tourné vers l’Orient et en particulier le Japon, annonce en ouverture de son premier séminaire de 1953 : « Le maître interrompt le silence par n’importe quoi, un sarcasme, un coup de pied. C’est ainsi que procède dans la recherche du sens un maître bouddhiste, selon la technique zen. Il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions. » Voici un bon critère pour déterminer à quel maître vous avez affaire. Son enseignement vous parle-t-il en personne ? Son questionnement ouvre-t-il un horizon de sens à découvrir par vous-même ? Car le maître n’est pas là pour vous consoler ou vous priver de votre liberté, mais pour vous la rendre, avec le vertige qui l’accompagne nécessairement… </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><b>Une hiérarchie réinventée</b></span><br />
<span style="font-size: large;">En un sens, chacun se trouve désormais investi de l’idéal qui a présidé à la constitution de nos démocraties laïques, avant qu’elles ne versent dans le management de masse. Chacun est digne de choisir sa voie propre, de même chaque maître doit réinventer une entente de la tradition et une façon de s’y relier. Cette situation de flottement apporte avec elle de nouvelles possibilités de rapports, qui abolissent la hiérarchie ancienne et verticale. <a href="http://www.ecole-occidentale-meditation.com/fr/chogyam-trungpa-transmission-et-modernite.html" target="_blank">Un maître moderne, le Tibétain Chögyam Trungpa</a>, disait de ses étudiants qu’ils étaient avant tout ses ‘amis’ : « Une amitié authentique entre le maître spirituel et l’étudiant se caractérise par une communication directe nommée ‘rencontre de deux esprits’. L’ami s’ouvre et vous vous ouvrez, vous êtes tous deux dans le même espace. » Ce geste d’amour et de confiance reste exemplaire. Et si la modernité imposait désormais qu’il n’y ait plus de maître spirituel que dans la dimension démocratique ? </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><b><i>Pour aller plus loin :</i></b></span><br />
<span style="font-size: large;">René Guénon, <i>Autorité spirituelle et pouvoir temporel</i>, Guy Trédaniel, 1984</span><br />
<span style="font-size: large;">(Voir aussi ses <i>Aperçus sur l’initiation</i>)</span><br />
<span style="font-size: large;">Fabrice Midal, <i>Quel bouddhisme pour l’Occident ? </i>Seuil, 2006</span><br />
<span style="font-size: large;">(Voir aussi « Un maître spirituel à l’âge de la démocratie » in <i>Chögyam Trungpa, une révolution bouddhiste</i>, Editions du Grand Est, 2007)</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><span style="font-size: large;">L</span>a pensée du « déracinement » se trouve chez Simone Weil dans <i>L’enracinement </i> et celle de la « brèche » chez Hannah Arendt dans <i>La crise de la culture</i>. </span><br />
<br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;">©Nicolas D’Inca, article paru dans <i>Le Monde des Religions</i>, <a href="http://www.lemondedesreligions.fr/mensuel/2013/57/" target="_blank">janvier-février 2013 (N°57)</a></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-26209423429256472522012-11-11T14:29:00.001+01:002020-02-24T15:58:50.566+01:00Bouddha Rebelle, avec Ponlop Rinpoché<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEguktzHJ7igOtdDvpttkSkZjo6XReuMOGI_B3BZaVFCDRWvypTfrBrtDUqT3F-UI_Lt_Q8PrQl7A_AHmsEC6QjGDyFX6iFfS_TUPaz2JwkfBbcAxs8Uu7TyMUZ1u6F4jgAOsb3nr3lDjKYW/s1600/Dzogchen_Ponlop_Rinpoche+@Laura+Trippi.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEguktzHJ7igOtdDvpttkSkZjo6XReuMOGI_B3BZaVFCDRWvypTfrBrtDUqT3F-UI_Lt_Q8PrQl7A_AHmsEC6QjGDyFX6iFfS_TUPaz2JwkfBbcAxs8Uu7TyMUZ1u6F4jgAOsb3nr3lDjKYW/s320/Dzogchen_Ponlop_Rinpoche+@Laura+Trippi.jpg" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Bouddha rebelle — ce titre surprenant dit l’essentiel de l’engagement de Ponlop Rinpoché. Ce maître tibétain de la lignée kagyü et nyingma, né en 1965 au Sikkim et vivant à Seattle aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, a décidé de laisser tomber l’aspect religieux qui met à distance le dharma. Et si le Bouddha était un vrai rebelle ! Et si à notre tour, en choisissant de marcher dans cette voie, nous ne devrions pas nous aussi devenir des rebelles ? Une présentation décapante du chemin de la méditation, qui parlera droit au cœur des Occidentaux et en particulier de la jeune génération ayant soif de vérité au-delà du dogme. Ponlop Rinpoché, qui était en France pour présenter son nouveau livre <a href="http://www.espritdouverture.fr/site/bouddha_rebelle_&600&eso01.html?71" target="_blank">Bouddha Rebelle. Sur la route de la liberté</a>, paru en français chez Belfond, nous a accordé un entretien exclusif. Devant notre soulagement d’avoir affaire à un être si humain, il a répondu avec humour « oh oui, je suis un homme comme les autres, je ne suis pas un dieu – et j’en suis bien content ! » Rencontre avec un Rinpoché pas si ordinaire. <br /><br /><b>Nicolas D’Inca. « Par votre parcours, vous faites le saut de la tradition vers la modernité pour présenter le dharma. Si vous vouliez nous dire quelques mots de votre éducation et de vos maîtres ?</b><br /><b>Dzogchen Ponlop Rinpoché. </b>Mon monastère originel s’appelle Dzogchen et appartient à la lignée nyingma, mais en tant que réfugié j’ai été élevé dans la lignée kagyü. J’ai reçu l’héritage du mahamudra et du dzogchen, ai étudié le sanscrit en Inde, et suivi toute ma formation monastique sous la direction de Sa Sainteté le XVIe Karmapa, dans son monastère de Rumtek au Sikkim. Puis j’ai étudié à l’université de New-York et me suis familiarisé avec le monde occidental, où j’ai commencé à enseigner ; d’abord à Vancouver, au Canada ; puis à Boulder comme professeur de l’université Naropa, fondée par Chögyam Trungpa. <br />La présence de Sa Sainteté Karmapa était incroyablement impressionnante, elle vous réveillait sur-le-champ. Le simple fait de se trouver en sa présence, lui qui m’a élevé, était riche en enseignements. Quant à Dilgo Khyentsé Rinpoché, ses instructions mais plus encore son attention et son amour étaient à couper le souffle. Je porte toujours en moi sa gentillesse et sa bonté, qui me guident. Et enfin mon lama racine actuel, Khenpo Tsültrim Gyatso est à la fois un grand yogi et un érudit. Etre auprès de lui est… effrayant ! (il rit) Mais aussi très réconfortant. Il est si libre et si sauvage en un sens, tout à fait dans la manière de Milarépa. Il aime le Canada où nous avons pratiqué ensemble, surtout les montagnes enneigées, les glaciers, les lacs gelés qui lui rappellent le Tibet. C’est là-bas que Rinpoché a écrit une Sadhana du Mahamudra, à la fin des années 80. Pour moi, il y a ainsi de nombreux endroits sacrés au Canada. Par ailleurs j’ai assisté de nombreuses fois à la cérémonie de la Coiffe Noire, et ai servi lors du rituel à la fin de la vie du Karmapa, en 1980, en Amérique, au Canada, en Europe… Sa Sainteté a eu un rôle majeur dans ma vie, notamment parce que j’ai le sentiment qu’il m’a présenté à l’Amérique, qu’il m’a introduit dans ce monde, alors que je n’avais que 14 ans. Lors de son premier tour nous sommes restés plus de six mois. Plus tard Khyentsé Rinpoché m’y a ramené et m’a encouragé à y vivre pour enseigner. Maintenant, ma famille s’y trouve aussi, ils habitent dans l’état de New-York. Nous sommes tous Américains à présent ! Je ne suis pas retourné au Sikkim depuis 1992. Avec les années, je ne m’y sens plus chez moi.<br /><br /><b>N.D. Dans votre livre, vous dites souvent être un apatride, à la croisée de plusieurs cultures. C’est une question pour vous, mais aussi pour notre époque en crise ? </b><br /><b>D.P.R. </b>Oui : qui suis-je ? Voilà tout ce que je pourrais écrire sur mon passeport ! Pour ma part, c’est un voyage de découvrir quels sont les enseignements du Bouddha, et le chemin spirituel ; et de savoir quelle direction emprunter. Je trouve ce processus tellement intriguant. Cela m’a conduit à regarder de plus près : qu’est-ce qui relève de la culture, et qu’es-ce qui ressort de l’essence du message, le dharma, la sagesse elle-même ? Et ce que j’ai découvert, je le partage avec mes amis, et dans mes livres. Cela pourrait être perçu comme une critique, tel que le titre « Bouddha rebelle » le laisse entendre, mais ce n’est en rien mon intention. C’est tout simplement notre voyage. Partager cette sagesse requiert de comprendre en profondeur la culture de mes nouveaux amis, et de pénétrer le cœur de la modernité en Occident. Les anciennes traditions deviennent parfois des murs entre la sagesse et votre esprit. Nous devons dépasser les murs culturels et extraire l’essence des enseignements, comme on extrait l’huile des fleurs, mais tout en les respectant – sans ces fleurs, ces cultures, nous n’aurions plus l’essence du dharma aujourd’hui. Les méthodes pour découvrir la sagesse se transforment avec les époques et les lieux. C’est pourquoi je dis parfois que le dharma est comme l’eau, sans forme si couleur. Le pur dharma est sans culture, sans langage prédéfini, sans dogme, mais il est universel. Même si l’eau a besoin d’un contenant, nous ne devons pas devenir trop fascinés par la tasse, sans quoi nous oublierons de boire ! (Rinpoché boit une gorgée de thé). <br /><br /><b>N.D. Alors après tout, pourquoi dites-vous que le Bouddha était un rebelle ? </b><br /><b>D.P.R.</b> Le titre du livre est inspiré par la vie de Siddhartha. Je n’essaie pas de le dépeindre ainsi, mais lire simplement sa vie et la contempler suffit à montrer sa rébellion. Jeune prince, il abandonne son palais et son statut, il remet en question la norme sociale censée lui dire qui il était. Pour lui, cela a été une révolution intérieure plus qu’une révolte extérieure, mais il a questionné jusqu’au bout l’essence humaine : qui suis-je, qui suis-je appelé à être ? De plus en plus profond, il est entré dans son chemin questionnant, sa quête authentique. Il est alors devenu un pratiquant comme cela avait cours à l’époque, devenant un renonçant, un moine, un yogi. Puis il a aussi mis en cause ce statut, le dogme religieux et social. Il est parti pour tout recommencer à nouveau, et finalement trouver la liberté véritable, l’éveil. Son exemple est encore valable pour le monde moderne, qui nous enseigne à ne pas nous laisser prendre par les statu quo et découvrir une vraie voie du milieu. <br /><br /><b>N.D. Vous êtes souvent référé à la science, est-ce une direction pour trouver la voie dans le monde moderne ?</b><br /><b>D.P.R. </b>Je suis passionné avant tout par l’intelligence et la quête qui questionne toujours plus avant. C’est pourquoi je m’intéresse à la science, qui s’avère très inspirante pour cette raison, évoluant sans cesse. Néanmoins il n’existe pas d’explication scientifique pour comprendre les actes des êtres extraordinaires de la lignée. Lorsqu’il s’agit de l’esprit, la science en est encore à ses débuts, presque des balbutiements – alors que le dharma du Bouddha existe depuis 2600 ans maintenant, et les pratiquants explorent leur esprit depuis ces vingt-six siècles. D’un point de vue ultime, en somme la science apparaît assez immature. Mais l’intérêt majeur de la science est son sens du questionnement, qui en lui-même est neutre, le problème se posant au niveau de son usage. Elle peut alors devenir très dangereuse, comme l’invention de la bombe atomique le démontre. D’où l’importance de travailler avec notre esprit ! (il rit)<br /><br /><b>N.D. La voie artistique est-elle une manière de réinventer le dharma, de créer des formes, des contenants comme vous disiez, en lien à la culture occidentale ?</b><br /><b>D.P.R. </b>L’art et la poésie de leur côté sont des moyens très puissants de vous connecter à votre propre expérience, au-delà des limitations de vos processus mentaux, de votre intellect ou de vos concepts. Dans ma famille il y a de nombreux artistes et j’ai grandi ainsi, inspiré par l’art. Je pratique la photographie, la peinture, la calligraphie, la poésie, la musique… je ne suis pas très bon à la guitare, mais j’essaie ! (il rit) C’est une question que je contemple souvent. A un certain niveau il y a la nécessité de réinventer des formes, de l’autre côté ce n’est pas tant cela qu’intégrer la sagesse dans les formes déjà existantes. Le dharma peut exister dans toute culture, puisque nous avons tous un esprit, et la sagesse est la manière de s’y relier. La bonté, la compassion et les méthodes de travail avec les êtres peuvent tout à fait se manifester dans les formes de l’Occident. »<br /><br />Pour clore l’entretien, Ponlop Rinpoché écrit en une élégante calligraphie :</span><span style="font-size: large;"><i> </i></span><br />
<span style="font-size: large;"><i>« Ne le peins plus davantage</i></span><br />
<span style="font-size: large;"><i>Le reflet authentique</i></span><br />
<span style="font-size: large;"><i>Laisse-le flotter</i></span><br />
<span style="font-size: large;"><i>Dans la vraie lumière de l’espace.</i></span><br />
<span style="font-size: large;"><i>Le moment éveillé est libre. » </i></span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large;">Propos recueillis et traduits de l’anglais par Nicolas D’Inca</span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Pour aller plus loin </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="http://dpr.info/" target="_blank">http://dpr.info/ </a> </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.nbmontreal.org/">http://www.nbmontreal.org/</a><br />Dzogchen Ponlop, « Bouddha Rebelle », éditions Belfond, 2012</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><i><span style="font-size: large;">Photo Dzogchen_Ponlop_Rinpoche @Laura Trippi</span></i></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><i><span style="font-size: large;">Article paru dans Bouddhisme Actualités, N°151, novembre 2012 </span></i></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-5293568229724997722012-09-14T23:28:00.000+02:002020-02-24T14:23:14.421+01:00La méditation est un chemin spirituel<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj75gjQDINNteoZEG7tWSr0CdowpOBzoahj5H0Th_X4yAOhR3YiB3aPy0lS0X25O3bLOrwLs-O8eER_PMwtN6JmSAblqd7S_v2190MxC4_n7eugofzWbCX2grmciU5gYonQ3uP21SYIgv7e/s1600/Kornfield2+%C2%A9Soizic+Michelot.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="205" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj75gjQDINNteoZEG7tWSr0CdowpOBzoahj5H0Th_X4yAOhR3YiB3aPy0lS0X25O3bLOrwLs-O8eER_PMwtN6JmSAblqd7S_v2190MxC4_n7eugofzWbCX2grmciU5gYonQ3uP21SYIgv7e/s320/Kornfield2+%C2%A9Soizic+Michelot.jpg" width="320" /></a></div>
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<span style="font-size: large;"><b>La venue d’un maître occidental</b><br />La présence à Paris de Jack Kornfield, psychologue et maître de méditation américain, pour un week-end d’enseignements les 29 et 30 juin derniers fut un événement historique. Sa venue montre qu’il est possible de parler de la tradition bouddhiste de la manière la plus simple, directe et incarnée, sans avoir peur de la dimension émotionnelle, de la dimension d’amour et de compassion. Jack Kornfield représente une source d’inspiration en publiant <i>Bouddha mode d’emploi</i>, car il est l’exemple vivant de la possibilité d’établir une transmission authentique de la méditation qui soit entièrement occidentale. Il n’est ni nécessaire de devenir religieux ou oriental, ni de diluer l’enseignement du Bouddha pour qu’il devienne un produit sur le marché du bien-être généralisé. La méditation n’est pas limitée à un état de paix, mais consiste à s’ouvrir de manière profonde et radicale à chaque être, chaque chose, chaque situation. La méditation et le bouddhisme en France paraissent encore adolescents face aux Etats-Unis en terme de rencontre et de responsabilité. Le point culminant de la journée d’atelier qui réunissait plus de 300 personnes était pour cela une table ronde d’intervenants assez représentatifs de la place de la méditation dans le monde moderne : thérapeutes, philosophes et scientifiques. L’idée était de montrer la résonance des enseignements bouddhistes au sens large et de réfléchir sur la manière dont ils peuvent prendre une ampleur encore plus grande aujourd’hui. Les différents auteurs réunis autour de Jack Kornfield ont pu témoigner du travail à partir duquel ils tentent de présenter, de transmettre, de montrer des nouveaux chemins pour que la méditation et la pleine conscience puissent avoir une résonance sociale et politique. Que soit ici remerciés tous les intervenants pour leur collaboration. <br /><b><br />Prendre garde au scientisme</b><br />Paul Grossman, chercheur américain, éditeur du journal Mindful avec James Gimian, membre du Mind&Life Institute, codirecteur du programme de MBSR en Europe, enseigne en Allemagne et en Suisse. Il travaille depuis de nombreuses années au rapprochement entre la mindfulness et la psychologie bouddhiste pour venir en aide aux malades. Dans son exposé, il nous a rappelé où en est aujourd’hui la science dans ses travaux – tout en soulignant combien il serait dangereux de répéter des informations pseudo-scientifiques sans validité expérimentale réelle. Au contraire, lorsqu’un champ nouveau s’ouvre cela impose une plus grande rigueur, à l’encontre de ce qu’on voit trop souvent affirmé sans examen critique : que la méditation guérirait de tout et n’importe quoi. Il s’agit là d’un défi très important qui participe de la possibilité d’avoir une méditation adulte et responsable, qui soit plus a même d’aider concrètement les gens.</span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />Puis la parole était à Thierry Janssen, qui a été chirurgien pendant douze ans avant d’arrêter la carrière brillante qui s’ouvrait à lui. De Belgique, il est venu à Paris et a commencé son travail pour donner un autre sens à la maladie, d’une manière qui intègre l’être humain. Janssen nous a parlé du lien entre la méditation et le corps, lui qui accompagne des gens en souffrance physique. Mais surtout, il a tenu des propos courageux sur la liberté à laisser à la méditation par rapport à la science, enfermée dans sa volonté de tout valider et réduire en vue d’une utilisation. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />« Nous avons une responsabilité, nous autres qui nous intéressons à la pleine conscience et qui en parlons publiquement, parce que nous ne devons pas oublier que la méditation a été véhiculée par les traditions spirituelles de l’humanité. Or le Dalaï-Lama et d’autres maîtres ont voulu, avec de bonnes intentions, révéler à l’Occident que nous avions des outils à disposition dans les traditions spirituelles pour mieux comprendre l’esprit humain et le monde. Pour nous sensibiliser, ils ont pensé devoir parler le langage scientifique, qui a vu naître le Mind&Life et toutes sortes d’initiatives qui ont tenté de montrer que la méditation avait des raisons de nous intéresser puisqu’on pouvait ‘prouver’ qu’elle a des effets physiologiques. Mais attention ! La science est un système de croyance au service de la performance, de l’innovation, de la production consommable d’innovations. Nous devons être vigilants face au jeu du monde occidental qui tend à réduire la méditation à une xième recette qui pourrait nous permettre de vaincre la nature, la nôtre avant tout. Une semaine de formation à la pleine conscience, c’est bien, mais ne nous installons pas trop vite dans une position de savoir, car c’est le travail d’une vie. Ayons l’humilité d’être en chemin. Alors peut-être pourrons-nous transmettre l’outil spirituel de la pleine conscience. Sans cela nous allons le dénaturer et un jour, cela va nous revenir à la figure, comme un « business de la mindfulness ». C’est tentant de répondre à la demande croissante, mais attention ! Même si le mot peut faire peur dans un monde scientifique, c’est d’abord un chemin spirituel. » </span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />En tant que professionnel de la santé mentale et pratiquant de méditation, je souscris entièrement à la justesse du propos de Thierry Janssen. Merci de nous rappeler que la méditation et la pleine conscience ne peuvent pas être un outil pour mieux fonctionner, mais une manière de retrouver notre humanité. Et merci de nous avoir montré que la méditation nous met en rapport avec la santé primordiale, quelles que soient les circonstances, qui est au cœur de l’enseignement de la tradition bouddhiste. Il faut redoubler de vigilance et bien tenir chaque champ dans son horizon de pensée propre, sans rapprochements hâtifs – la tendance occidentale à ramener l’inconnu au connu pour mieux s’en servir est à l’œuvre dans le domaine de la méditation aussi implacablement qu’ailleurs. <br /><br /><b>Psychiatrie, philosophie, thérapie</b><br />Christophe André, dont le livre récent sur la méditation a rencontré un très grand public, a joué un rôle fondamental dans l’introduction de la pleine conscience en France, grâce a une étonnante synchronisation avec la société française. Il devait parler à partir de son travail de psychiatre de la manière dont la méditation et la pleine conscience peuvent aider dans une perspective thérapeutique mais, bouleversé par l’enseignement de Jack Kornfield, il a changé d’angle de vue. Il nous a rappelé que le maintenant est toujours magique, que la pleine conscience et la méditation nous font découvrir. L’enseignement du Bouddha nous montre que l’intention en tant qu’elle est dans le présent, cette inspiration de notre cœur est juste et claire. Mais ce n’est en rien l’instrumentalisation de la méditation réduite à un projet qui nous coupe à la fois du présent, de cette magie du maintenant et de la vérité de l’intention, qui est l’ouverture inconditionnelle du cœur. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />Michel Bitbol est scientifique et philosophe, collègue du regretté Francisco Varela, directeur de recherche au CNRS. Il a écrit notamment Physique et philosophie de l’esprit et De l’intérieur du monde il a présenté les liens entre la méditation et la phénoménologie, qui est un champ extraordinaire de compréhension de l’esprit humain. En un bref exposé il a proposé un panorama dans le travail de Husserl, montrant comment la méditation a à voir avec la connaissance, nous ouvrant à un autre mode jusqu’à présent inconnu, ce pourquoi elle pourrait être une des grandes sources d’inspiration pour notre temps.</span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />Enfin avec Trudy Goodman, proche collaboratrice de Jack Kornfield, nous avons entendu l’excellence de la tradition bouddhique américaine Pratiquante de longue date, elle a une expérience impressionnante qui l’a conduite à de nombreux explorations et travaux. Diplômée en psychologie, psychothérapeute pendant 25 ans, elle a créé à Boston un institut pour la méditation et la psychothérapie et a fondé un centre à Los Angeles où elle enseigne la méditation. Trudy avec grâce et dans son français impeccable nous a fait mieux voir la profondeur de la pratique de la méditation et comment elle s’incarne dans notre vie. Peut-être après l’avoir écouté pourrions-nous dire de la méditation ce que disait Baudelaire du génie : qu’elle est « l’enfance retrouvée à volonté ». <br /><b><br />Aujourd’hui, en France</b><br />Bien que l’Amérique soit une grande source d’inspiration, encore reste-t-il à trouver, en Europe, une manière de nous approprier et de présenter la méditation. Comment va-t-elle s’incarner en France ? Le rapport à la langue, à la culture française, à la psychanalyse et à la philosophie sont des pistes à creuser. Et en chacun, le profond désir d’être habité par cette pratique qui transforme la vie de fond en comble. Un humble souci d’authenticité peut seul être garant de la tradition millénaire de la méditation assise. Comme le disait Chögyam Trungpa à des thérapeutes : « L’essentiel est d’apprendre à dire la vérité à ses patients. Alors ils vous répondront, parce qu’il y a une force dans le fait de dire la vérité plutôt que de tordre votre logique pour l’adapter à leur névrose. La vérité, ça marche toujours. Il faut qu’il y ait une honnêteté fondamentale ; voilà la source de la confiance. » </span></div>
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<span style="font-size: large;">Nicolas D'Inca</span></div>
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<span style="font-size: large;"><b><br />Pour aller plus loin :</b><br />Jack Kornfield <a href="http://www.jackkornfield.com/">www.jackkornfield.com/</a><br /><br />Cet article a été publié dans <i>Bouddhisme Actualités</i> N°149 Septembre 2012<br />photo Kornfield © Soizic Michelot</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-13098297222032348752012-07-14T18:54:00.001+02:002020-02-24T14:23:13.685+01:00La bonté humaine, entretien avec Jacques Lecomte<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS_e2pQ90WChXUnCenz6T3PLfQSa-RCVfDr-GQvI3XDVx55hnevPbfaZ7arSn3DG1y4U7-hy_B17UMbTN3ddt6IczrWiCkcrmbiMQ-rMkd5RHOv5VZWdQXUhrxsKVGuR0Y-UbnsFItbUWL/s1600/La+bonte%CC%81+humaine+-+copie.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS_e2pQ90WChXUnCenz6T3PLfQSa-RCVfDr-GQvI3XDVx55hnevPbfaZ7arSn3DG1y4U7-hy_B17UMbTN3ddt6IczrWiCkcrmbiMQ-rMkd5RHOv5VZWdQXUhrxsKVGuR0Y-UbnsFItbUWL/s320/La+bonte%CC%81+humaine+-+copie.jpg" width="318" /></a></div>
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<span style="font-size: large;">La bonté ne serait-elle pas devenue taboue dans une société matérialiste orientée par le profit, le cynisme et l’égoïsme ? Sortir d’une conception trop facilement négative de l’homme, toujours réductrice, tel est le pari de Jacques Lecomte qui signe un très bel ouvrage « La bonté humaine » (Odile Jacob, 2012). Jacques Lecomte est docteur en psychologie, enseignant à l’université et à la faculté des sciences sociales de l’Institut catholique de Paris. Il est le président de l’Association française de psychologie positive, il a notamment publié « Guérir de son enfance » et « Donner un sens à sa vie ». Dans son livre, J. Lecomte non seulement rééquilibre la balance entre négatif et positif, mais parvient même à montrer que la bonté est constitutive de notre être. Que la potentialité innée à la bonté, à l’empathie, à l’altruisme soit souvent niée ne l’altère en rien. Sans tomber dans la naïveté, un tel discours remet les choses en bon ordre. Au fil de notre entretien, sa vision sociale se fait jour, puisque comme a dit le poète Thoreau « Ne soyez pas trop moral, vous risquez de vous priver de beaucoup de vie. Ne soyez pas simplement bon, soyez bon pour quelque chose ». Où l’on voit que la conception altruiste de ce spécialiste de la psychologie positive et de la résilience n’est pas loin de la compassion au cœur de la tradition bouddhiste.<br /><br /><b> </b></span><br />
<span style="font-size: large;"><b>Nicolas D’Inca </b>: Vous présentez d’abord un grand nombre d’histoires, des situations exceptionnelles mais aussi plus ordinaires, où les gens font preuve de bonté, souvent là où on ne l’attend pas. C’est surprenant, lors des catastrophes naturelles, les guerres, ou encore dans ces moments où l’on pourrait attendre une réaction de vengeance, c’est la bonté humaine qui se montre en premier lieu. Dans la deuxième partie vous éclairez les fondements de ce comportement de bonté. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>Jacques Lecomte</b> : Dans mon livre j’essaie d’associer des aspects strictement rationnels, avec des études scientifiques, et des aspects très humains. Je pense qu’il est important de toucher le cœur et la raison, on ne peut se couper d’une de ces facettes. J’essaie d’être crédible de ces deux côtés. Plusieurs personnes m’ont dit qu’on ne peut rationnellement après avoir lu ce livre continuer de soutenir la thèse de l’égoïsme ou de la violence fondamentale. Et parallèlement, du côté émotionnel, le lecteur peut être touché par des expériences humaines fortes, notamment dans les histoires sur le pardon ou sur les gens qui sauvent des inconnus au péril de leur vie. La première partie du livre est donc plutôt humaine et la seconde plutôt scientifique. Je pose la question : si la bonté est si présente, pourquoi continuer de maintenir la thèse de l’égoïsme fondamental de l’être humain qui ne permet pas de rendre compte de ces phénomènes spontanés ? Je me sers alors de divers champs scientifiques pour étayer mon propos, la neurobiologie, la psychologie du développement, l’anthropologie, la primatologie, la sociologie et l’économie expérimentale. Je crois que j’ai fait le tour ! C’est le premier ouvrage de synthèse de ce type en France. <br /><b> </b></span><br />
<span style="font-size: large;"><b>ND</b> : Votre parcours est éclectique, cela se ressent dans votre ouvrage car vous balayez un grand nombre de disciplines avec une aisance qui vous semble naturelle…</span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>JL</b> : Mes filles à force de m’entendre dire « tiens un jour quand je faisais ça… » s’écrient « mais papa c’est encore une nouveau métier ! » J’en ai exercé une vingtaine. Dans ma jeunesse j’ai vécu dans une communauté où nous cultivions la terre en agrobiologie avec des chevaux… Puis j’ai été journaliste, travailleur social, psychologue… J’ai commencé par une démarche existentielle et spirituelle. J’ai vécu une conversion chrétienne à l’âge de 18 ans, qui a marqué ma vie, tout en ayant beaucoup de respect et de sympathie pour la démarche bouddhiste. D’ailleurs, mon ami Ilias Kotsou spécialiste de l’intelligence émotionnelle me disait un jour « tu n’as pas besoin de méditation de pleine conscience, tu y es déjà ! » car je suis assez curieux, émerveillé et cette disposition face à la vie me semble aller de soi. Sur le bouddhisme, mon livre « Donner un sens à sa vie » comportait un chapitre sur le sens à trouver dans la philosophie ou la spiritualité, et je consacrais un passage à la conversion et au cheminement de Matthieu Ricard. </span><span style="font-size: large;"><b> </b></span><br />
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<span style="font-size: large;"><b>ND</b> : </span><span style="font-size: large;">Vous-même, vous avez connu une conversion, passant du ressentiment et de la violence à l’amour et au pardon. Ainsi votre chemin éclaire votre livre qui fait état de ces retournements vers l’essentiel dans l’existence. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>JL</b> : </span><span style="font-size: large;">J’ai été longtemps discret sur ces sujets, mais le suis moins depuis que j’ai participé à l’ouvrage de Christophe André « Secrets de psy » où je raconte mon expérience. Dès l’enfance j’ai été marqué par la violence, l’absence de bonté du côté paternel. Cela a fait de moi un révolté violent, mais la conversion et les rencontres ont transformé mon regard et j’ai pris conscience très jeune de la puissance de la bonté. Une lucidité absolue sur la capacité à faire le mal, d’abord, puis une véritable ouverture à la capacité à faire le bien et à l’immense puissance de la bonté. </span><span style="font-size: large;"><b> </b></span><br />
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<span style="font-size: large;"><b>ND</b> : </span><span style="font-size: large;">Vous êtes de plain-pied avec les expériences humaines que vous rapportez dans votre livre, comme ces jeunes que des travailleurs sociaux vont rencontrer dans les rues. Tout d’abord ils n’y croient pas, puis ils sont submergés : ce n’est pas possible, on peut donc s’occuper de moi sans rien attendre en retour ? Cette bonté peut-être brimée mais pas effacée. <b> </b></span><br />
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<span style="font-size: large;"><b>JL</b> : Nelson Mandela dans son autobiographie finit par une méditation sur la bonté, et il a cette phrase que j’ai mise en exergue de mon livre « La bonté de l’homme est une flamme qu’on peut cacher mais qu’on ne peut jamais éteindre. » Il dit bien qu’il a pu supporter ces 27 années de prison car il n’a jamais perdu espoir dans cette bonté humaine, même chez ses geôliers. Et s’il a facilité la transition de l’apartheid à la démocratie, c’est grâce à cette capacité chez lui de voir la bonté de l’être humain, chez ses adversaires politiques y compris. C’est la notion africaine d’ubuntu, l’essence de l’être humain est d’avoir cet ubuntu : la bonté, la fraternité, l’hospitalité, la coopération ; toutes ces qualités positives qui nous mettent en relation les uns les autres. L’action politique de Mandela repose sur la conviction que l’être humain est habité par l’ubuntu. </span><span style="font-size: large;"><b> </b></span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>ND</b> : </span><span style="font-size: large;">C’est la grande force de votre livre, déclarer une chose pareille est une bombe à la fois philosophique, spirituelle et politique. Une vision qui repose sur la bonté de l’homme a un aspect profondément révolutionnaire. <b> </b></span><br />
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<span style="font-size: large;"><b>JL</b> : </span><span style="font-size: large;">Exactement. Ce livre se veut d’ailleurs un tremplin vers le suivant, car comme je le signale à la fin de l’ouvrage, cette pensée de l’être humain a un effet de changement du paradigme social et politique. Ce sera un livre de projet de société basée sur des connaissances scientifiques et des expériences vécues, sur l’impact positif d’attitudes telles que l’altruisme, l’empathie, la responsabilité, la confiance en autrui, dans l’éducation, l’entreprise, la justice, la santé, etc. La structure de la société fonctionnerait mieux avec de tels fondements. Mon prochain livre sera donc un projet de société basée sur la psychologie positive, ou plutôt sur les sciences humaines « positivement orientées ». Et mes modèles en ce domaine sont des personnes comme Nelson Mandela, Vaclav Havel, Aung San Suu Kyi. Des leaders ayant un idéal humaniste fort, et qui n’hésitent pas à aller jusqu’au sommet du pouvoir pour mettre cette vision en œuvre. C’est ce que j’appellerai un « optiréalisme ». Que le monde politique soit difficile ne signifie pas qu’il est en soi pourri ! Il n’a pas à être laissé à ceux qui ont le goût du pouvoir chevillé au corps. Par exemple Havel était un homme de culture qui n’a pas hésité à entrer dans un combat politique pour que sa vision humaniste puisse triompher. Chef d’Etat malgré lui… J’ai un immense respect pour ces personnages. Rendez-vous compte, qui oserait aujourd’hui en France écrire comme lui sur ses affiches électorales « L’amour et la vérité triompheront de la haine et du mensonge » ? Extraordinaire, cela sort du cadre habituel. <br /><b> </b></span><br />
<span style="font-size: large;"><b>ND</b> : Et cela nous sort du vieux cadre « l’homme est un loup pour l’homme »…</span><span style="font-size: large;"><b> </b></span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>JL</b> : </span><span style="font-size: large;">Oui, qui détermine notre société et avant tout notre économie ! Les esprits sont manipulés car toute politique publique est basée sur une philosophie de l’être humain, souvent implicite. La nôtre croit en la violence fondamentale de tous contre tous. Nous ne pouvons continuer d’être réduits à des « homo œconomicus » égoïstes qui ne chercheraient que leur propre profit sans souci des autres. Non seulement cette vision ravage la terre, mais elle est fausse. Changer de conception changera de politique. La bonté peut changer le monde !</span><span style="font-size: large;"> </span><br />
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<span style="font-size: large;">Propos recueillis par Nicolas D’Inca</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /><br /><b>Pour aller plus loin :</b><br />Jacques Lecomte, « La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité », Odile Jacob, 2012<br /><a href="http://www.psychologie-positive.net/">http://www.psychologie-positive.net</a><br />Jacques Lecomte fera une intervention sur le thème « La bonté peut-elle changer le monde ? » pour le <a href="http://kagyu-dzong.org/2012/03/26/editorial/" target="_blank">Festival de la paix à la Grande Pagode de Vincennes</a> les 22-23 septembre. </span></div>
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<span style="font-size: large;">Cet article a été publié dans <i>Bouddhisme Actualités</i> juillet/août 2012</span></div>Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-19325432339165902822012-06-07T21:04:00.000+02:002020-04-05T10:53:18.560+02:00La méditation comme art de vivre<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEil0gt1GpIrHaD2l95f_Lmfo1Z6fiidinRdXoKiTWO635-eImubQ1pDOQcd756tTZdEDtjQJryj3IZrNjKHMoa_iUfb9_3nnojvKPVw-ywF8jiBlHKhyphenhyphenIBJpE51ZN4j9pUcPi5ij8Tdm2Al/s1600/%C2%A9manuelabo%CC%88hme+-+copie.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="376" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEil0gt1GpIrHaD2l95f_Lmfo1Z6fiidinRdXoKiTWO635-eImubQ1pDOQcd756tTZdEDtjQJryj3IZrNjKHMoa_iUfb9_3nnojvKPVw-ywF8jiBlHKhyphenhyphenIBJpE51ZN4j9pUcPi5ij8Tdm2Al/s640/%C2%A9manuelabo%CC%88hme+-+copie.jpg" width="640" /></a></div>
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<br />
<span style="font-size: large;"><b>L’art d’être humain</b><br />Comment présenter la méditation avec profondeur et clarté ? Comment lui permettre de trouver une juste place dans notre monde, à même de répondre aux grandes questions de notre société ? L’outil pour atteindre à plus de calme à laquelle elle est trop souvent réduite ne peut suffire. Loin de se limiter à une technique qui nous resterait étrangère, elle touche à l’essentiel car la présence qu’elle développe change l’entièreté du rapport à l’existence. La méditation ouvre avant tout un autre espace de vie, et permet donc une autre entente de l’être humain. « La méditation comme art de vivre » : car être humain s’apprend, avec peine certes en une époque où l’humanité est souvent utilisée à des fins économiques et par là bafouée, mais s’apprend toujours. De même que la langue en poésie n’est pas instrumentalisée mais rendue à sa liberté, de même l’esprit en méditation n’est pas utilisé mais rendu à son plein déploiement. La portée de la méditation entendue en ce sens est grande, puisqu’elle pourrait permettre d’établir un nouvel humanisme moderne, reposant sur la présence nue et la fragilité du cœur humain, deux dimensions non fabriquées. Les résonances pour la vie en commun, l’aspect proprement politique d’une telle démarche, sont évidentes. Cette voie de libération a transformé la vie de milliers de pratiquants depuis vingt-six siècles. Comment va-t-elle œuvrer dans notre monde ? La philosophe et résistante Simone Weil écrit : « C’est en désirant la vérité à vide, et sans tenter d’en deviner d’avance le contenu, qu’on reçoit la lumière. C’est là tout le mécanisme de l’attention. » Le parallèle avec notre pratique méditative est manifeste. Désirer la vérité à vide… et alors quelque chose vous est donné. Personne n’en est l’auteur, aussi ce qui s’éclaire de cette lumière inattendue est-il vrai. Dans cet espace de vérité retrouvé grâce à l’attention ouverte, une autre parole devient possible. Quel nom peut-on donner à cette face neuve de l’expérience ? « La poésie se moque de nos bavardages. Elle ouvre l’autre visage du monde. Le seul. » écrit Fabrice Midal, nommant ainsi l’espace de la méditation : poésie. Une œuvre d’art invisible, une parole silencieuse, en somme. Et si la méditation était avant tout une voie poétique pour devenir plus humain ? <br /><br /><b>La poésie en méditation et en psychanalyse</b><br />Affirmer que la méditation ait un rapport si profond avec la poésie peut surprendre. Cela paraîtrait sans doute tout aussi étrange si les psychanalystes s’en réclamaient, et rapprochaient leur pratique d’une tentative de poème. C’est pourtant l’inflexion suivie par Jacques Lacan, dans sa quête renouvelée d’un rapport plus libre au désir où l’ignorance n’aurait pas le dessus sur la vérité. Dans son séminaire de 1976-77 « L’insu-que-sait de l’une-bévue s’aile-à-mourre » (non publié), un de ses derniers, il incite les psychanalystes à s’inspirer de la poésie dans leurs interventions auprès des patients. Ne cherchant nullement à revenir sur sa proximité de jeunesse d’avec le mouvement surréaliste, – mais désignant une manière neuve de redonner à la parole toute son inventivité, toute sa réalité individuelle, dans ses chatoiements les plus divers. Il s’agirait, dit-il, de « donner l’idée d’une structure qui incarne le sens d’une façon correcte », c’est « le tour de force » que réalise le poète. Lacan ira même jusqu’à dire « il n’y a que la poésie qui permette l’interprétation », ce qui renouvelle l’entente de la psychanalyse loin du carcan des concepts déjà connus d’avance, rendant la part de création propre à tout travail thérapeutique. Pour le dire en langage lacanien, le lieu de l’Autre est ouvert par le poème qui est question maintenue ouverte plus que réponse, tentative de dire sans points de référence. De même Francis Ponge écrit : « La poésie est à la portée de tout le monde ; si tout le monde avait le courage de ses goûts et de ses associations d’idées et exprimait cela honnêtement, tout le monde serait poète ! La difficulté c’est que les mots sont tellement poussiéreux, il faut leur redonner de la vivacité… » </span><br />
<span style="font-size: large;"><br />Ici le travail supposé de l’analyste, celui du poète et celui du méditant convergent parfaitement. Dans des mondes différents, ils visent à redonner sa vivacité à la vie, à retrouver une parole libérée, la justesse de son désir profond, à sortir enfin du règne de l’utilité. C’est cela qui est si touchant. Car le miracle, il faut bien l’appeler ainsi en nos temps de pression quotidienne et démesurée qui pèse sur l’homme, est le fait qu’une séance de psychanalyse s’abstrait de toute évaluation directe. Dans ce lieu autre, on se raconte, sans savoir à quoi cela sert. En ce sens une analyse est un espace poétique qu’il est possible de se ménager dans l’existence. Enfin, respirer, reprendre son souffle, et pouvoir dire. Parler pour rien, au hasard des mots, des images et des réseaux de souvenirs ou de significations qui s’imposent dans une logique qui échappe à l’emprise du moi. L’enseignement de la psychanalyse reste vivant lorsqu’on peut entendre qu’elle a partie liée avec la poésie, dans un lien irréductible qui est celui de la parole. La méditation de même, par la liberté et la lucidité qu’elle ouvre. <br /><b><br />Une épopée dans l’amour</b><br />Lacan a par ailleurs désigné ce dont il s’agit dans une analyse par le terme d’épopée, car il s’agit avant tout de narrer son existence. Il faut bien reconnaître que le chemin de la méditation est semblable dans sa vision, sinon dans ses moyens. « Le cœur de la méditation doit permettre à chacun de questionner sa propre expérience et de trouver les moyens de sa propre liberté, de retrouver un rapport plus authentique à sa propre vie » expliquait Fabrice Midal. Dès lors pourquoi se joindre à d’autres pratiquants pour mener une épopée par définition solitaire ? Pourquoi écouter les enseignements donnés par un autre, alors que nous aspirons à nous libérer des discours ? Le psychanalyste Carl Gustav Jung écrivait à ses disciples : « Je ne veux être pour vous ni un sauveur, ni un législateur, ni un éducateur. Allons, vous n’êtes plus des enfants. Légiférer, vouloir améliorer, faciliter est devenu une erreur et un mal. Que chacun cherche son propre chemin. Le chemin conduit à un amour réciproque dans la communauté. » Le programme est exemplaire. Chacun a à chercher son propre chemin. Mais il ne faut pas ignorer que s’il n’y a pas de règle universelle, il n’en demeure pas moins des structures communes à l’expérience, toujours partageables avec d’autres. D’autres cheminent aussi et ont en vue la même direction, ce qui fait communauté ; de ce partage naît l’amour dans un sens absolument pas naïf mais très ample. Etre attentif, par exemple lorsqu’on s’ouvre à l’autre tel qu’il est, voilà un geste d’amour. Chercher une voie pour vivre en commun et donner droit à l’humanité est un geste d’amour. Prendre sa vie au sérieux, se rendre plus sensible et disponible au monde, est amour. Alors seulement nous pouvons nous détendre avec ce que nous sommes, malgré ombres et imperfections, et nous autoriser à entrer en rapport à la situation dans son ensemble, les autres y compris. Toucher son cœur – nulle promesse – illumine le simple fait d’être humain. <br /><br />Nicolas D’Inca</span></div>
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<span style="font-size: large;"><br />Photo copyright Manuela Böhme</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-55897225435404241022012-05-20T10:53:00.002+02:002020-02-24T16:01:08.680+01:00Le Paradoxe dans l’Ecole de Palo Alto et le Zen<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj6lrtY-xbNIzeEuZWmsK5FsJO85E1qwpr5wN0DQToq1ygpuZbQFCIi67mnQ5-1dxcapVV_x9kIyk0SVpHSJRBCKrDYcW9-XKKnJl7z0QIM-alYgIEoxF5Pb1Bf9VQxRDzLXrdefLIbcvG9/s1600/Palo+Alto+Zen.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="298" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj6lrtY-xbNIzeEuZWmsK5FsJO85E1qwpr5wN0DQToq1ygpuZbQFCIi67mnQ5-1dxcapVV_x9kIyk0SVpHSJRBCKrDYcW9-XKKnJl7z0QIM-alYgIEoxF5Pb1Bf9VQxRDzLXrdefLIbcvG9/s400/Palo+Alto+Zen.jpg" width="400" /></a></div>
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<br /></div>
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<span style="font-size: large;">Comment sortir d’un cadre déjà connu et problématique en soi, et déboucher sur une nouvelle perspective libérée du problème ? Cette question est à l’horizon du changement intérieur, à la croisée de deux traditions. La grande richesse du bouddhisme Zen est d’avoir œuvré en ce sens depuis des siècles par l’usage du koan. En Occident, nous avons pour référence la pensée de l’école dite de Palo Alto qui pense le décadrage en psychothérapie. Comment apporter une transformation au patient par l’usage du paradoxe ? Et comment cela se rapporte-t-il, de manière innovante, à la question centrale au cœur de toute voie, en particulier celle de la méditation ? Grâce à l’excellent travail de synthèse opéré par le spécialiste de l’école de Palo Alto M. Jean-Luc Giribone dans une conférence donnée à l’association Jeunes&Psy, étudions cette façon d’envisager le changement profond. Et pour nous guider dans le Zen, nous marcherons dans les pas du maître le plus sûr, Shunryu Suzuki.<br /><b><br />Changements</b><br />L’école de Palo Alto a été fondée dans l’après-guerre, au Mental Research Institute de la ville de Palo Alto en Californie. Dans les années 70, le trio Watzlawick, Weakland et Fisch publie un ouvrage qui deviendra un livre fondateur « Changements. Paradoxes et Psychothérapie ». La pensée de Gregory Bateson, qui n’appartiendra jamais à l’école, était l’une des grandes références de Palo Alto, avec celle de Milton Erickson (créateur de l’hypnose ericksonienne), la troisième étant le philosophe logicien Wittgenstein. Les auteurs du livre « Changements » en définissent deux sortes : le type 1 reste encore dans le cadre du problème et ne modifie en rien sa structure, le type 2 en revanche est une réelle mutation, c’est un changement de deuxième ordre, déplaçant le cadre de pensée. Ni A ni non-A, ni l’un ni l’autre, la direction étant celle d’un tiers terme. Un thème fondamental de Palo Alto est l’idée que le patient doit être délivré de sa tentative de solution, car la réponse se trouve hors de ses attentes préconçues concernant son état.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Prenons une des histoires racontées par Watzlawick, dans laquelle une place publique est occupée par la foule pendant la Commune à Paris et un officier a reçu l’ordre de « tirer sur la canaille ». Les soldats sont en joue, la tension à son comble, l’émeute gronde, l’officier tire son sabre et annonce d’une voix forte : « Mesdames et messieurs, j’ai pour ordre de tirer sur la canaille, mais comme je vois nombre de personnes respectables, je leur demanderais de bien vouloir quitter la place afin que nous puissions viser la canaille ». La place fut vidée dans le calme en quelques minutes. C’est un excellent exemple de décadrage. Avec un humour typiquement zen, Milton Erickson raconte une histoire qui lui est arrivée avec quelqu’un s’apprêtant à le cogner parce qu’il l’avait bousculé un jour de grand vent : « Je regardais posément ma montre et lui dit avec politesse ‘il est exactement 2 heures moins 10’ – bien qu’il fut plus de 4h ! » Et il s’éloigna en laissant l’individu stupéfait. Il y a un recadrage de la situation, elle s’éclaire d’un tout autre point de vue qui désamorce complètement l’issue jusqu’alors fatale. Cela fait terriblement écho a une phrase zen : « Le Bouddha a tenté de nous libérer en détruisant notre sens commun. » Un des points essentiels est que le vrai changement affecte la position implicite qui définit les coordonnées dans lesquelles le sujet agit, pense, se représente, etc. Ainsi la notion de cadre – et comment s’en libérer – est un très bon pont entre le Zen et la psychothérapie, souligne Jean-Luc Giribone.<br /><br /><b>Le Koan Zen</b><br />Le paradoxe utilisé dans Palo Alto apporte la délivrance au patient, parce que quelqu’un le délivre de ce qui a été tout le programme de sa vie, tenter une solution qui échoue. Alors brusquement autre chose peut apparaître, un espace nouveau. On retrouve ce processus dans les techniques paradoxales du Zen. Dans la méditation, c’est le passage de l’aporie de l’esprit à la présence du corps. Shunryu Suzuki Roshi montre la nécessité de passer à cette autre logique, faisant ce saut à première vue paradoxal : « L’esprit du débutant recèle de nombreuses possibilités. L’esprit de l’expert en contient peu. » La plus connue des techniques paradoxales du Zen est le koan, ayant pour but d’épuiser l’esprit conceptuel et de déboucher sur le 3e terme logique « ni A ni non-A ». Pour cela on demande au pratiquant de se fixer sur une formule profondément absurde. L’apprenti veut vraiment arriver à quelque chose, il y a donc progression sur la voie, mais son vouloir le bloque… que faire ? On détourne l’intellect sur une formule où l’énergie de la quête se conserve mais l’ego finit par se suicider et quelque chose de la réalité apparaît. « Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as ». « Quand la lumière a disparu, où va-t-elle ? ». « Quel était votre visage avant de naître ? » On cherche un lieu qui est un non-lieu, où la vie ne peut se cristalliser, le satori ne se trouvant pas ailleurs – entre l’humour et la poésie, cet espace que l’on ne voit qu’en négatif, en le devinant entre les lignes… </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Une question est canonique dans le Zen, que les disciples posaient à leur maître « Pourquoi Bodhidharma est-il venu d’Occident ? » C’est-à-dire d’Inde en Chine, où il aurait introduit le ch’an qui deviendra le zen. Les réponses sont toutes plus belles les unes que les autres : « Quel beau lampion ! Le cyprès dans la cour. Il n’y a aucune signification à sa venue. Je n’ai pas de réponse à vous donner. A quoi sert de demander aux autres ? Encore un qui passe par le même vieux chemin… Demandez au poteau qui est planté là. Mon ignorance est pire que la vôtre. Votre question est à côté du sujet. Je vous le dirai quand je serai mort. » Toutes ces façons de parler de la présence désignent une seule chose, c’est la joie de l’ouverture au monde, à l’opposé de la souffrance créée par la fermeture d’esprit qui s’accroche à ses problèmes. Ce qui permet de dire à Suzuki « La seule voie consiste à apprécier votre vie. » Voilà qui est peut-être un secret au-delà des mots. <br /><br /><b>Méditer libre de soi</b><br />Un obstacle profond est la volonté même de progresser, la fixation sur un objectif. Les plus grands pratiquants n’ont cessé de le répéter, de même en psychothérapie dès les origines Freud a insisté sur le fait que « la guérison vient de surcroît ». Le patriarche Lin Tsi ajouterait « Plus on cherche, plus on est loin. C’est là ce que j’appelle un secret ». « Que les fruits de l’action ne soient jamais ton mobile » surenchérit la Bhagavad-Gita hindou. Ce désaccord entre ce que l’on veut et la réalité, cette contradiction fondamentale nous rapproche de la situation propre au koan. Mais c’est également le cas de la méditation assise, dont le grand principe zen est « shikantaza » : juste s’asseoir. « L’essentiel est donc de pratiquer sans aucune visée de gain rapide, sans la moindre idée de gloire ou de profit. Nous ne pratiquons zazen ni pour autrui ni pour nous-mêmes. Pratiquez zazen juste pour zazen. Asseyez-vous, simplement. » dit encore Shunryu Suzuki dans Libre de soi, libre de tout. L’aporie est la même que celle que dénonce la thérapie inspirée par Bateson, à savoir que la volonté de changer empêche toute réussite. On ne peut vouloir danser avec grâce, s’asseoir avec naturel, ou avoir de l’humour. De même il est impossible de désirer le changement, la guérison ou même l’éveil. Comment penser une action qui serait libre d’elle-même, où celui qui agit est entièrement soi, c’est-à-dire en même temps libre de soi ? Les techniques paradoxales de l’école de Palo Alto sont une des pistes à suivre pour découvrir une nouvelle porte d’entrée vers sa propre expérience, une porte qui passe par un chemin inconnu. Le Zen, le koan et la méditation sont une antique voie qui ne cesse d’être neuve à chaque fois que l’on pratique simplement sans but. Il n’y a plus de réponse à chercher à l’extérieur ou de confirmation du moi. C’est paradoxal. Nous allons mal, la planète guère mieux, la société se délite, et quel est le remède prescrit ? Shikantaza. Ne rien faire, juste s’asseoir, mais pleinement. Le mot de la fin revient à Shunryu Suzuki : « Soyez votre propre refuge et croissez tout droit vers le ciel, c’est tout. Mais c’est un peu inhabituel, n’est-ce pas ? Nous sommes peut-être fous. Certaines personnes peuvent nous juger fous et nous les estimons peut-être folles. Pas de problème. Nous ne tarderons pas à découvrir qui est fou. » </span><span style="font-size: large;"> </span><br />
<span style="font-size: large;">N.D.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /><b>Pour aller plus loin</b><br />Gregory Bateson, « <i>Vers une écologie de l’esprit</i> », Seuil, 1977<br />P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch, « <i>Changements</i> », Seuil, 1975<br />Shunryu Suzuki, « <i>Libre de soi, libre de tout</i> », Seuil, 2011<br /></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-81287126793662421742012-05-06T13:21:00.004+02:002020-02-24T14:23:15.001+01:00Conférence de Christophe André<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgw9lLzFVRnH3acEP8KDjeWTTr3ckQiQpDebpUoJs4ZioijqtmYAhj8-awDF-5oBWG6QLApZYUCo6xPGLZm-luyhqgLkSh1pAh4aIJlPx9Ee1fTub-Cidho29Gk2iwXpqU6PscwTAIROz4B/s1600/9782913366374.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgw9lLzFVRnH3acEP8KDjeWTTr3ckQiQpDebpUoJs4ZioijqtmYAhj8-awDF-5oBWG6QLApZYUCo6xPGLZm-luyhqgLkSh1pAh4aIJlPx9Ee1fTub-Cidho29Gk2iwXpqU6PscwTAIROz4B/s320/9782913366374.jpg" width="225" /></a></div>
<h2 style="color: #6aa84f; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">“La mindfulness, outil thérapeutique ou préventif ?” </span></h2>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Conférence exceptionnelle de Christophe André <br />Mardi 22 mai à 20h.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Maison des Associations du XIIe, 181 av. Daumesnil 75012 Paris.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">
(Sur inscription uniquement)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />
L'association Jeunes et PSY aura la joie de recevoir le <a href="http://christopheandre.com/" target="_blank">Dr Christophe André</a>, porte-parole de la méditation de pleine conscience dans le milieu hospitalier en France, pour sa 4e conférence de l'année sur le thème "Guérir ?".
Médecin psychiatre à l'hôpital Sainte Anne à Paris, le Dr André est l'auteur de nombreux ouvrages destinés à des lecteurs désireux de mieux comprendre les souffrances qui les traversent. En lien avec Jon Kabat-Zinn et Zindel Segal, ainsi que Matthieu Ricard à qui il dédie son dernier livre, Christophe André a développé et popularisé la 'mindfulness' pour des patients anxieux et à risque dépressif. Il répondra pour nous à la question de savoir s'il s'agit d'un outil thérapeutique ou préventif pour les patients qui en bénéficient.<br />Dernier ouvrage paru "<a href="http://www.editions-iconoclaste.fr/spip.php?article1549" target="_blank">Méditer, jour après jour</a>", L'Iconoclaste, 2012</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br />Soirée réservée aux professionnels de la santé mentale : psychologues et psychiatres, étudiants en psychologie et internes en psychiatrie. Merci de vous inscrire à l'avance, aucune inscription n'aura lieu sur place le 22 mai.
PAF 10 euros. Gratuit pour les membres de l’association.</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-4639846420537968592012-05-01T00:41:00.000+02:002020-02-24T14:23:14.346+01:00Les Séminaires de Zurich de Martin Heidegger<style>
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<div align="center" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: center;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: center;">
<span style="font-size: large;"><b>Les<i>
Séminaires de Zurich </i>de Martin Heidegger.</b></span></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: center;">
<span style="font-size: large;"><b><i>Un
dialogue entre phénoménologie et psychiatrie aujourd’hui</i></b></span></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: center;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: center;">
<span style="font-size: large;"><b><i> </i></b></span><span style="font-size: large;">Publié dans la
revue <i>Psychiatrie Française</i> Vol.
XXXXII 3/11, janvier 2012, pp. 139-146.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;">L’édition française des <i>Zollikoner
Seminare</i> de Martin Heidegger est un événement<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn1" name="_ftnref1" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[1]</span></span></span></a></span>.
Ce livre contient les dits <i>Séminaires de
Zurich</i>, tenus entre 1959 et 1969 à la clinique psychiatrique du Burghölzli
puis au domicile de Medard Boss, ainsi que les entretiens entre Heidegger et
Boss, et une partie de leur correspondance privée. Témoignage de première main
sur l’élaboration de la phénoménologie psychiatrique, ce livre est avant tout
un document de travail inestimable pour les psychiatres et psychologues
d’aujourd’hui. Il traite notamment des thèmes du temps, du corps, de la parole
et de l’écoute, de la perception, de la représentation, de la mémoire. La mise
en question de la science comme prétention totalitaire à saisir le monde ;
et l’analyse critique des fausses théories sur l’homme, qui ne permettent pas
de lui venir en aide malgré l’urgence douloureuse de sa situation, sont les
deux axes de lecture à travers lesquels nous appréhenderons l’œuvre. C’est à la
lumière de ces réflexions et de sa pensée du <i>Dasein</i> élaborée dans le maître ouvrage de 1927 <i>Etre et Temps</i> que Heidegger pense la psychiatrie moderne. Ce chemin
de pensée, si singulier, fait apparaître la nécessité de refonder une véritable
psychothérapie à dimension humaine. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;">S’adressant à des psychiatres de formation médicale, c’est-à-dire
développée sur le modèle des sciences physiques et de la nature, il s’agit pour
Heidegger d’une explication avec la Science. Il remet radicalement en question
la prétention scientifique de dire le vrai sur le monde, à avoir le dernier mot
sur ce qu’est l’être humain, à en déterminer la pensée et les conduites. Il
suggère un rapport plus pondéré à la science, conscient de ses limites et de
son impensé propre. En effet, la question centrale des séminaires est d’abord
de savoir ce qu’est l’être humain d’un point de vue proprement humain,
expérientiel, vécu ; non pas d’un point de vue scientifique, objectif,
calculable, réductible à une causalité logique, fût-elle bio-logique ou
psycho-logique. Car, le projet scientifique de la nature tel qu’il domine notre
monde depuis Galilée et Newton <i>« tient
compte de la détermination des conformités aux lois (…) mais aucunement en tenant
compte de cet étant<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn2" name="_ftnref2" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><b><span style="font-family: "times new roman";">[2]</span></b></span></span></a></span> que nous nommons
l’être humain. Si l’on part de cet état de fait, tout le fossé qui sépare
science de la nature et prise en considération de l’humain devient visible. »</i>
dit Heidegger le 2 novembre 1964. Et il ajoute que considérant l’homme comme un
étant naturel <i>« nous prétendons
déterminer l’être de l’humain à l’aide d’une méthode dont le projet n’est pas
du tout orienté sur sa manière à lui d’être. La question demeure de savoir ce
qui a la primauté : est-ce cette méthode scientifique de conceptualisation
et de calcul des conformités à la loi ou bien est-ce l’exigence de déterminer
l’être humain lui-même en tant que tel dans l’expérience de soi que fait
l’humain ? »</i>. Dès lors le risque de s’égarer devient visible, la
psychiatrie oscillant entre les deux pôles aux projets distincts de la science
et de l’humain. C’est pourquoi de tels questionnements sont au cœur de toute
approche authentique du soin psychique. Au premier chef nous pensons que la
psychanalyse, lorsqu’elle entend ce que Heidegger nomme ici « l’expérience
de soi que fait l’humain » permet d’éviter que ne se creuse plus avant le
fossé entre la science médicale et ledit « objet » dont elle traite,
l’homme souffrant. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Comme nous le
confiait François Fédier, « de ce point de vue-là Heidegger est phénoménal
– et j’ai mis longtemps à le comprendre – parce qu’il est absolument libre par
rapport à la science. Il ne dit pas du tout que la science n’a aucun intérêt,
au contraire la science est étonnante et formidable, mais l’idée de pouvoir
s’imaginer qu’on va apprendre quelque chose uniquement à partir de la science,
c’est une folie ! »<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn3" name="_ftnref3" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[3]</span></span></span></a></span>
Le philosophe fait bien sentir l’audace de la pensée heideggerienne, qui
déconcerta d’ailleurs au plus haut point le public des <i>Séminaires</i>, composé de médecins organicistes et de savants
matérialistes. Son auditoire bien des fois recule devant la trop grande liberté
de Heidegger, qui tente de les entraîner au-delà de la pensée scientifique ou
de sa parodie, comme dit Foucault, par les sciences humaines. Il parvient tout
de même, pied à pied, avec une grande patience et un art de la maïeutique digne
de Socrate, à semer une graine de pensée méditative, pour ceux qui ont renoncé
à l’hégémonie de la pensée calculante<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn4" name="_ftnref4" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[4]</span></span></span></a></span>.
Après tout, son projet avoué est de former des « médecins qui
pensent » dit-il en juillet 1965. Il ajoute en guise
d’éclaircissement : <i>« Aujourd’hui,
plus l’effet et l’utilisabilité de la science se répandent, plus la capacité et
la disponibilité pour la méditation qui porte sur ce qui a lieu dans la science
s’étrécissent, à mesure que la science accède à sa prétention d’offrir et de
gouverner </i>la<i> vérité à propos de
l’effectif vrai. Qu’est-ce qui a lieu dans le cours de la science ainsi
spécifié et livré à lui-même ? Rien de moins que l’autodestruction de
l’être humain. »</i> L’enjeu, on le voit, est vital. En d’autres termes,
la science bien qu’elle produise nombre d’effets vérifiables dans le réel ne
donne pas à l’être humain les moyens pour se penser lui-même. Bien au
contraire, elle l’aveugle à mesure que son champ d’action s’étend et se fait
plus absolu. Apparaît alors la tension entre la volonté insatiable qu’a la
science de comprendre en expliquant et maîtrisant la nature, et l’observation
heideggerienne selon laquelle l’homme n’en est pas pour autant plus en contact
avec son monde, son propre être, son humanité. Et c’est là ce qui nous
intéresse au premier chef en tant que cliniciens : comment penser la santé
mentale à une époque où la connaissance est vue comme une chose objective à
trouver dans la nature, à découvrir par le calcul en dehors de l’homme qui
connaît ? C’est pourquoi Heidegger enjoint celui qui veut garder quelque
sobriété intellectuelle, celui dont la vocation est d’aider l’être humain
psychiquement malade, à réfléchir sur ce qui se produit autour de lui à
l’époque historique qui lui revient, celle de l’achèvement de l’homme
occidental parvenu à l’extrême limite de ses possibilités. <i>« En tant que psychothérapeute, vous êtes plus particulièrement
intéressés par cette question, car pour vous ce qu’</i>est<i>, qui </i>est<i> et comment </i>est<i> l’être humain, à savoir du même coup l’être
humain actuel, est d’une importance fondamentale. »<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn5" name="_ftnref5" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><b><span style="font-family: "times new roman";">[5]</span></b></span></span></a></span></i></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;">C’est parce qu’Heidegger se trouve au cœur de cette tension
épistémologique qu’il s’adresse à des psychiatres, public scientifique <i>et</i> en rapport à l’humain, touché de
plein fouet par cette question. Il prend donc le parti d’approfondir avec eux
leur compréhension de la <i>psyché</i>, dans
son fonctionnement normal et pathologique. Ce faisant Heidegger met en lumière
l’évidence selon laquelle la théorie sous-jacente à la thérapie influe sur son
déroulement et le fait que cette théorie est fondée sur des présupposés
philosophiques. Il pointe ainsi l’impossibilité de concevoir la psychologie en
dehors de l’éclairage philosophique : il est nécessaire de penser l’homme
dans son rapport au monde pour pouvoir lui venir en aide.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Un tel propos
nous place face à l’obligation éthique d’entretenir un rapport dynamique et
éclairé à la clinique. C’est ainsi que nous pourrons garder vivante cette
« profession qui porte secours », selon la belle formule de Heidegger
dans une lettre adressée à Boss pour son 60<sup>e</sup> anniversaire. En effet,
la relation thérapeutique auprès d’êtres humains en difficulté psychique
importe beaucoup aux yeux du philosophe. En un sens, c’est par amitié pour
Boss, mais à travers lui par amicalité profonde envers ceux qui exercent cette
profession, que Heidegger essaie de toucher en plein cœur l’être en souffrance,
l’homme moderne dont la provenance est, dit-il, aussi ancienne que la
civilisation elle-même. Quant à la souffrance humaine, les diagnostics des
penseurs modernes convergent de manière frappante. Ils éclairent, comme autant
de facettes, le sens du mal de cet homme des Temps Nouveaux : renversement
des valeurs, nihilisme et perte de dignité de l’existence selon
Nietzsche ; malaise dans la civilisation, <i>Spaltung</i> irrémédiable et pulsion de mort pour Freud ;
totalitarisme, crise de la culture et échec des voies traditionnelles de
transmission pour Hannah Arendt ; machinisme, règne de la force barbare et
déracinement chez Simone Weil, etc. La liste est éloquente, car le point
central semble le même malgré les différences de formulation. Par son
absolutisation, la raison occidentale en est arrivée à son contraire : la démence.
Freud, dans un texte trop oublié de 1908<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn6" name="_ftnref6" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[6]</span></span></span></a></span>,
rappelle que l’évolution technique de la civilisation conduit malgré le confort
matériel à un surcroît de « nervosité », la répression pulsionnelle
de l’homme au nom du progrès rationnel ne pouvant conduire qu’à la maladie
mentale généralisée. Ainsi, le secours nécessaire à la survie de l’homme
moderne déborde le cadre strictement thérapeutique. La façon dont l’humanité
est enclose dans une conception du monde est, bel et bien, un problème
philosophique. Pour libérer l’homme de ce qui l’entrave, Martin Heidegger
compte sur le pouvoir de la pensée qui dégage une clairière respirable au sein
de la forêt des concepts. C’est ainsi qu’il en arrive à penser la sortie de la
métaphysique, mouvement qui se retire de la philosophie pour préparer une
pensée autre par un « <i>Schritt
zurück </i>» – que Jean Beaufret traduit en français par « le pas qui
rétrocède », consonnant avec le « retour amont » cher à leur ami
commun le poète René Char. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Ce retournement
décisif, consistant en une refonte de la pensée de l’être humain, est opéré dès
la conférence inaugurale tenue au Burghölzli le 8 septembre 1959. Retournement
qui fait apparaître l’homme comme une présence à ce qui est donné, une
ouverture première au monde et non plus comme un sujet. Nous comprenons ainsi
le sens du mot <i>Dasein</i>, célèbre mais
mal compris : « être-le-là », traduction française certes
difficile mais indiquée par le philosophe lui-même. Le séminaire commence
ainsi : <i>« Toutes les idées
habituelles jusqu’ici en psychologie et en psychopathologie qui se représentent
la psyché, le sujet, la personne, le je, la conscience doivent disparaître
d’une visée daseinsanalytique au profit d’une entente tout autre. La
constitution fondamentale de l’exister humain qui doit être vue à neuf doit
être appelée </i>Da-sein<i> ou
être-au-monde. ». </i>Propos soulignés par Medard Boss : « L’être
humain n’est pas un sujet ». Une telle assertion est un séisme dont
l’amplitude rappelle celui causé par les formulations audacieuses de Freud à
l’orée du XX<sup>e </sup>siècle. L’existence d’un Inconscient remettant en
cause l’hégémonie de la conscience et dévoilant que le Moi n’est pas
« maître en sa demeure » mais repose sur un socle psychique plus
vaste, est en effet un bouleversement. La coupure épistémologique de la
psychanalyse naissant dès la <i>Traumdeutung</i>,
en 1900 selon la date d’édition voulue par Freud, place résolument la
psychologie du XX<sup>e</sup> siècle sous le signe d’un paradigme nouveau. La <i>psyché</i>, grâce à Freud, cesse d’être une
évidence mais redevient une question inhabituelle, dérangeante,
révolutionnaire.<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[7]</span></span></span></a></span></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Cette pensée qui
ferme la porte à toute forme d’<i>ego-psychology
</i>était à l’ordre du jour à Zurich en 1959, mais qu’en est-il plus de
cinquante ans après ? Il semblerait que la direction suivie par la science
médicale, et à sa suite par la psychiatrie et la psychologie, n’ait tenu aucun
compte des remarques de M. Heidegger. Aujourd’hui l’homme se pense comme un Moi
autonome qui pourrait s’autodéterminer par sa volonté, une conscience qui
aurait rapport au monde par le moyen de la représentation. C’est ici que selon
nous la philosophie et la psychanalyse auraient tout à gagner à entreprendre un
dialogue resté lettre morte. Jacques Derrida se situe dans le même horizon de
pensée dans « N’oublions pas – la psychanalyse » en 1990 : <i>« Dans l’air du temps philosophique, on
commence à faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé,
comme si la prise en compte de l’événement de la psychanalyse n’était plus de
rigueur, n’avait même plus sa place dans quelque chose comme une histoire de la
raison : comme si on pouvait continuer tranquillement le bon vieux
discours des Lumières, revenir à Kant, rappeler à la responsabilité du sujet en
restaurant l’autorité de la conscience, du moi, du cogito réflexif, d’un
« Je pense » sans peine et sans paradoxe »</i><span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn8" name="_ftnref8" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[8]</span></span></span></a></span>.
Pourtant, les deux courants analytiques que sont l’analytique du <i>Dasein</i> et la psychanalyse ne sont pas
parvenus à rectifier le tir pris par les « sciences humaines »<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn9" name="_ftnref9" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[9]</span></span></span></a></span>.
</span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;">Science humaine, voilà peut-être l’écueil écrit en toutes lettres.
N’est-ce pas une grave <i>contradictio in
adjecto </i>qui pèse lourd sur la profession ? En 2011, n’avons-nous
pas régressé par rapport au point où se trouvait la pensée en 1959 quant à la
possibilité d’une psychiatrie authentiquement humaine ? L’appui de la
phénoménologie est pour cela un atout précieux. Elle ne préjuge pas de ce
qu’est l’être humain, mais tente de se mettre à son écoute, sans passer par les
déterminations métaphysiques qui ont cours sur « l’âme » ou la <i>psyché</i> depuis deux millénaires et demi
de tradition philosophique. Elle fait apparaître ce qui de soi-même n’apparaît
pas dans le phénomène ; droit à la chose même, « <i>zur Sache selbst </i>», était le mot d’ordre du fondateur Edmund
Husserl. Dans sa lignée directe, Heidegger déclare : « avant la parole et
avant l’énonciation, toujours d’abord les phénomènes — et seulement après, les
concepts ! » Ce primat absolu du phénomène sur la phénoménologie est une
indication de méthode à laquelle il faut toujours revenir. Car la « méthode »
d’approche du phénomène humain est primordiale. Le philosophe Pierre Jacerme
éclaire le sens de ce terme grec lorsqu’il rappelle que chez Aristote le mot
garde « l’idée de chemin (<i>odos</i>)
et de questionnement. Ce n’est plus le cas quand la méthode devient un
protocole qu’on applique et qu’on suit. »<span style="font-size: x-small;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftn10" name="_ftnref10" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[10]</span></span></span></a></span>
La psychiatrie, précisément, fut elle-même la pourvoyeuse la plus fine de
l’observation de l’homme, ce phénomène par excellence. Saura-t-elle poursuivre
la tâche au XXI<sup>e</sup> siècle, demeurant chemin de pensée, questionnement
du sens de la folie, ou se renfermera-t-elle en protocole scientifique qui
prédétermine l’angle des questions et des réponses ? Il est facile de
comprendre pourquoi l’approche phénoménologique du <i>Dasein</i>, radicale, subversive, allant à la source même des
conceptions courantes de l’homme, peine à trouver quelque écho à l’époque de
Martin Heidegger comme à la nôtre. Recevant tout juste les <i>Séminaires de Zurich</i> en France, nous ne prenons pas encore la
mesure de l’impact qu’ils auront sur la théorie et la pratique psychiatriques,
voire psychanalytiques. Gageons – espérons seulement ? – un impact aussi
grand que la remise en question de l’être humain qui s’y amorce, pour une
entente plus libre de la souffrance psychique aujourd’hui.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div align="right" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: right; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;">Nicolas D’Inca</span></div>
<div align="right" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: right; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div align="right" class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: right; text-indent: 35.4pt;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 150%; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div>
<span style="font-size: large;"><br clear="all" /></span>
<br />
<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref1" name="_ftn1" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[1]</span></span></span></a>
Martin Heidegger, <i>Séminaires de Zurich</i>,
Paris, Gallimard, 2010. <span style="text-transform: uppercase;">é</span>dités
par Medard Boss, traduit de l’allemand par Caroline Gros en collaboration avec
François Fédier.</span></div>
</div>
<div id="ftn2">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref2" name="_ftn2" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[2]</span></span></span></a>
Heidegger distingue dans son œuvre l’être et l’étant, se référant en cela à la
tradition philosophique dès ses commencements les plus matinaux, dès Parménide.
Est <i>étant</i> tout ce qui existe, toute
chose. « Pour autant qu’être n’est rien d’étant, <i>distinguer l’étant de l’être</i> est ce qu’il y a de <i>plus fondamental et de plus difficile</i>.
Cela est encore plus difficile quand la pensée est déterminée par la science,
qui ne traite que de l’étant. » Heidegger, <i>Séminaires de Zurich</i>, op. cit., p. 48.</span></div>
</div>
<div id="ftn3">
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref3" name="_ftn3" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[3]</span></span></span></a>
François Fédier, dans
une interview
inédite donnée le 05/02/2011 pour l’association Jeunes&Psy.</span></div>
</div>
<div id="ftn4">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref4" name="_ftn4" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[4]</span></span></span></a>
« Il y a ainsi deux sortes de pensée, dont chacune est à la fois légitime
et nécessaire : la pensée qui calcule et la pensée qui médite. » Pour
une analyse plus détaillée de ces notions voir Martin Heidegger, <i>Sérénité</i> in <i>Questions III</i>, Gallimard, 1966</span></div>
</div>
<div id="ftn5">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref5" name="_ftn5" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[5]</span></span></span></a>
Heidegger, <i>Séminaires de Zurich</i>, op.
cit., séance du 10 mars 1965, p. 102.</span></div>
</div>
<div id="ftn6">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref6" name="_ftn6" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[6]</span></span></span></a>
Sigmund Freud, « La morale sexuelle ‘civilisée’ et la nervosité
moderne » in <i>Œuvres complètes</i>, t.
VIII</span></div>
</div>
<div id="ftn7">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref7" name="_ftn7" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[7]</span></span></span></a>
Heidegger disait dans un cours de 1937-38 : « il faut bouleverser ce
qui est devenu habituel, il faut des révolutions. La relation originale et de
bon aloi à ce qui est initial se trouve pour cette raison dans ce qui est
révolutionnaire : par le bouleversement de l’habituel, il remet en liberté
le statut en retrait de l’initial. » Traduction F. Fédier, <i>Regarder Voir</i>, Les Belles Lettres, 1995,
p. 312.</span></div>
</div>
<div id="ftn8">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref8" name="_ftn8" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[8]</span></span></span></a>
Derrida, « Let us not forget – Psychoanalysis » in <i>The Oxford Literary Review</i>, vol. 12,
n°1-2, 1990</span></div>
</div>
<div id="ftn9">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref9" name="_ftn9" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[9]</span></span></span></a>
Et ce malgré l’excellent travail de synthèse opéré par Medard Boss, cf. <i>Psychanalyse et analytique du </i>Dasein,
Vrin, 2007. Distinguons, au passage, la <i>Daseinsanalyse</i>
de Ludwig Binswanger, critiquée par Heidegger lui-même, de l’analytique du <i>Dasein</i> mise en œuvre par Medard Boss
dont il soutient les travaux. </span></div>
</div>
<div id="ftn10">
<div class="MsoFootnoteText">
<span style="font-size: large;"><a href="http://www.blogger.com/blogger.g?blogID=6724563961302767155#_ftnref10" name="_ftn10" title=""><span class="MsoFootnoteReference"><span class="MsoFootnoteReference"><span style="font-family: "times new roman";">[10]</span></span></span></a>
Pierre Jacerme, <i>L’éthique à l’ère
nucléaire</i>, Lettrages, Paris, 2005</span></div>
</div>
</div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-80038230678702924342012-04-04T20:00:00.010+02:002020-02-24T14:23:14.976+01:00Chögyam Trungpa, 25 ans après<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcQIsXLYsqCRxriqsC79-DzZkN5dz99DdNjDmyxW1gfNTrZSnHyD7EsfEdXCrdcpWaV6N-Lf6La21OcuU9jR6UBq7XwfeZCFoKd6Qs5aJkJrNIWdk8fnRHFIJ2x-0iD6Htkrc1mnHkUjQm/s1600/Trungpa+1.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5727707207422452274" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcQIsXLYsqCRxriqsC79-DzZkN5dz99DdNjDmyxW1gfNTrZSnHyD7EsfEdXCrdcpWaV6N-Lf6La21OcuU9jR6UBq7XwfeZCFoKd6Qs5aJkJrNIWdk8fnRHFIJ2x-0iD6Htkrc1mnHkUjQm/s400/Trungpa+1.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 287px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 400px;" /></a>Ce 4 avril 2012, nous fêtons le 25e anniversaire de la disparition de Chögyam Trungpa, ce maître tibétain qui a introduit le bouddhisme en Occident au XXe siècle. Figure controversée par sa liberté de ton et d’action, reconnu de son vivant par les plus grands détenteurs de la tradition qu’il a été le premier à inviter aux Etats-Unis, Trungpa Rinpoché ne cesse d’éclairer et de provoquer les jeunes générations de pratiquants. Aujourd’hui son héritage reste plus brûlant que jamais, invitant à lui rendre hommage pour son œuvre de pionnier qui nous attend encore, en avant sur la Voie.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">Un visionnaire du dharma</span><span style="font-size: large;"><br />Né en février 1940, intronisé dès son plus jeune âge comme XIe tülku d’une puissante lignée de l’école kagyü, élevé avec une rigueur exemplaire, Chögyam Trungpa du fuir son Tibet natal envahi par les communistes chinois en 1959. D’abord réfugié en Inde, où Sa Sainteté le Dalaï Lama reconnaît en lui l’avenir du bouddhisme tibétain et lui confit la direction de l’école pour les jeunes lamas. En 1963, une bourse d’études lui est octroyée par la prestigieuse université d’Oxford. Premier Tibétain à recevoir ce privilège, il prend la nationalité britannique qu’il gardera toute sa vie. Il étudie la langue et la civilisation occidentale, des religions à l’art, de la philosophie à la psychologie, sa curiosité insatiable le poussant à questionner sans cesse plus avant nos traditions. Il est invité l’année 1968 par la princesse du Bhoutan dans la grotte où pratiqua Padmasambhava avant d’entrer dans la terre barbare du Tibet. Lors de sa retraite solitaire, il a une révélation (</span><span style="font-size: large; font-style: italic;">terma</span><span style="font-size: large;">) et voit la menace qui ronge notre monde et ne lui permet pas de recevoir une parole de vie. Il nomme ce danger : les trois Seigneurs du Matérialisme, qui asservissent corps, parole et esprit. La vision qui pourrait libérer l’homme moderne de sa souffrance est tuée dans l’œuf par une réappropriation de toute chose en vue de son utilisation égoïste. Trungpa regagne l’Angleterre, en proie à de nombreux doutes ; alors qu’il conduisait sa voiture, il perd connaissance et percute la vitrine d’un magasin de farces et attrapes. Son accident, qui le laissera paralysé du côté gauche toute sa vie, est une bénédiction. Il le réveille et lui ôte toute hésitation, il comprend enfin ce qui faisait obstacle à son cheminement vers le cœur des Occidentaux. Seul l’abandon complet dans l’amour, seule l’intrépidité de partager l’intimité totale de la vie de ses étudiants permettront une véritable transformation. Quittant tout folklore tibétain faisant écran entre lui et eux, il renonce à ses vœux de moine, épouse une jeune Anglaise et s’envole pour l’Amérique, où l’attend le travail d’une vie. Pour Trungpa, l’implantation de la Voie en Amérique du Nord passe par l’aventure moderne, retrouvant l’esprit derrière la lettre. Il se met à la portée de ses étudiants, qu’il appelait ses amis, et partage leur vie, devenant dit-il « un homme ordinaire ». C’est un apprentissage mutuel et une proximité très personnelle, qui lui donneront une force de transmutation de la confusion en sagesse hors du commun. Il ne rejette rien de ses étudiants, mais inclut ce qu’ils sont à la vision plus large du dharma. Il leur permet peu à peu de se transformer en profondeur, par eux-mêmes et sans rien refuser de ce qu’ils sont. Ce geste d’amour est probablement un des enseignements les plus touchants de Chögyam Trungpa.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">La méditation, entre tradition et modernité</span><span style="font-size: large;"><br />L’œuvre essentielle de Chögyam Trungpa s’inscrit profondément dans l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. De 1970 à 1987, il enseigne inlassablement à des milliers d’Occidentaux, entre en contact avec toutes les couches de la société et exerce une influence considérable sur les milieux d’avant-garde, les artistes et les intellectuels de sa génération. Cependant son apport majeur est et restera la pratique de la méditation assise. Francisco Varela, dans un entretien réalisé quelques mois avant sa mort, donnait de poignants souvenirs de son apprentissage, pour lui décisif : « On connaît mieux l’aspect ‘folle sagesse’ de Trungpa Rinpoché, qui a été trop mis en avant au détriment de son incroyable rigueur à présenter la voie des sutras, du hinayana et du mahayana. Néanmoins le véritable coup de génie de Trungpa, ce qui restera vraiment de lui à l’avenir, c’est l’enseignement de la méditation. Personne ne l’a montrée avec autant de précision et de richesse. Il est sur ce point un exemple absolu. » A l’heure où la méditation est peu à peu restreinte à n’être qu’un instrument en vue du bien-être personnel – où l’on peut reconnaître l’influence indéniable du matérialisme psychologique – la radicalité de Chögyam Trungpa à ne jamais transiger sur la tradition de la méditation fait figure de mise en garde salutaire. Son enseignement rigoureux de la méditation est en effet la seule base de travail réelle pour que les pratiquants du bouddhisme entrent en rapport à leur propre esprit et à leur expérience. S’asseoir, rester avec soi-même, s’ouvrir, voir ce que nous sommes réellement. C’est un don sans commune mesure, le véritable sol sur lequel repose toute révolution spirituelle, et sur laquelle nous tenons aujourd’hui encore les deux pieds sur terre.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">Né moine, mort roi</span><span style="font-size: large;"><br />Si Chögyam Trungpa a parfois été tant décrié, ce n’est pas d’avoir rejoint la laïcité, mais pour son amour immodéré du dharma, qu’il n’a pas trahi une seconde de sa vie, au risque de la perdre si jeune. Son destin est d’avoir été frappé de plein fouet par la situation de l’Occident. Il est témoin de la crise profonde du monde moderne, qui est à la fois terrible car plus aucune valeur ne tient, et pourtant une chance unique pour le bouddhisme de se réinventer à neuf. Il saisit l’occasion comme personne n’a eu le courage de le faire, ce qui le place réellement en position de Padmasambhava des temps modernes, introducteur de la voie de l’éveil en contrée spirituellement dévastée. Sa Sainteté le XVIe Karmapa lors de sa venue en Amérique à l’invitation de Trungpa en 1976, reconnaît en lui un « Vidyadhara », détenteur de la sagesse, pratiquant accompli qui peut réaliser des miracles, dont le plus grand est dit-il d’avoir «planté la bannière victorieuse du dharma en Occident».<br /><br />Comme tout pionnier, Chögyam Trungpa est en avance sur son temps. Il m’est arrivé d’entendre que son enseignement serait aujourd’hui ‘dépassé’ par d’autres, comme s’il existait un progrès alors que le dévalement, la chute vers l’aval est le seul destin du fleuve une fois quittée la Source ; ou encore que le consumérisme spirituel serait moins fort à notre époque qu’à celle des hippies… On s’étonne de la naïveté de certains observateurs semble-t-il mal renseignés du ravage actuel de toutes les sphères de l’activité humaine, ces domaines pour lesquels Trungpa a tant œuvré : l’art, la psychologie, l’éducation, les philosophies et religions comparées, la présentation laïque de la méditation, etc. Après avoir fondé des centaines de centre de pratique à travers le monde grâce à son organisation Vajradhatu et avoir créé l’Institut Naropa, première université bouddhiste américaine reconnue par l’Etat, Trungpa entame la phase ultime de son enseignement. Il met dorénavant l’accent sur la dignité inhérente à tout être humain, et invite à la création d’une société éveillée pour aider, servir et sauver notre monde en péril. Habillé d’un complet-veston, armé d’un seul éventail, il transmet une vision ouverte qui transcende le bouddhisme et dépasse les clivages culturels pour embrasser l’humanité entière. Il devient peu à peu le Roi du mythique royaume de Shambhala, qui apparaît et disparaît au gré de la force spirituelle de ses habitants, hommes et femmes ordinaires engagés sur la Voie de l’éveil. Il meurt le 04 avril 1987 entouré d’un monde qui s’évanouira comme un songe, un monde à son image, digne et puissant, tendre et plein d’humour. Peu avant, il avait écrit ce poème qui continue de nous inspirer : « Né moine, Mort roi, Un tel ouragan ne s’arrête pas. Nous vous hanterons, en compagnie des dralas. Sacrée bonne chance ! »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">Bibliographie indicative :</span><span style="font-size: large;"><br />L’œuvre de Chögyam Trungpa est publiée aux éditions du Seuil, collection Points Sagesses.<br />Pour une présentation générale du chemin </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Pratique de la voie tibétaine</span><span style="font-size: large;"> (1976) et </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Le mythe de la liberté</span><span style="font-size: large;"> (1979), puis </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">L’entraînement de l’esprit</span><span style="font-size: large;"> (1998) pour la voie du mahayana et </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Tantra</span><span style="font-size: large;"> (1996) pour le vajrayana.<br />Dernier ouvrage traduit </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">La Certitude de la Voie</span><span style="font-size: large;"> (2011).<br />Voir aussi de Fabrice Midal, </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Trungpa, biographie</span><span style="font-size: large;"> (Seuil, 2002) </span><span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large;"><span style="font-size: 85%;">Cet hommage a été publié dans le journal <span style="font-style: italic;">Bouddhisme Actualités</span>, N°145 Avril 2012.</span></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-74862979149365382522012-03-12T23:39:00.006+01:002020-02-24T16:05:00.499+01:00L’art de ne pas être un égoïste, avec Richard David Precht<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA8I_n87sMao-8eM-1G-k9bhD7y-LF0_TL4u08R3NpcrwEUJx20W-0142Ql335EeLG11SzECjLfTm7wv4mwbsXyk_ZFn4oe7fhEI_5EAecX5p9QoWrnuo8ORLpQ8v5v4Zf9J_dpfgKB7tr/s1600/_MG_2480.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5719147089207661666" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA8I_n87sMao-8eM-1G-k9bhD7y-LF0_TL4u08R3NpcrwEUJx20W-0142Ql335EeLG11SzECjLfTm7wv4mwbsXyk_ZFn4oe7fhEI_5EAecX5p9QoWrnuo8ORLpQ8v5v4Zf9J_dpfgKB7tr/s400/_MG_2480.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 267px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 400px;" /></a><span style="font-size: 130%;">Le philosophe allemand Richard David Precht était de passage à Paris pour la sortie de son troisième livre traduit en français « L’art de ne pas être un égoïste. Pour une éthique responsable » (Belfond, 2012). Succès phénoménal outre-Rhin M. Precht, dont le premier ouvrage s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, rend accessible au plus grand nombre les questions cruciales de la philosophie. Dans son dernier livre il mène l’enquête sur la nature morale de l’homme et rappelle la nécessité d’une éthique pour la vie en commun qui soit valable dans un temps de crise profonde comme le nôtre. Une rencontre riche en perspectives. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Nicolas D’Inca : Cela intéressera nos lecteurs, vous citez la méditation en rapport au développement de l’attention. </span><br />
<span style="font-size: large;"><span style="font-weight: bold;">Richard David Precht : </span>Je parle de méditation dans mon livre, en soulignant que les enfants devraient l’apprendre à l’école, ce qui les aiderait à faire face au déficit d’attention qui les pénalise souvent. Ces techniques de méditation, il m’est égal qu’elles soient bouddhistes, chrétiennes ou juives, qui existent aussi ; ce n’est pas la foi qui fait la différence. C’est pour moi un moyen pour apprendre à mieux se concentrer. Nous vivons dans une société où les gens souffrent d’une grande inattention à soi, d’une fuite dans le divertissement. J’emploie même le terme de « vol de l’attention ». Les défis sont plus grands aujourd’hui que dans le passé, et l’enfance est devenue plus difficile de nos jours qu’auparavant. Les professeurs renvoient la faute aux parents, mais la plupart ne peuvent pas remplir leur rôle éducatif, car ils n’ont pas la seule responsabilité de ce manque d’attention qui touche toute notre société. C’est pourquoi je prône la mise en place d’une matière à l’école où l’enfant apprenne l’attention à soi et aux autres. On l’appellerait « philosophie » ou à l’école primaire « art de vivre ». Il faut apprendre à se concentrer et à réfléchir sur soi-même. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Ce qui est frappant pour un philosophe est votre recours à la science, en particulier à la biologie et à la psychologie pour étayer votre propos. Comment faites-vous pour allier ces approches de l’être humain ? </span><br />
<span style="font-size: large;">Les philosophes ont selon moi deux tâches bien séparées. D’abord il y a la grande école au sens strict, centrée sur la logique, qu’on appelle « philosophie analytique ». Puis d’un autre côté il y a de nombreux sujets que cette forme de pensée ne traite pas. Et personne n’est vraiment compétent dans tous ces domaines. Avec mon premier livre (« Qui suis-je et, si je suis, combien ? » Belfond 2010, Pocket 2012), j’avais déjà essayé de rassembler les champs et de créer les ponts entre tous ces savoirs pour aider les gens à gagner une vue d’ensemble. Car en général soit j’examine un phénomène dans des conditions empiriques, comme dans une expérience de psychologie, ou alors je me pose la question « est-ce logique ? » ce qui est plutôt le domaine de la philosophie. Ces deux mondes se sont séparés. Je peux les rassembler parce que je n’ai pas de chaire à l’université, ce qui me laisse une grande liberté pour faire dialoguer la science, la philosophie et la psychologie par exemple. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Il n’y a aucune référence religieuse ou spirituelle dans votre livre, en passant par un autre chemin vous retrouvez pourtant les valeurs qui animent les traditions, comme l’amour, l’altruisme, la justice… </span><br />
<span style="font-size: large;">Ces valeurs se sont diffusées dans toutes les cultures grâce aux religions, dans toutes les sociétés du monde. Seules quelques divergences subsistent, surtout quant au rôle de la femme, qui est la plus grande différence culturelle que je connaisse. Le socle est commun, dans le sens de miséricorde, de la bonté, de la loyauté ; les religions ont joué le rôle fondateur de ces règles de morale. Mais le programme de philosophie depuis le XVIIIe est aussi de donner un fondements à ces valeurs sans référence à Dieu, c’est le projet des Lumières françaises puis de l’Aufklärung allemand. Ce livre est un témoignage que les valeurs spirituelles ne sont pas l’apanage des religions, dont le nombre de croyants ne cesse de diminuer dans les sociétés occidentales. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Vous parlez beaucoup de la Shoah et de nombreux cas de conscience que vous citez en exemple sont issus de cette sombre période de l’histoire européenne. </span><br />
<span style="font-size: large;">La chose la plus importante que je dis dans le livre est que la morale n’est pas seulement une question de principes, mais surtout de contexte. Enfant en Allemagne j’avais du mal à imaginer comment la Shoah avait pu être possible. Je ne connaissais personne dont j’aurais pu croire qu’il soit prêt à commettre les horreurs irréparables que nous savons. En vieillissant hélas cela me paraît de plus en plus réaliste. Par exemple cette histoire du 101e bataillon de la police de Hambourg qui a « liquidé » un ghetto entier de civils composé de femmes et d’enfants, je l’ai souvent raconté, c’est si impressionnant. Ces hommes ne faisaient que leur « devoir » et bien qu’ils réprouvaient moralement ce qu’ils faisaient – ils avaient été laissés libre d’accepter ou de refuser cette mission – ils ont tout de même agi de manière inhumaine. Lorsqu’on regarde les expériences américaines comme celles de Stanley Milgram, on voit que la propension à l’obéissance immorale à l’autorité n’est pas l’apanage de certaines cultures ou de temps troublés comme la guerre. Ce que j’essaie de penser dans mon livre, et c’est aussi une mise en garde, est que cela pourrait se reproduire maintenant dans n’importe quelle culture du monde.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Votre réflexion morale dans ce livre s’articule en trois parties ?</span><br />
<span style="font-size: large;">La première partie pose la question : qu’est-ce que le bien et le mal ? C’est déjà très difficile de pouvoir articuler clairement cette question parce la réponse dépend avant tout du contexte. Kant a surestimé la raison par rapport aux émotions et il demande trop à l’humain, en niant l’importance de la situation réelle dans l’action morale. Or l’humain dans son évolution n’est jamais un individu isolé, nous ne sommes pas comme les léopards. Nous avons toujours vécus en groupe et tout notre comportement est en fait ancré dans cet esprit, nous ne sommes pas seuls sous le ciel étoilé en ce qui concerne la morale. Il faut faire redescendre la morale du ciel parmi les hommes, c’est la deuxième partie du livre où j’essaie de voir quel est le comportement réel de l’humain en groupe. Il existe d’innombrables études de psychologie sociale aujourd’hui qui montrent le comportement réel des gens, ce que ne traite pas la philosophie. La troisième partie est : si tout cela s’avère vrai, que pouvons-nous en apprendre pour transformer la situation sociétale aujourd’hui ? Comment pouvons-nous exercer une influence positive sur la société ? Je ne crois pas que le changement puisse venir de l’humanité comme abstraction, pas plus que de l’individu isolé. Nous sommes des êtres vivants en communauté et ne pouvons pas changer indépendamment de tous les autres. C’est pourquoi je propose de réfléchir à une manière d’influencer la morale des groupes, en renforçant les instincts sociaux pour un comportement plus élevé et en produisant une contagion morale en ce qui concerne la situation politique. C’est le sujet de la troisième partie. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Qu’est-ce qui fait le critère d’intelligence dans la situation – c’est un travail énorme que vous proposez !</span><br />
<span style="font-size: large;">Nous avons une bonne base en tant qu’humains, car par nature nous voulons être en accord avec nous-même. Sans cela il n’y aurait même pas d’éthique. Il y a sans doute des exceptions mais la grande majorité veut être bon ; bien qu’on se mente beaucoup à soi-même quant au fait de l’être vraiment, au moins la motivation va-t-elle dans ce sens. Très peu de gens peuvent supporter à la longue de se sentir mauvais. Mais ce n’est pas pour autant que l’homme est bon. Les plus grands crimes de l’humanité ont été commis au nom du bien, par des gens animés de bonnes intentions, persuadés d’être du bon côté. Hitler était sans doute persuadé de faire le bien du peuple allemand et les communistes devaient croire aux lendemains qui chantent. Qu’une action soit bonne ou mauvaise ne dépend pas des intentions. Notre héritage chrétien nous fait penser que « c’est l’intention qui compte » or les conséquences sont plus importantes. Mais il n’y a pas de mode d’emploi pour toutes les aspirations élevées. Sinon la vie serait ennuyeuse ! Rien n’est réglé d’avance. La quête est souvent plus importante que le but, les questions plus importantes que les réponses. C’est une sagesse bouddhiste je crois. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Oui, le maître Chögyam Trungpa aimait à dire « la question est la réponse ». Garder la question vivante est aussi votre chemin en tant que philosophe ? </span><br />
<span style="font-size: large;">C’est le principe même de la philosophie occidentale. En ce sens Socrate est le premier bouddhiste d’Occident ! Dans mon prochain livre, non encore paru, je cite l’histoire de l’homme qui traversant une forêt reçoit une flèche empoisonnée. Il est étendu, mourant, le médecin arrive pour le soigner mais l’homme ne permet pas qu’il arrache la flèche parce qu’il veut régler quelques questions auparavant : qui a tiré la flèche, de quel village venait-il, quel poison est-ce ? Avant d’avoir ses réponses, il meurt. Comme a dit le Bouddha, parfois le secret de la vie est d’être et non de poser des questions. D’un côté nous avons le mandat de poser tout le temps des questions et de l’autre nous ne devons jamais oublier pour autant de vivre. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><span style="font-weight: bold;">A lire :</span></span><br />
<span style="font-size: large;">Richard David Precht, <span style="font-style: italic;">« L’art de ne pas être un égoïste. Pour une éthique responsable »</span>, Belfond, 2012</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-size: large;"><span style="font-size: 85%;">Cette interview a été publiée dans le journal <span style="font-style: italic;">Bouddhisme Actualités</span>, N°144 Mars 2012. Photo copyright Manuela Böhme. </span></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-23530924239511397162012-02-08T22:18:00.003+01:002020-02-24T14:23:13.940+01:00Les prisons privées<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjP8VTYsAFvebo52LKQac8U22QMSWv1Z-FJLUlBKr5Fwa1YQMWPW4y8DSaHtV2ddOA7DzL2H3YKhGfLholXl9fSU5vdRb7vzte4wEP2ikpOlx_-FtEW5zK-okXrQH95F_U2H3FmnuFtUtTa/s1600/bouddhageneve.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5706879324538861506" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjP8VTYsAFvebo52LKQac8U22QMSWv1Z-FJLUlBKr5Fwa1YQMWPW4y8DSaHtV2ddOA7DzL2H3YKhGfLholXl9fSU5vdRb7vzte4wEP2ikpOlx_-FtEW5zK-okXrQH95F_U2H3FmnuFtUtTa/s400/bouddhageneve.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 400px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 298px;" /></a><br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 130%;"><span style="font-size: 100%;">Une fois n'est pas coutume, j'ai la grande joie d'ouvrir ce mois-ci la rubrique <span style="font-style: italic;">Psychologie et Méditation</span> à ma chère collègue Anne-Céline Karli, qui nous livre ce passionnant article sur nos "prisons privées". Qu'elle soit ici remerciée chaleureusement pour son travail !</span><span style="font-style: italic;"><br /><br />« … nous fervents tueurs d’êtres réels dans la personne successive de notre chimère. Magie médiate, imposture, il fait encore nuit, j’ai mal, mais tout fonctionne à nouveau. »</span></span><br />
<div style="text-align: right;">
<span style="font-size: 130%;">René Char, Partage Formel</span></div>
<span style="font-size: 130%;"><br />Rêve et réalité se livrent parfois un combat acharné qui, comme le dit le poète, nous fait tuer le réel au profit d'une chimère ; loin de nous libérer, ce mouvement nous emprisonne. Les prisons de notre esprit sont privées car, à moins de souffrir d’une grave maladie psychique, les menottes et les chaînes de notre folie intime ne se voient pas. Elles ne se voient pas de l’extérieur, et nous y sommes aveugles nous-mêmes. Comme des êtres nés en captivité, nous ignorons l’immensité du monde en dehors de la cellule qui nous a vus naître. Pourtant, nous avons tant et plus de moments où, absorbés dans la douce chaleur d’un rayon de soleil filtrant de la fenêtre au sommet du haut mur, nous goûtons à cet abandon hors de la conscience de soi, qui enfin abroge les limites -conceptuelles- entre soi et l’autre, soi et le monde, soi et la réalité. Naît-on vraiment en captivité ? Disons que la liberté dans laquelle nous naissons est à soutenir, tandis que tout le matériel pour construire les murs d'enceinte est à disposition. Comment se retrouve-t-on coupé de l’immensité et de l’intensité de la réalité ?<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Construction de la prison</span><br /><span style="font-style: italic;">La fuite devant l’intensité de la réalité de la souffrance.</span><br />Observons ce qu'il se passe au travers d'un exemple, la tristesse. Un enfant vit un drame intime, et pleure à chaudes larmes. La réaction de l’adulte, qui ne peut vivre sa propre tristesse, déjà emmurée, hypothèque celle-ci et tente le divertissement, la consolation ou la réprimande. Des manèges qui, à leur manière particulière, laissent entendre à l’enfant que vivre la tristesse dans sa plénitude est une attitude à bannir. Salutaire affirmation des enseignements bouddhistes (<span style="font-style: italic;">Dharma</span>) qui proclament la réalité de la souffrance et nous guérissent d’une publicité mensongère et omniprésente pour le bonheur standardisé.<br /><br /><span style="font-style: italic;">L’identification aux pensées qui nous traversent.</span><br />Un air de musique en tête, si lancinant… une ritournelle… voici ce que sont nos pensées. Sans que l’on ne s’en aperçoive, nous leur donnons figure de réalité, et allons agresser quelqu’un contre lequel nous avons des griefs imaginaires. Dans sa nouvelle <span style="font-style: italic;">Le Terrier</span>, Franz Kafka nous invite à regarder le phénomène tout à fait stupéfiant du solipsisme, l’enfermement solitaire. Fabrice Midal en a donné une lecture passionnante lors de son séminaire « Cessez de Rêver les yeux ouverts, pour une spiritualité laïque », en août 2011. Le malaise que nous ressentons à la lecture du texte est saisissant, car Kafka réussit à nous placer en observateurs de notre propre esprit, cet esprit incessamment aux aguets, telle une bête traquée dans un labyrinthe. Le discours intérieur de l’animal nous attendrit car nous reconnaissons bientôt la vaine agitation de notre esprit tentant de se prouver à lui-même qu’il existe : « Cogito ergo sum ». C’est la claustrophobie de la logique donnant un sens de certitude.<br /><br /><span style="font-style: italic;">La passion que nous vouons à cette image de nous.</span><br />Chögyam Trungpa parle d’une tour de contrôle, qui nous scrute en permanence. La psychanalyse parle de Surmoi tyrannique qui nous hait, que nous haïssons, et à qui nous faisons mine de prêter allégeance… Cela nous occupe tant que nous oublions que rien de tout ceci n’a la moindre consistance. C’est le leurre le plus profond et le plus dangereux de l’humain. Il condamne à l’agression et à la défense, à l’esprit de vengeance et à un rapport comptable, évaluateur, entre les êtres. Jacques Lacan, dans son texte célèbre des Ecrits « Le Stade du miroir comme formateur de la fonction du Je » aborde la problématique de l’enfant se découvrant et s’aliénant tout à la fois dans l’image de lui perçue dans le miroir. Cette image devient « l’instance du moi (…) dans une ligne de fiction, à jamais irréductible pour le seul individu (…) ».<br /><br />Coupés de la tristesse et de la souffrance qui nous traverse tous en tant que nous sommes humains, enivrés de rêveries qui viennent nous donner l’illusion que nous sommes bien vivants, et amoureux passionnés de l’image de nous qui en résulte, nous sommes ainsi agités dans l’espace bien restreint de notre prison. Le désespoir, l’angoisse et le sentiment d’être privés de direction dans un monde clos nous asphyxie. Là est le véritable drame. Nous avons besoin d’air ! La psychanalyse et la pratique de la méditation, dans sa tradition la plus haute, pensent tant cet enfermement que les moyens de s’en délivrer. L’une et l’autre comportent le risque de bouleverser les croyances que nous avions construites : vivre est dangereux, le « moi » existe, les pensées sont la réalité. C’est le prix à payer pour connaître une plus grande liberté.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">La psychanalyse : écouter la parole qui parle, se libérer du discours</span><br />La psychanalyse ouvre un espace qui est un lieu utopique, au sens positif du mot, le lieu du mythe et de l’inconscient. L’espace analytique est singulier car il n’appartient en propre à aucun des protagonistes de la scène. Le divan, dispositif si étrange et si plein d’intuition de Freud, élude la confrontation des deux partenaires du couple analytique. La tentation d’avoir raison – raison sur un point, mais aussi et surtout raison de l’autre qui agresse, dans sa différence, la certitude que je suis tout –, active dans le face à face banal du quotidien, n’a là plus aucune prise. L’écart entre le thérapeute et son patient va constituer cet espace « non-moi » dont parle le psychanalyste anglais D.W. Winnicott : « Il est utile, selon moi, d’envisager une troisième aire de l’existence qui n’est ni dans l’individu, ni au-dehors, dans le monde de la réalité partagée. On peut imaginer que ce mode d’exister intermédiaire se situe dans un espace potentiel, niant l’idée d’espace et de séparation entre le bébé et la mère ainsi que tout ce qui résulte de ce phénomène. »<br /><br />Cet espace, nous ne considérons pas qu’il soit conditionné à la relation primaire mère-enfant, mais existe en tous lieux de l’expérience humaine. Dans l’analyse, le dispositif encourage cet espace potentiel, lieu d’émergence de la créativité, comme une toile blanche… qui sera aussitôt remplie de fantasmes et de paroles. Les interprétations de l’analyste éclairent d’un sens nouveau tout le dit et le su, les rotondes et les impasses du terrier. Cette petite entaille répétée dans l’édification de la statue à la gloire de notre moi, à mesure qu’elle se produit, irrite, interpelle, puis désarme. Le discours est, au plan du langage, l’équivalent des murs de la prison névrotique ou des parois du terrier de Franz Kafka. La parole qui parle, déprise du moi imaginaire qui se défend, sourd de ce lieu autre, provoque libération et émerveillement. Elle crée. A la parole déployée dans l’espace de la cure psychanalytique répond le silence vivant de la pratique de la méditation.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">La méditation : de l’attention naît la bienveillance qui donne allant et confiance</span><br />S’asseoir en silence, écouter la vie nous traverser, battre sa mesure. Y être sourd, puis revenir. Voir surgir des histoires, des désirs, des peurs, de la colère, des personnes, une tonalité, et même des monstres… tout en étant assis sur un coussin, sans bouger. Se poser la question : que dois-je faire ? Rien. Juste être le souffle… quel soulagement ! Sentir que l’on est, explorer l’intelligence que recèle le corps entier dans la pratique, ce corps que nous utilisons au lieu de l’habiter. La clarté naît qui offre une aspiration fraîche et vivante ; c’est la véritable pensée, qui n’appartient pas à un moi, mais est cette prajna ou « intelligence non-née » chère aux enseignements du mahayana. Nos prisons privées, nous ne pouvons en dissoudre les barreaux qu’en prêtant attention à l’espace plein et serein qui nous porte, où que nous soyons.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Et recommencer</span><br />Puis l’obstruction, le « déval », la prison de la névrose… reviennent. Mais les murs sont comme plus éloignés, l’air est plus respirable, l’élagage crée davantage de perspective malgré la masse de la canopée, les mots sonnent un peu plus juste. Lorsqu’on a vu et entendu, pris en soi cet espace qui nous ouvre, une fermeture radicale semble moins à craindre. Il est toujours possible d’oublier, bien sûr. Mais le perdre définitivement ne semble pas possible. A défaut de faire tomber les murs d’une seule poussée, ouvrons d’ores et déjà les fenêtres !<br /><br /><br />Anne-Céline Karli est psychologue clinicienne, praticienne attachée des Hôpitaux de Paris, pratiquante de méditation, fondatrice de l’association Jeunes&Psy, instructrice de MBCT.<br />Pour lui écrire : <a href="http://www.blogger.com/ac_karli@yahoo.fr">ac_karli@yahoo.fr</a><br /><br /><span style="font-size: 100%;">Article paru dans le journal Bouddhisme Actualités N°143 février 2012</span></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-15805693096941261972011-12-06T21:41:00.006+01:002020-02-24T16:00:46.252+01:00Portrait de Lacan en maître zen<span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0O9Zyr7xFbuRx_gQHVlPKyo74Zoq_-kmK7_9XmePRUuLSagZWmi9qHi-YOdmjPuD4nMmQH9VUkDmMT_aMBZmN5A7hRtxxqHSLlyh2nTPX7vfbQidNFUTSMfVXcKaqpMkuCKWYRrJ7DojM/s1600/Lacan.J%25C2%25A9Jerry+Bauer001.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5683120527921974738" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0O9Zyr7xFbuRx_gQHVlPKyo74Zoq_-kmK7_9XmePRUuLSagZWmi9qHi-YOdmjPuD4nMmQH9VUkDmMT_aMBZmN5A7hRtxxqHSLlyh2nTPX7vfbQidNFUTSMfVXcKaqpMkuCKWYRrJ7DojM/s400/Lacan.J%25C2%25A9Jerry+Bauer001.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 400px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 300px;" /></a></span><br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Le 9 septembre 2011 a vu les trente ans de la disparition du psychanalyste <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lacan">Jacques Lacan</a>. Les passions autour de l’homme comme de la pensée lacanienne ne sont pas apaisées dans le milieu psychanalytique français. Cependant nous assistons à un changement d’époque, et l’éloignement progressif de la figure controversée de Lacan permet de retrouver quelque sobriété. Nous laissant le loisir d’éclairer d’autres aspects moins connus de son personnage hors norme. La rentrée éditoriale a donné lieu à deux parutions de Lacan au Seuil. Le premier livre fait date, comme chaque fois, puisqu’il s’agit d’un nouveau volume du grand œuvre parlé, <a href="http://www.seuil.com/livre-9782020971652.htm"><span style="font-style: italic;">Le Séminaire. Livre XIX …Ou pire</span></a> paru dans la collection du «Champ Freudien» qu’il a fondé. L’autre est édité dans une petite collection qui lui est dédiée « Paradoxes de Lacan », et s’intitule avec une ironie mordante Je parle aux murs. Peindre un portrait de Lacan en maître zen est le moindre des hommages que pouvait lui rendre Psychologie & Méditation. Ne s’est-il pas lui-même identifié avec joie à cette figure du ‘sage’ turbulent qui bouleverse l’ordre établi et ramène l’esprit égaré à la recherche directe de la vérité ?</span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">L’aventure d’une vie</span><span style="font-size: large;"><br />Lacan a vécu la psychanalyse comme l’aventure de sa vie, à laquelle il a déjà convié plusieurs générations d’analystes. En marge de sa passion première, qui est de dévoiler la vérité du désir, Lacan a été féru d’érudition, adepte de tous les savoirs, quel qu’en soit le domaine. Son audace intellectuelle le mène jusqu’au zen pour lequel il a la plus vive attirance, intérêt dont il fait part publiquement dès 1953. On ne le soulignera jamais assez, l’ouverture du premier séminaire de Jacques Lacan commence par une référence au maître zen, auquel il se compare lui-même : « Le maître interrompt le silence par n’importe quoi, un sarcasme, un coup de pied. C’est ainsi que procède dans la recherche du sens un maître bouddhiste, selon la technique zen. Il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions. » L’enseignement de la psychanalyse se veut, contrairement à ce qu’elle est souvent devenue, refus de tout système. Aucun prêt-à-penser dogmatique ne justifiera la réticence de l’analyste à réinventer sans cesse sa pratique clinique. Lacan ajoute, radical : « La pensée de Freud est la plus perpétuellement ouverte à la révision. C’est une erreur de la réduire à des mots usés. Chaque notion y possède sa vie propre. » Le parallèle est ainsi clairement établi, psychanalyse et zen ont un profond rapport en ce que ces traditions sont ouvertes au changement, fidèles au mouvement interne de la pensée, imprévisible, vivant. Le psychanalyste peut et doit donc s’octroyer une telle liberté d’action, si son désir est mu par la vérité et non par les illusions de son moi, ses mécanismes de défenses et ses résistances inconscientes. Pas d’apprentis sorciers ici, car encore faut-il savoir ce que l’on fait.<br /><br />« Pour en venir au savoir, j’ai fait remarquer dans un temps déjà lointain que l’ignorance peut être considérée dans le bouddhisme comme une passion. C’est un fait qui se justifie avec un peu de méditation. Mais, comme ce n’est pas notre fort, la méditation, il n’y a pour le faire connaître qu’une expérience. » (</span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Je parle aux murs</span><span style="font-size: large;">). Qu’il est réjouissant de lire une telle phrase, prononcée le 4 novembre 1971 à la chapelle de l’hôpital Sainte-Anne ! Car aujourd’hui la méditation est devenue une possibilité réelle pour les Occidentaux, qui n’ont plus à rêver les yeux ouverts sur les mystères de l’Orient, mais peuvent y ancrer leur expérience la plus quotidienne. L’analyste d’aujourd’hui, ou de demain, aura contre l’ignorance plus d’armes que ses prédécesseurs : expérience de la parole et méditation assise. Dévoilement médiat et immédiat de la vérité des passions.<br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">Une histoire frappante</span><span style="font-size: large;"><br />Un ancien analysant de Lacan m’a confié une anecdote inouïe, qu’il préfère pour cette raison taire au grand public. Mais, sous le couvert de l’anonymat, elle ne nous semble pas devoir rester inconnue. Prenons-là comme un apologue, une historiette qui pourra ou non faire sens ; mieux, comme un conte ch’an qui eut lieu en Chine au IXe siècle.<br /><br />Le maître Lha-Cahn était en ce temps-là à l’apogée de sa gloire, son rayonnement dépassait de loin la province de son monastère, sis sur la rive gauche du grand fleuve. Les pèlerins étaient nombreux à venir le consulter pour retrouver leur véritable visage, celui d’avant leur naissance. Le rapport du maître à la vacuité allait croissant à travers ses années de pratique et il n’hésitait plus à formuler son propos en de provocantes négations : « La femme n’existe pas », « il n’y a pas de rapport sexuel »… Xian-Lu, un jeune lettré brillant et désireux de comprendre la Grande Affaire de la vie et de la mort, se rendait chez Lha-Cahn pour des entretiens presque quotidiens, depuis des années. Il suivait même son Séminaire public destiné aux pratiquants mais aussi aux laïcs. Elève resté sage trop longtemps, hésitation sur le pas de la porte, agacement ou amusement du maître devant cette libération enfin accomplie ? Toujours est-il que lors de la dernière séance, pour la rencontre qui vient clore l’apprentissage de notre ami, le vieux Lha-Cahn lui flanque un grand coup de pied. Vlan ! en plein dans le tibia. Notre homme, confus, sort et éclate de rire. Il a compris : il est guéri de ses illusions. Aucune autorisation à demander à quiconque, le droit de vivre sa propre vie lui est acquis, Lha-Cahn lui a rendu ce qui lui appartenait en propre. Plus de trente ans après ce coup de pied mémorable, Xian-Lu rit encore en racontant l’anecdote.<br /><br />Comment ne pas penser ici à cette célèbre histoire du ch’an chinois, que l’on trouve dans les excellents </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Entretiens</span><span style="font-size: large;"> de Lin-Tsi (Fayard, 1972) ? Le maître était alors disciple de Houang-Po. Ayant reçu la bastonnade pour lui avoir demandé quelle était la grande idée du bouddhisme, Lin-Tsi atteint l’éveil et éclate de rire. « Après tout, dit-il, le bouddhisme de Houang-Po, ce n’était pas grand-chose ! ». Devant la réalité enfin dévoilée, les « idées » ne valent en effet plus grand-chose, une fois les abstractions balayées par un geste libre. Ce procédé de la gifle ou du coup de bâton, devenu une figure de rhétorique classique dans le zen, se retrouve au XXe siècle chez un psychanalyste français. Quelle que soit l’époque, un choc venu du réel qui réveille de l’esprit embrumé est un sursaut salutaire.</span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">Toujours une oreille neuve</span><span style="font-size: large;"><br />Pour commémorer son maître, Jacques-Alain Miller a écrit un petit libelle chez Navarin intitulé sobrement «Vie de Lacan». Il y conte une anecdote qui ne dépareillerait pas non plus dans une histoire du Zen. Lacan, lorsqu’il était ignoré d’un garçon de café parisien, ne se contentait pas d’attendre ; carrément, il hurlait. « Il lançait d’un seul souffle un « OOOOhhh ! », un seul, mais si sonore, si puissant, si prolongé, que tous dans la salle sursautaient et se retournaient sur lui, l’œil effrayé ou l’œil furibond. (…) Je ne le donnerai pas pour un parangon de politesse à la française, mais vous essayerez de pousser un cri à la Lacan, et vous verrez combien c’est difficile. » Les grands maîtres du ch’an et du zen poussaient leur fameux cri à réveiller les morts « Ho ! », célèbre depuis Matsu. Au-delà de l’esprit discursif, la réalité est ainsi pointée sur-le-champ et l’esprit ramené à l’instant présent. Ce cri par-delà la parole en est parfois l’expression la plus pure. C’est l’épée de Manjushri, déité de la sagesse, qui tranche le bavardage intellectuel et sentimental et rend à la vie sa clarté première. Dans une salle de café chic, l’effet devait être encore plus détonnant que dans un monastère de montagne…<br /><br />Dans son texte « Lacan l’étonnant », <a href="http://www.film-documentaire.fr/Quartier_Lacan.html,film,3757">Alain Didier-Weill</a> rappelle la grande intensité qui caractérisait le maître : « tout avec Lacan était intense, l’instant de la rencontre, de l’au revoir, de la séance. Jamais de ‘ronron’, jamais la dimension de l’habitude. » Bien sûr, n’est pas maître qui se prend pour tel, mais qui agit conformément à sa véritable nature et tente par là de réveiller, de révéler, ceux qu’il croise sur sa route. L’intensité de certains êtres, qui n’ont pas cédé sur leur désir et restent entiers, est vivifiante. Les témoignages directs de proches de Lacan sont l’occasion de l’apercevoir sous un jour surprenant, loin du cliché de l’analyste silencieux dans son fauteuil, prisonnier de sa neutralité plus ou moins bienveillante. Au contraire, cette force, ce coup, ce cri est comme un rappel du sérieux de l’existence – qui nécessite une grande liberté de ton, hors des sentiers battus. Chaque rencontre est une nouvelle chance à ne pas manquer, loin du conformisme social qui étouffe l’intensité de la présence. Grâce à cette présence d’esprit, l’écoute se renouvelle, l’oreille est toujours neuve. En ce sens, Jacques Lacan était un remarquable maître du zen.</span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Nicolas D’Inca</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span><span style="font-size: large; font-weight: bold;">A lire :</span><span style="font-size: large;"><br />Lacan, « </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Le Séminaire. Livre XIX …Ou pire</span><span style="font-size: large;"> » et « </span><span style="font-size: large; font-style: italic;">Je parle aux murs</span><span style="font-size: large;"> », Seuil, 2011<br /><span style="font-size: 85%;"><br />Ce "Portrait de Lacan en maître zen" a été publié dans le journal <span style="font-style: italic;">Bouddhisme Actualités</span>, N°141 Décembre 2011.<br />Photo copyright Jerry Bauer.</span></span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-40328308239538792882011-11-14T13:34:00.007+01:002020-02-24T14:23:14.193+01:00Affronter ses monstres intérieurs<span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMncMerQKyvIOtJ-4Uw3mxINwa6_SQuzXKBGCpJ_z9lrfvkdQuaMPTQ5x1IhoC38T9oqCfxbfTOi1mXfBBIAGFbKYsbseZOaxBtcnJekqgPtT3XEu0nNWeg15n9xh91__xi358qovstC3R/s1600/Livre.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5674829947421801602" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMncMerQKyvIOtJ-4Uw3mxINwa6_SQuzXKBGCpJ_z9lrfvkdQuaMPTQ5x1IhoC38T9oqCfxbfTOi1mXfBBIAGFbKYsbseZOaxBtcnJekqgPtT3XEu0nNWeg15n9xh91__xi358qovstC3R/s320/Livre.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 251px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 320px;" /></a></span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhNLBXqKdoHA3i2osngiLB0BcGCbk6ibQIGy4SpNI6WWdUs5CgMIXBTZ3O7V_r8MNtI6yyGaoytByLyXIkwvbgMISUdO9XfbXB2g8Rkx0vJgVJJGOtMBraxDkRMD9GvNoTKkQW8Z6HV5p59/s1600/BrunoTyszlerMilarepa.JPG" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5674829538933421266" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhNLBXqKdoHA3i2osngiLB0BcGCbk6ibQIGy4SpNI6WWdUs5CgMIXBTZ3O7V_r8MNtI6yyGaoytByLyXIkwvbgMISUdO9XfbXB2g8Rkx0vJgVJJGOtMBraxDkRMD9GvNoTKkQW8Z6HV5p59/s400/BrunoTyszlerMilarepa.JPG" style="cursor: pointer; float: left; height: 400px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 298px;" /></a><i>La visite des monstres</i> est un livre unique parce qu’il arrive à montrer, sans un mot, mais avec des dessins qui allient la délicatesse et l’inquiétante étrangeté, le visage profondément humain, c'est à dire empreint de tendresse et de vérité, de la peur et de l’angoisse. Son auteur, le peintre Bruno Tyszler, va loin, très loin même, dans la découverte du point de vulnérabilité qu’abritent nos cœurs. Or ce travail bouleversant, l’artiste le doit en partie à la pratique de la méditation et aux enseignements bouddhiques transmis par Chögyam Trungpa qu’il a rencontré lors d’un de ses derniers voyages en Europe. Ce maître pionnier, introducteur du Dharma en Occident, avait lui-même consacré une partie importante de son œuvre à la question de l’art qu’il avait reconnu très tôt comme étant l’un des lieux de la plus haute spiritualité occidentale. L’ouvrage de Bruno Tyszler est exemplaire de ce travail conjoint du bouddhisme et de l’art qui, dans une intelligence et une bonté communes, délivre les secrets de l’esprit et du cœur. <i>Bouddhisme Actualités</i> l’a rencontré dans son atelier parisien. </span><!--[if gte mso 9]><xml> <w:worddocument> <w:view>Normal</w:View> <w:zoom>0</w:Zoom> <w:hyphenationzone>21</w:HyphenationZone> <w:punctuationkerning/> <w:validateagainstschemas/> <w:saveifxmlinvalid>false</w:SaveIfXMLInvalid> <w:ignoremixedcontent>false</w:IgnoreMixedContent> <w:alwaysshowplaceholdertext>false</w:AlwaysShowPlaceholderText> <w:compatibility> <w:breakwrappedtables/> <w:snaptogridincell/> <w:wraptextwithpunct/> <w:useasianbreakrules/> <w:dontgrowautofit/> </w:Compatibility> <w:browserlevel>MicrosoftInternetExplorer4</w:BrowserLevel> </w:WordDocument> </xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml> <w:latentstyles deflockedstate="false" latentstylecount="156"> </w:LatentStyles> </xml><![endif]--></div>
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<span style="font-size: large;"><b> </b></span></div>
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<br /></div>
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<span style="font-size: large;"><b><i>Nicolas D’Inca.</i> Comment le fait de dessiner des monstres, d’entrer en rapport à l’obscur, présente-t-il pour vous un lien avec la pratique de la méditation ?</b></span></div>
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<span style="font-size: large;"><b><i>Bruno Tyszler.</i></b> Dans les contes pour enfants, il y a de nombreuses histoires de prince ou de princesse qui rencontrent un monstre et qui après en avoir eu peur, réussissent à l’apprivoiser, voir à le révéler comme princesse et prince. Le fait de regarder, d’accepter ou même d’avoir de l’amour pour ce monstre, le transfigure. La signification en est assez simple : nous pensons que quelque chose est mauvais. Dans la méditation comme dans la vie, nous évitons de regarder un certain nombre de zones d’ombre pour construire une image idéale de soi… Mais si l’on y regarde de près, si ces ombres sont mises au placard, ce n’est pas parce qu’elles seraient indignes mais parce qu’elles révèlent les points sensibles de notre être. Elles nous mettent à nu et c’est cela qui nous effraie. C’est comme dans le film <i>La belle et la bête</i> de Jean Cocteau : la jeune fille a beau être effrayée par le monstre, elle finit par l’aimer car elle le voit tel qu’il est. Par peur du monstrueux, on évite de regarder, passant ainsi à côté de la part riche et belle de l’être.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Avez-vous eu cette expérience dans la méditation ?</b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Généralement nous masquons nos faiblesses, parce que nous croyons qu’elles ne sont pas belles, illusionnés que nous sommes par une image idéale de nous-même. Nous refusons de nous relier aux kleshas, de reconnaître la jalousie ou la colère qui sont en nous. On ne veut tout simplement pas les reconnaître, alors que ce sont des expériences assez simples. La méditation nous apprend à les regarder, sans y porter aucun jugement de valeur moral. Derrière les kleshas, qui sont des formes de crispation, se trouve en vérité la vulnérabilité du coeur. Dès lors si l’on ne reconnaît pas les aspects les plus difficiles, les plus irritants, les plus douloureux de notre être, nous ne pouvons pas non plus en toucher l’aspect tendre. Il nous faut apprendre à accueillir véritablement tout ce qui survient, tapis dans l’ombre ou pas ! </span></div>
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<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>En regardant vos monstres, on peut ressentir ce mouvement de recul qui refuse d’entrer en relation à ce qui semble effrayant ; puis, osant les regarder on s’aperçoit qu’ils disent quelque chose de personnel, de familier, de tendre même et qui va bien au-delà de la peur. </b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Oui, l’idée principale est qu’on peut accueillir ces ombres, qu’il n’y a pas à s’arrêter à la peur, qu’il y a quelque chose de très bon à découvrir une fois qu’elle est dépassée. C’est pourquoi j’opère la distinction entre le monstre et le monstrueux. Est monstrueuse une personne qui ne peut plus entrer en rapport à sa propre vulnérabilité. Les hommes qu’on appelle des « monstres » comme Hitler sont des personnes qui se tiennent toujours dans ce lieu de l’horreur inhumaine qui refuse d’être touchée. Leur projection sur le monde est si solide que leur haine devient radicale, absolue. Il n’y a plus d’ouverture, plus de fragilité, plus d’interrogation possible. Alors que les monstres au contraire nous rappellent paradoxalement à notre humanité. Ces monstres effrayants, repoussants, parfois ridicules nous rappellent à une part de nous-même ainsi qu’à une part de l’humanité délaissée que généralement nous ne voulons pas voir. Nous ne sommes pas des supermans, nous ne sommes pas parfaits, ni moralement ni physiquement. Et c’est très beau ainsi. Une fleur en plastique, quoiqu’ « esthétique », est sans vie, sans sève. La fleur vivante, est certes mortelle, mais sa fragilité extrême lui donne son incomparable beauté. Sa beauté vient de sa fragilité même. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Cette manière de se relier au monstre traverse-t-il tout le cheminement du pratiquant ? </b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Même les grands pratiquants, à un haut niveau de réalisation, rencontre des monstres ! Voilà qui mérite d’être gardé en mémoire. Milarépa, déjà devenu un grand yogi, franchit une étape majeure lors d’une rencontre avec des monstres. Il est parvenu à un point de dénuement extrême dans sa vie, tous ses vêtements ont été emportés par le vent, il fait froid dans les montagnes et il rentre chez lui après avoir cueilli des orties pour son repas. Il revient dans sa caverne et des sortes de gnomes avec des yeux globuleux sont là. Ils font beaucoup de bruit, des grimaces, hurlent et le dérangent, il se dit qu’il ne va plus pouvoir pratiquer. Il essaie de les faire disparaître par magie, comme il avait appris. Puis il fait des pratiques tantriques pour les chasser, avec <i>mantras</i> et <i>mudras</i>, il prend une posture courroucée pour les effrayer, mais cela fait rire les monstres. Cela ne marche pas du tout, ils sont toujours là. En dernière analyse, il change du tout au tout. Il réalise que son attitude n’est pas juste et il les invite à rester. « Si vous êtes là, c’est très bien, mangeons la soupe d’orties ensemble. » Il les accueille, il les reconnaît. A ce moment précis, ils disparaissent. C’est toujours la même chose, même à un niveau très avancé, les monstres viennent nous visiter et notre attitude face à eux est cruciale. A la fin, lors de l’éveil du Bouddha, les monstres armés de Mara sont venus le défier. Pour nous autres pratiquants ordinaires, les monstres sont nos pensées ou les émotions qui nous taraudent sans cesse pendant les heures de méditation. Cette expérience de cesser de lutter contre cela mais de regarder et de reconnaître ce qui est comme il est a été salutaire dans mon chemin. On peut donc tout à fait parler de mon travail sur les monstres en ces termes méditatifs. Cela ne veut bien sûr pas dire que je sache moi-même affronter l’ombre si facilement que cela ! Mais je sais que c’est important. Il n’y a rien à cacher et surtout à se cacher. Telle est la leçon de la méditation.</span></div>
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<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>A lire : </b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Bruno Tyszler, <i>La visite des monstres</i>, Editions du Grand Est, 2011</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Article paru dans le journal <span style="font-style: italic;">Bouddhisme Actualités</span>, N° novembre 2011</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
</div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-44407450336699601542011-10-10T12:53:00.004+02:002020-02-24T14:23:14.320+01:00Tonglen : Donner et Recevoir.<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiXPpDcfTjzMal0mF7K_uZf7xiFFaw8QxFFXgVY-mQ9Ja9n_8mZIzEoRxRt66p3jPvTN7v0SWg1FZHywJvvrjyMhOAkTqYeVAxMVU5QkvDqE1vUTMdvFfL9V1ZjFqyTlh-6SrwnhLWDXDPf/s1600/Jolie+Cathy+.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5661815714372531154" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiXPpDcfTjzMal0mF7K_uZf7xiFFaw8QxFFXgVY-mQ9Ja9n_8mZIzEoRxRt66p3jPvTN7v0SWg1FZHywJvvrjyMhOAkTqYeVAxMVU5QkvDqE1vUTMdvFfL9V1ZjFqyTlh-6SrwnhLWDXDPf/s400/Jolie+Cathy+.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 267px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 400px;" /></a><br />
<div style="text-align: justify;">
<!--[if gte mso 9]><xml> <w:worddocument> <w:view>Normal</w:View> <w:zoom>0</w:Zoom> <w:hyphenationzone>21</w:HyphenationZone> <w:punctuationkerning/> <w:validateagainstschemas/> <w:saveifxmlinvalid>false</w:SaveIfXMLInvalid> <w:ignoremixedcontent>false</w:IgnoreMixedContent> <w:alwaysshowplaceholdertext>false</w:AlwaysShowPlaceholderText> <w:compatibility> <w:breakwrappedtables/> <w:snaptogridincell/> <w:wraptextwithpunct/> <w:useasianbreakrules/> <w:dontgrowautofit/> </w:Compatibility> <w:browserlevel>MicrosoftInternetExplorer4</w:BrowserLevel> </w:WordDocument> </xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml> <w:latentstyles deflockedstate="false" latentstylecount="156"> </w:LatentStyles> </xml><![endif]--><span style="font-size: large;">Psychologie & Méditation rencontre pour vous le Dr Cathy Blanc, docteur en médecine et responsable de <a href="http://tonglen.asso.fr/">l’association Tonglen</a>. Cathy Blanc est disciple de <a href="http://france.rigpa.org/v2/lang-fr/a-propos-de-sogyal-rinpoche.html">Sogyal Rinpoché</a> à <a href="http://france.rigpa.org/v2/">Rigpa </a>et c’est au centre de retraite Lerab Ling que nous la rencontrons pour parler de son association laïque d’aide aux personnes en difficulté et d’accompagnement des mourants. </span><br />
</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Nicolas D’Inca : Que veut dire Tonglen ?</b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Dr Cathy Blanc :</b> Le mot « tonglen » est un mot issu du bouddhisme tibétain, qui signifie « donner et recevoir ». Pour nous ce nom a du sens, car nous sommes une association d’accompagnement des gens en difficulté, qu’ils soient en fin de vie, qu’ils souffrent de séparation, de solitude, de problèmes personnels avec eux-mêmes. L’accompagnement aux mourants est un aspect, mais Tonglen concerne toute personne en difficulté existentielle. L’idée qui nous anime est d’offrir un espace laïque, très ouvert, où l’on puisse utiliser les outils du bouddhisme tibétain, que l’on retrouve dans d’autres traditions. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Comment et avec qui travaillez-vous ?</b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">La grande force du bouddhisme est d’avoir une approche, un discours sur la souffrance, qui est très spécifique. On l’aborde par les notions de changement, d’impermanence, d’interdépendance… Dans l’association Tonglen nous empruntons ces outils et ce savoir-faire, mais en l’amenant de façon laïque pour que chacun s’y retrouve, quelle que soit sa tradition ou son manque de tradition. On démarre chaque rencontre par un temps qu’on appelle une «pause». Par une méditation guidée, on montre aux personnes en difficulté commet se relier aux sensations du corps. Puis on regarde ensemble des textes ou des vidéos, qui amènent un petit bout de sagesse. Puis on leur demande si cela leur parle et comment cela peut éclairer ce qu’ils traversent. Après la discussion, on refait de la méditation ; <i>shamatha</i> est le support de base, qui amène parfois des expériences qui sont bien au-delà de trouver un peu d’espace.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Dans l’association, nous accueillons des gens en difficulté, mais nous formons aussi des bénévoles qui interviennent à l’hôpital ou dans des services où il y a des gens en fin de vie, ou en souffrance. Dernièrement, on nous a appelé pour une personne qui venait d’avoir une maladie dégénérative foudroyante et qui demandait l’euthanasie. L’équipe soignante était désemparée. Un de nos bénévoles y est allé – ce sont des gens qui sont formés et qui ont compris que la méditation n’est pas juste trouver le calme, mais se relier à qui nous sommes vraiment. Il a senti que cet être hurlait de souffrance. Et il lui a proposé de le guider dans un exercice pour poser l’esprit. Au bout des 20 minutes, quand on lui a demandé comment c’était, l’homme malade a dit : « moins de souffrance. » Et à partir de ce moment-là il n’a plus demandé l’euthanasie. Quand on lui a demandé ce qu’il avait trouvé, il a dit : un espace qu’il n’avait jamais connu. Il a dit avant de mourir que le plus beau cadeau, c’était d’avoir rencontré la méditation. La qualité de ce qui se passait pour lui à ce moment lui a permis de toucher la nature de l’esprit, une présence d’une très grande qualité, suffisamment fort et vaste pour que cela soit déterminant. La pratique touche les soignants eux-mêmes, parce que le personnel était tellement surpris, curieux de savoir ce qu’on avait fait, que nous allons développer la méditation dans ce service ! </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Il n’est donc pas nécessaire d’être bouddhiste ?</b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Tonglen a pour but d’apporter des outils applicables par tous. Les pratiques pour développer l’amour-compassion sont universelles, la méditation aussi, cela n’a rien de spécialement confessionnel. Il y a des musulmans qui viennent, et ça leur paraît acceptable. Nos bénévoles ne sont pas seulement bouddhistes, simplement on leur demande d’avoir une connaissance personnelle de la méditation. Notre idée est d’accueillir toute personne qui nourrit une réflexion sur l’accompagnement et s’intéresse aux questions de la vie et de la mort. Certains sont là à titre de développement personnel, beaucoup viennent parce qu’ils ont des métiers en lien avec la souffrance et certains à titre privé, car on peut tous être amené à devoir accompagner un proche dans la maladie et la mort. La laïcité est cruciale pour nous. D’ailleurs à l’hôpital de Montpellier nous avons monté un groupe avec des professionnels : quelle spiritualité laïque dans le cadre du soin ? A Marseille a été créée une unité de soin spirituel où Rinpoché a enseigné. Dans l’hôpital, il y a un espace où l’on peut aborder ces questions de l’esprit autrement, et proposer des outils comme la méditation. Dans l’association on permet aux gens de se rendre compte qu’ils peuvent avoir des outils universels à leur disposition, qu’ils appartiennent ou non à une tradition. Ils peuvent revisiter leur spiritualité, ce qui donne sens à la vie, et ce qui permet d’être mieux avec l’autre et avec soi. Après, on a moins de crispation sur ce « je » dont on ne sait pas très bien qui il est ! Car il devient clair que nous ne sommes plus le même avant et après avoir rencontré quelqu’un. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Vous êtes médecin de formation, n’avez-vous pas souffert du manque de cette dimension, de la prise en compte de l’humain, car c’est plutôt le côté technique qui prédomine ?</b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Oui, tout à fait d’accord. Mais dans le cadre de la formation au sein de Tonglen chaque fois qu’on apporte ces notions sur l’humain, c’est comme si on permettait aux soignants de retrouver leur intention de départ. Ils se reconnaissent. Dernièrement je tenais un cours pour les étudiants en médecine, qui étaient un peu en colère à la fin du cours : Pourquoi ne nous en a-t-on jamais parlé avant ? C’était presque de la révolte devant le fait qu’on enseigne de nombreux aspects techniques du métier, mais l’essentiel reste à l’arrière-plan. En psychologie, c’est il me semble la même chose ; il y a les concepts mais pas les outils de la rencontre. Les malades psychiatriques peuvent pourtant faire toucher aux étudiants et aux psys des espaces intérieurs qu’ils ne soupçonnent pas. Grâce à la méditation certains collègues peuvent être amené à accepter pleinement la rencontre avec l’autre, à être touché par l’inattendu. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Sogyal Rinpoché m’a permis d’identifier des outils, mais mon éducation chrétienne et ma volonté très précoce de devenir médecin allaient déjà dans cette direction d’aider ceux qui souffrent. Le christianisme qui prône pourtant « d’aimer son prochain comme soi-même » n’est pas toujours à même de répondre concrètement au problème moderne du manque d’amour des gens pour eux-mêmes. Dans le bouddhisme, j’ai trouvé une réponse, un savoir-faire et un savoir-être. La méditation, les yeux ouverts, nous pose dans la vie. En même temps il est important que chacun puisse se relier à ce qui l’anime, car la méditation n’est pas juste un concept ou un outil. Qu’est-ce qui vous rend vivant et vous rapproche de vous-même ? Le fait d’être étudiante de Rinpoché m’aide à rester vraie et à ne pas m’échapper dans mes constructions mentales. Il n’est pas obligé que chacun ait un maître, mais il faut trouver comment entrer sur cette voie pour goûter réellement la méditation – ce n’est pas un gadget de plus pour l’Occident, ce qui serait une limitation. Etre attentif et bienveillant, ce serait déjà ça ! Mais il y a plus, comment se relier à sa vraie nature et rester en lien à cela dans sa vie, ce qui est du ressort de la spiritualité profonde. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div align="right" class="MsoNormal" style="text-align: right;">
<span style="font-size: large;">Propos recueillis par Nicolas D’Inca</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b> </b></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Tonglen </b><a href="http://tonglen.asso.fr/">www.tonglen.asso.fr</a></span> </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><b>Projet en cours :</b> fonder des « Maisons de Tonglen », lieux d’accueil de personnes âgées, pour vivre la retraite autrement, dans la solidarité, l’entraide et la proximité. Toute l’aide autour de ce projet est bienvenue !</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-59350527991535268672011-09-27T13:33:00.003+02:002020-02-24T14:23:14.521+01:00Jack Kornfield. Une psychologie bouddhiste<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBIYap3GOKACkSAepI3HXLPAjxwOvDi2mX94h0YG6awBIDsMIwE5bukTQ51HEedXnbjYlq8IIhJ-lIUXMhNWW7yGu4LOmzineLDlrHJyqg-VZf6f0e9weFlM3LugYlN9ZTvCdtj2wJnPYT/s1600/JK.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5657002539816965714" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjBIYap3GOKACkSAepI3HXLPAjxwOvDi2mX94h0YG6awBIDsMIwE5bukTQ51HEedXnbjYlq8IIhJ-lIUXMhNWW7yGu4LOmzineLDlrHJyqg-VZf6f0e9weFlM3LugYlN9ZTvCdtj2wJnPYT/s400/JK.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 150px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 225px;" /></a><br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Portrait de Jack Kornfield. Une psychologie bouddhiste</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Paru dans le <a href="http://www.inrees.com/magazine/inexplore/12/1">magazine <span style="font-style: italic;">Inexploré</span> N°12 </a>sept./nov. 2011</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Nicolas D’Inca est psychologue clinicien, doctorant en psychologie à l’Université de Paris, pratiquant à l’<a href="http://www.ecole-occidentale-meditation.com/">Ecole Occidentale de Méditation</a>.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Jack Kornfield est l’un des enseignants principaux du bouddhisme en Amérique. Pratiquant depuis plus de quarante ans, psychologue, marié et père de famille, sa présentation laïque de la méditation a ouvert la voie à des milliers d’Occidentaux. </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">La famille dans laquelle Jack Kornfield naît en 1945 est loin d’un idéal de paix : le père violent et tyrannique terrorise sa femme et ses quatre enfants. Jack apprend vite à se protéger, s’enfermant dans une forme de paix certes artificielle, mais vitale. Cette enfance laisse des séquelles. Trouver le moyen de se libérer de sa souffrance intérieure devient une quête. A 22 ans, l’esprit confus mais plein d’ardeur, le jeune homme s’engage dans l’humanitaire en Thaïlande, après un diplôme en études orientales.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Une souffrance tenace</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">C’est en Thaïlande qu’il rencontre Ajahn Chah (1919-1992), reconnu pour avoir été l’un des plus grands maîtres bouddhistes du 20ème siècle. Il fait partie des moines de la forêt, une tradition thaïe du bouddhisme theravada centrée sur la méditation. Lors de leur première entrevue, Ajahn Chah dit à Jack Kornfield : « J’espère que vous n’avez pas peur de souffrir. » – « Que voulez-vous dire par là ? » lui demande Kornfield étonné. « Il y a deux sortes de souffrance » lui répond le méditant, « la souffrance que vous essayez de fuir, qui vous suivra partout, et la souffrance que vous acceptez de regarder en face, trouvant la libération que le Bouddha nous a enseigné. »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Cette introduction, qui ne manque ni d’humour, ni de chaleur, le marque pour la vie. Jack s’assigne désormais pour tâche d’affronter la souffrance afin de parvenir à s’en libérer. Mais il lui reste un long chemin à parcourir. Il passe cinq ans dans les monastères de l’Asie du sud-est, vivant la vie errante des moines de la forêt, d’abord auprès d’Ajahn Chah devenu son maître en Thaïlande, puis de Mahasi Sayadaw (1904-1982) en Birmanie. Tandis que le premier enseigne la vie monastique comme abandon de tous les attachements et comme occasion de pratiquer l’attention et la compassion en toute situation, le second met l’accent sur la méditation silencieuse qui permet de voir directement son esprit. Kornfield connaît des expériences d’extase et de lumière, entre en contact avec la vacuité. Mais il se coupe de ses émotions et devient incapable de les connaître. Revenu de ses états méditatifs, il se voit agir comme quelqu’un de confus. Une question le hante : Cette tendance à quitter le monde ordinaire pour s’enfermer dans une illusion sans rapport avec la réalité, est-cela qu’on appelle spiritualité ?</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Affronter ses émotions</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">A son retour en Amérique en 1972, Jack Kornfield est brutalement confronté à l’effondrement de son « nirvana » qui lui apparaît soudain si dépendant des conditions extérieures. Il se trouve face à la nécessité de prendre sa vie en main. « J’étais émotionnellement immature, et tous mes conflits anciens avec ma famille et les amis me revinrent intacts » confie-t-il avec honnêteté.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Après des années de pratique spirituelle, Kornfield découvre en effet qu’il a toujours les mêmes problèmes affectifs, les mêmes troubles émotionnels, les mêmes difficultés relationnelles qu’avant son départ. Ses années de retraite l’ont rendu presque insensible. Lui qui a tant médité sur les principes de générosité, d’amour et de compassion, il ignore ce qu’il ressent. Le voyant si loin de lui-même, une de ses petites amies lui offre un carnet dans lequel il pourra inscrire ses sentiments et ses goûts, afin de commencer à les connaître. « Retrouver un rapport à mes émotions a été un long processus qui bouleversa ma vie », rappelle-t-il dans son livre Après l’extase, la lessive – véritable cartographie des périls de la vie spirituelle, basée sur son expérience et celles des maîtres des nombreuses traditions spirituelles de l’humanité.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Comment intégrer la méditation dans sa vie ? Cette question vitale le conduit à de grandes transformations intérieures. Kornfield abandonne ses robes de moine et commence à conduire un taxi pour gagner sa vie, s’engage dans une relation amoureuse durable et reprend des études en psychologie clinique qu’il poursuivra jusqu’au doctorat. Abandonnant le combat contre lui-même, il passe de la voie ascétique de la méditation à une manière plus compassionnée de se traiter, tournée vers la guérison intérieure.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Car le fait de vouloir sans cesse s’améliorer tout en refusant d’abord de s’accepter, est un piège qui peut égarer. Cette recherche d’un niveau supérieur de vie spirituelle signe l’emprise du « matérialisme spirituel », comme le nomme Chögyam Trungpa. Jack Kornfield comprend le grand danger qui menace les Occidentaux dans leur approche de la méditation : elle est utilisée pour demeurer en paix, nier ses émotions et ne plus se confronter aux difficultés et aux exigences de la vie moderne.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">La méditation pour l’Occident</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Le tournant est décisif. Jack Kornfield devient un bâtisseur de pont entre la méditation bouddhiste et la psychologie occidentale. Il amène certains changements profonds dans l’approche du bouddhisme aux Etats-Unis, portant notamment sur la reconnaissance des émotions et l’importance de la vie psychologique et affective des pratiquants. Rien ne sert de rêver, les problèmes personnels ne peuvent disparaître seulement avec la méditation. Un travail sur soi est indispensable.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Pour cela, Jack Korfield veut créer un cadre contemplatif adapté à la vie occidentale. Avec deux amis pratiquants, Sharon Salzberg et Joseph Goldstein, ils fondent en 1976 la Insight Meditation Society (IMS) et achètent un vieux monastère catholique dans les bois de Bare, dans le Massachussets. Ils invitent les pèlerins en quête spirituelle à les rejoindre pour des retraites de pratique. On y enseigne notamment l’Insight meditation, ou méditation intuitive, dite aussi méditation de la vue claire, plus connue en Asie sous le nom vipassana. Porter attention à son expérience du moment présent est au cœur de cette pratique.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Laïcs s’habillant à l’occidentale, ayant travail et famille, les gens viennent à eux pour des conseils pratiques sur la manière d’intégrer l’attention au quotidien, de vivre « méditativement » dans le monde. Petit à petit, naturellement, il n’y a plus de séparation entre la spiritualité et le monde moderne. Pionnier dans cette transmission rigoureuse et non sectaire de la méditation qui fait la force du bouddhisme aux Etats-Unis, Kornfield en plaisante volontiers : « La plupart des gens à qui j’enseigne la méditation ne se sentent pas bouddhistes, ce qui me convient tout à fait. Il est bien préférable de devenir un bouddha qu’un bouddhiste ! »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Quatre principes qui transforment l’attention </span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">En tant que thérapeute, Jack Kornfield utilise pour soulager les souffrances ce qu’il a appris par la méditation. L’attitude pleine de compassion envers soi-même, ses émotions et ses ressentis, est mise en pratique dans la psychologie bouddhiste via la technique RAIN – reconnaissance, acceptation, investigation et non-identification.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Il s’agit en premier lieu de reconnaître ce qui est présent. « Nous sortons du déni qui sape notre liberté » explique Jack Korfield. Puis de laisser à l’expérience sa place, de lui donner droit. « Accepter nous permet de nous détendre et de nous ouvrir. » Nous pouvons alors goûter les émotions et les examiner. C’est ce que le maître Thich Nhat Hanh appelle « voir en profondeur ». Nous constatons la nature changeante et impersonnelle de nos expériences. « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » explique-t-il dans Bouddha mode d’emploi, véritable manuel de psychologie bouddhiste.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Ce processus en quatre étapes libère des difficultés par l’utilisation des ressources intérieures de l’attention et de la conscience en éveil. Selon Jack Kornfield, la thérapie — comme la pratique de la méditation — est une activité révolutionnaire qui ne peut être accomplie confortablement. C’est un défi constant à l’identité que chacun se forge au fil de sa vie. Parler sans cesse de ses problèmes et se centrer sur son moi blessé n’aide pas, pense-t-il, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, constitue un premier pas vers la guérison. L’approche de Kornfield est ancrée dans l’expérience la plus directe, la plus personnelle et la plus humaine ; c’est sans doute ce qui fait sa force, et son succès. En 1988, le psychologue bouddhiste fonde le centre Spirit Rock en Californie, un cadre communautaire plus vaste que l’IMS qui inclut les différentes approches bouddhistes, conservatrices et novatrices.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">Le dialogue contre la haine</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Un ami et collègue enseignant de Kornfield appelle cet endroit « les Nations Unies du Bouddhisme » tant son fondateur essaie, depuis des années, de réunir les représentants de chaque tradition et de créer les conditions d’un véritable dialogue entre les différents courants bouddhistes implantés en Occident.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Car dès la fondation de l’IMS en 1976, Jack Kornfield avait découvert un problème dans le monde bouddhiste : chaque école pense être la détentrice du savoir absolu. Cela crée la haine et la peur. Kornfield, fort de l’enseignement de son maître Ajahn Chah, milite pour sortir des antagonismes par une pratique appelée « Arrêter la guerre. »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Pour cela, il organisa en 1989, la première rencontre des enseignants bouddhistes occidentaux, en présence de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Ce dernier demanda quel était l’écueil principal rencontré par les Occidentaux dans leur approche du bouddhisme. Tous s’accordèrent à dire que l’obstacle majeur est la haine de soi, la honte et la culpabilité. Après de longues minutes de discussion avec ses interprètes, le Dalaï Lama s’écria, choqué : « Mais c’est affreux ! Nous sommes tous dignes d’amour ! »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Les affections douloureuses dues au manque de respect pour soi et à la dépression étaient peu connues dans les sociétés traditionnelles où le bouddhisme a pris racine. Fort de cette leçon, Jack Kornfield met l’amour au cœur de son enseignement de la méditation. Dans Bouddha, Mode d’emploi, il écrit : « Sous la complexité de la psychologie bouddhiste demeure la simplicité de la compassion. »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">L’expression « un cœur sage » était d’ailleurs le titre original de l’ouvrage. Elle signifie que nous sommes doués de bonté et non pas damnés par le péché originel. Quelque chose en l’homme, malgré sa souffrance et ses aveuglements, voit la vérité. La réalisation est directe, venant de ce qu’Ajahn Chah appelait « Celui qui sait », le cœur clairvoyant, aimant, sage. C’est le point clef de tout l’enseignement de Kornfield, et de sa pratique thérapeutique.</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;">Lors d’une conférence en avril dernier à New York, il expliquait que « le Bouddha ne cherchait pas à créer une religion, ce qui l’intéressait était de décrire la manière dont les êtres humains sont pris par la peur, l’anxiété, la confusion et la haine (…) La méditation est simplement la compréhension et le développement de l’attention, de la présence et de la tendresse bienveillante du cœur qui existent en chacun de nous. »</span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large;"><br /></span><br />
<span style="font-size: large; font-weight: bold;">A lire :</span><br />
<span style="font-size: large;">Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011</span><br />
<span style="font-size: large;">Collection « l’esprit d’ouverture » <a href="http://www.espritdouverture.fr/">www.espritdouverture.fr</a></span><br />
<span style="font-size: large;">Le site de l’auteur <a href="http://www.jackkornfield.org/">www.jackkornfield.org</a></span></div>Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-85074856165136846082011-09-16T15:19:00.004+02:002020-02-24T14:23:15.077+01:00Se libérer du moi, selon Jack Kornfield<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiN1XSCg0AflrDudmzLEb2DiYa5UMDjt-o3unHF4ACANP_ClgHE7efiPF82Ht-ZOCRPyOeg0siOqp8R39tqT5MR0Ft13w0XcVVlnOgF6MpYWhKi5VjSOpdXIvEGXEfUJK5gFOx3Imapio4X/s1600/jack_kornfield_use_link.jpg" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5652947478437149634" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiN1XSCg0AflrDudmzLEb2DiYa5UMDjt-o3unHF4ACANP_ClgHE7efiPF82Ht-ZOCRPyOeg0siOqp8R39tqT5MR0Ft13w0XcVVlnOgF6MpYWhKi5VjSOpdXIvEGXEfUJK5gFOx3Imapio4X/s400/jack_kornfield_use_link.jpg" style="cursor: pointer; float: left; height: 267px; margin: 0pt 10px 10px 0pt; width: 222px;" /></a><br />
<style type="text/css">p { margin-bottom: 0.21cm; }</style> <br />
<div style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-size: large;">Grâce à la parution française du dernier livre de Jack Kornfield « <i>Bouddha, mode d’emploi »</i> (éditions <a href="http://www.espritdouverture.fr/">Belfond, collection <i>L’esprit d’ouverture</i></a>), et après sa présentation dans <i>Psychologie & Méditation</i>, nous pouvons examiner un point crucial de son approche. En tant que psychologue bouddhiste, Kornfield est amené à travailler avec des gens en souffrance selon l’éthique professionnelle des psychologues, mais aussi suivant les principes fondamentaux du dharma. Il se réfère notamment à l’Abhidharma, le texte ancien le plus complexe sur la nature de l’esprit. Et selon le Bouddha, le moi n’existe pas.</span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>Voir au-delà du moi</b></span></div>
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<span style="font-size: large;">Un article du célèbre magazine <i>Time</i> (2002) donne à sourire et à réfléchir : « Après plus d’un siècle de recherches, les scientifiques qui étudient le cerveau ont depuis longtemps conclu qu’on ne peut concevoir aucun endroit dans le cerveau physique où localiser le moi, et que ce dernier, tout simplement, n’existe pas. »<span style="font-family: Arial, sans-serif;"> </span>C’est ce point qui retient particulièrement notre attention. L’au-delà de l’ego, comme je l’ai maintes fois évoqué dans ces pages, sera une clef de travail très féconde pour les psychologues du XXI<sup>e</sup> siècle. Jack Kornfield explique dans « <i>Bouddha, mode d’emploi »</i> : « Le fonctionnement de cette capacité centrale, que Freud appelle “ego”, est l’une des plus importantes définitions de la santé mentale dans la psychologie occidentale. (…) Le don de la psychologie bouddhiste est de nous conduire à l’étape suivante, de nous faire évoluer jusqu’à la capacité de voir au-delà du moi distinct. Le moi fonctionnel, même à son degré le plus sain, n’est pas qui nous sommes. Puis elle dissout l’identification et révèle l’ouverture joyeuse qui existe au-delà du moi. » Cette question est généralement mal comprise. Certaines réactions défensives le montrent, comme lors du colloque « Au-delà du moi, la liberté ? » du 27 novembre 2010, qui réunissait pour la première fois psychanalystes et enseignants de méditation pour une rencontre universitaire. En effet, dès que l’on parle de dépasser le moi la crainte surgit de tomber dans le non-moi, de se confondre avec les autres ou le monde, dans une sorte d’effondrement psychotique, la vacuité devenant alors synonyme de béance morte. C.G. Jung s’est lui-même beaucoup mépris à ce sujet, puisqu’il mettait en garde les Occidentaux contre les dangers de la méditation qui mène selon lui à la dissolution de l’identité, donc à la folie. Kornfield lève les ambiguïtés lorsqu’il invite à se fier à « l’ouverture joyeuse qui existe au-delà du moi. » Ce n’est pas un vide mortel mais bien une ouverture vivante qui se trouve au-delà, en deçà du moi, ou tout simplement sans aucune référence au moi. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>Une </b><b>illusion tenace</b></span></div>
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<span style="font-size: large;">L’immense maître Dogen (1200-1253), qui ramena la méditation ch’an de la Chine jusqu’au Japon où elle devint le Zen, a dit : « Étudier la voie, c’est étudier le moi / Étudier le moi, c’est oublier le moi / Oublier le moi, c’est être éveillé par toutes les choses. » Le problème du moi, de l’ego, est donc une question qui se pose depuis les premiers temps du bouddhisme, et chaque fois qu’il pénètre dans un nouveau monde, comme ici au Japon. Mais en Inde dès les premiers temps de l’enseignement du Bouddha lui-même, il eut à faire face aux attaques des ‘éternalistes’, qui défendait le point de vue de l’atman, l’âme immortelle et individuelle. Ces délicates questions ont été traitées en Occident par la philosophie avec la pensée métaphysique et par la religion avec la pensée théologique. C’est pourquoi aussi nous voulons sans cesse rabattre le bouddhisme sur ces catégories connues. Cependant aujourd’hui, à l’ère de la science, une autre voie qui traite du problème du moi existe, c’est la psychologie. Et ici la confusion règne plus encore que dans les systèmes de pensée traditionnels qui avaient le mérite d’avoir été affinés pendant des siècles. La psychologie, en à peine plus d’un siècle, a pris le devant de la scène, puisque tout le monde se considère comme une personne, un moi, une conscience, un sujet etc. Cette identification conceptuelle a tellement pris racine, qu’il est très difficile d’entendre une autre voix, comme celle de la psychanalyse authentique. Le fait que réside au cœur de l’homme un inconscient, une dimension cachée et autre, plus vaste que le moi, devrait déjà faire réfléchir. L’ouverture vers la spiritualité et la notion de Soi développée par Jung également. Le combat incessant de Jacques Lacan contre l’ego-psychology anglo-saxonne, largement répandue désormais sous les formes les plus dévoyées dans toutes les thérapeutiques à la mode qui prétendent ramener l’individu dans une conformité à la norme sociale, est un exemple qui nous touche de près. Néanmoins même en France, et à quelques décennies près, cette vision s’estompe. L’illusion d’un moi séparé et autodéterminé par sa volonté reprend le dessus. Au fond, parler de l’ego, de ses problèmes et de ses émotions, n’est qu’une manière qu’a trouvée l’ego de se faire exister… L’incertitude, l’ouverture, la présence réelle du monde, le ratage et la perte, l’impossibilité de saisir son être propre, en un mot la liberté, tout cela est nié. La psychologie bouddhiste pourrait s’avérer une chance si elle ouvre à nouveau l’entente de l’être humain comme esprit (psyché) qui dépasse de loin sa conscience et son ego. C’est le pari de Jack Kornfield. </span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>Une absence d’identification</b></span></div>
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<span style="font-size: large;">Pour la psychologie bouddhiste selon Jack Kornfield, la non-identification est le garant de la paix authentique : « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » Ce que nous prenons pour un moi solide est provisoire, fictif, construit par une saisie temporaire à quelque partie de l’expérience. Le moi se solidifie lui-même, selon une image traditionnelle, comme de la glace flottant sur l’eau. La glace est en réalité faite de la même substance que l’eau, mais l’identification et la saisie solidifient l’eau en glace. De façon similaire, nous nous sentons séparés des autres et du monde, et souvent même de qui nous sommes réellement, en nous accrochant à une illusion. L’ego, certes, remplit une fonction organisatrice nécessaire. En psychologie occidentale, il a un fonctionnement sain dont il ne faut pas nier l’importance. Mais à terme, même ceux qui sont fragiles finiront par tirer bienfait de la liberté qui demeure au-delà de l’image de soi, au-delà de l’illusion d’un moi, nous rappelle Kornfield. En psychologie bouddhiste, le petit sentiment de soi dérive de l’illusion de séparation et nous subissons l’angoisse qu’elle crée. <i>Bouddha mode d’emploi</i> explique : « Quand nous libérons la saisie de notre propre image, il y a un énorme soulagement et le monde s’ouvre à nouveau à nous. » La psychologie bouddhiste appelle cela absence de soi ou non-soi, c’est ainsi, et ne devrait menacer quiconque. Il n’y pas de risque de disparaître soudain, sans identité, dans un trou noir. Kornfield dit lui-même « Quand je travaille avec les gens, la base de travail est la vacuité. » Son usage thérapeutique de la notion de vacuité est étonnante, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. » Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, est un premier pas vers la guérison. La vacuité est, au niveau individuel, une libération des masques et des déguisements qui, de toute façon, nous vont mal. Quand l’identification au petit sentiment de soi diminue, seul demeure le cœur vaste qui est relié à toute chose. C’est pourquoi la compassion est traditionnellement inséparable de la vacuité. Jack Kornfield, avec bienveillance, veille pour nous le rappeler. </span></div>
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<span style="font-size: large;">Nicolas D’Inca</span></div>
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<span style="font-size: large;"><b>A lire :</b></span></div>
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<span style="font-size: large;">Jack Kornfield, « <i>Bouddha, mode d’emploi »</i>, Belfond, 2011</span></div>
Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-6724563961302767155.post-85043342582654834362011-08-01T12:53:00.004+02:002020-02-24T14:23:15.052+01:00« Bouddha, mode d’emploi » avec Jack Kornfield<a onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgVKEuno5MTi3kp14B5_Dimo1Wv4DcF4VHQp6bHXIVGu2byHNMfFuZ0kqcyfUZW-RPcUzc5ZEtIrgIRdIrkw3vp6SqTc-sNwSNlOxnBZ3lB5Q53oTkGq7uBOmNjRux60rVgprqhysECotVx/s1600/Bouddha+mode+d%2527emploi.JPG"><img style="float: left; margin: 0pt 10px 10px 0pt; cursor: pointer; width: 257px; height: 400px;" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgVKEuno5MTi3kp14B5_Dimo1Wv4DcF4VHQp6bHXIVGu2byHNMfFuZ0kqcyfUZW-RPcUzc5ZEtIrgIRdIrkw3vp6SqTc-sNwSNlOxnBZ3lB5Q53oTkGq7uBOmNjRux60rVgprqhysECotVx/s400/Bouddha+mode+d%2527emploi.JPG" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5635839512543126530" border="0" /></a><br /><div style="text-align: justify;">A l’occasion de la parution française de son livre <span style="font-style: italic;">Bouddha, mode d’emploi</span> (Belfond, 2011), Psychologie & Méditation rend hommage à ce pionnier qu’est <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Jack_Kornfield">Jack Kornfield</a>, à la fois psychologue et maître de méditation. Une mise en garde aux collègues psys s’impose : « Si vous êtes un praticien ou un professionnel de la santé mentale, la psychologie bouddhiste, avec sa compréhension et ses possibilités nouvelles, va se révéler à vous comme une provocation. » Dans son dernier ouvrage, il détaille de manière très juste les différences subtiles entre les visions de l’esprit en Occident et en Orient, et comment d’un monde à l’autre les deux peuvent s’éclairer mutuellement, pour guérir au mieux la souffrance que nous partageons d’un bout à l’autre de la terre.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Un aîné exemplaire</span><br />Jack Kornfield est un des enseignants bouddhistes occidentaux les plus importants, ses ouvrages sont traduits dans de nombreux pays, et la parution de son nouveau livre devrait contribuer à le faire plus largement (re)connaître en France. Né aux Etats-Unis en 1945, il passe son doctorat de psychologie en 1967 puis reçoit une formation de moine bouddhiste en Thaïlande, en Birmanie et en Inde. Il a été, durant les années cruciales de sa jeunesse, le disciple assidu d’un des plus grands maîtres de la tradition Theravada, le <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Ajahn_Chah">Vénérable Ajahn Chah (1918-1992)</a>, qui lui conféra l’initiation monastique.<br />Il est formé aux pratiques méditatives et contemplatives, étudie les sutras (paroles du Bouddha) et l’Abhidharma (psychologie bouddhiste sur le fonctionnement de l’esprit) et se plie au code très strict du vinaya (règles monastiques établies par le Bouddha). Les « moines de la forêt », école à laquelle appartient Ajahn Chah, en plus des règles usuelles, mènent une vie ascétique de renonciation particulièrement austère. Les moines ne possèdent par exemple qu’une seule robe pour se vêtir quelle que soit la saison, dorment dans une hutte isolée dans la forêt, ne vivent que d’offrandes et ne se nourrissent qu’une fois par jour avant midi. C’est dans ce cadre qui paraîtrait rude et dénué de compassion à nombre d’Occidentaux que Jack Kornfield rencontre l’expérience de liberté intérieure qui fit de lui un homme immergé dans le dharma vivant. De retour aux Etats-Unis, il devint au fil des années, par la profondeur de son engagement et de sa compréhension, un des principaux introducteurs du bouddhisme Theravada en Occident. Son travail de passeur entre les cultures est, depuis les années soixante-dix, remarquable. En 1972, de retour de son aventure monastique asiatique, il fonde avec quelques collègues l’Insight Meditation Society, dans le Massachussetts. En 1981, il fonde le centre Vipassana Spirit Rock Center, en Californie, où il vit depuis lors. Il enseigne la méditation à travers le monde entier. Son rôle est au sens propre celui d’un aîné, notion si chère à la tradition Theravada dont il est issu, l’aîné qui montre la voie aux plus jeunes.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">Une psychologie bouddhiste</span><br />Jack Kornfield est titulaire d’un doctorat en psychologie clinique et exerce comme psychothérapeute. Il fait partie de ce courant intégratif nord-américain qui tente d’ouvrir le dialogue entre la psychothérapie et les diverses voies spirituelles authentiques. Dans son premier ouvrage traduit en français « Périls et promesses de la vie spirituelle » (Pocket), il défendait déjà la perspective selon laquelle l’approche spirituelle se combine avec le plus grand profit à la psychothérapie pour un Occidental moderne engagé dans une recherche spirituelle. Selon lui, « Ajahn Chah et d’autres maîtres bouddhistes comme lui pratiquent une psychologie vivante : l’un des systèmes de guérison et de compréhension les plus anciens et les plus développés qui existent à la surface du globe. Cette psychologie ne fait aucune distinction entre les problèmes temporels et spirituels. » C’est à Kornfield que l’on doit l’excellent « Après l’extase, la lessive » (Table ronde) dont la formulation est tellement fidèle au goût du zen, qui indique l’esprit vaste dans les actes les plus quotidiens. Ce souffle vivifiant est palpable dans ses écrits, où l’on sent l’humour et la tendresse d’un véritable pratiquant de la méditation. L’attention issue de la pratique de la méditation est bien sûr au cœur de l’approche bouddhiste de la psychologie. Selon <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Shunryu_Suzuki">Shunryu Suzuki </a>: « Nous prêtons attention avec respect et intérêt, non pas pour manipuler mais pour comprendre ce qui est vrai. Et voyant ce qui est vrai, le coeur devient libre. » L’attention, c’est-à-dire un état de conscience patient, réceptif et sans jugement, a également son importance dans la psychothérapie occidentale, comme le démontre Kornfield dans « Bouddha, mode d’emploi ». Depuis « l’attention flottante » que Freud recommandait aux psychanalystes jusqu’au « regard positif inconditionnel » du psychologue humaniste Carl Rogers, et jusqu’à la « conscience centrée sur le présent » de la Gestalt, cette forme ouverte de conscience est considérée comme un outil essentiel de guérison. Depuis 1980, près d’un millier de publications scientifiques ont décrit l’efficacité de l’attention, souvent en étudiant des pratiques méditatives basées sur une approche bouddhiste.<br /><br /><span style="font-weight: bold;">La voie de l’honnêteté et de l’amour</span><br />Jack Kornfield nous fait profiter de sa grande expérience de pratiquant de la méditation et de psychothérapeute. Dans son dernier ouvrage, il fait alterner exemples personnels, principes généraux de la psychologie bouddhiste et exercices de contemplation accessibles à tous. Un des renoncements les plus difficiles pour les moines de la tradition Theravada n’est pas tant celui du confort matériel que du confort spirituel. La voie de l’honnêteté est étroite et sans issue, aussi Ajahn Chah insistait-il toujours sur l’importance de reconnaître les choses telles qu’elles sont. Kornfield, fort de cette pratique humble et lucide, dénonce avec un courage admirable les pièges auxquels succombent nombre d’Occidentaux en préférant rêver la spiritualité que la vivre réellement. A un moment de son apprentissage, dit-il, « je découvris que pour transformer mes problèmes, je ne pouvais avoir recours à la seule méditation silencieuse. Il n’y avait ni raccourci ni échappatoire spirituelle susceptibles de m’épargner le travail d’intégration des principes que j’avais appris dans la méditation et la nécessité de les incarner au quotidien. » C’est ce défi auquel il ne cesse de nous inviter, avec bienveillance.<br />Un autre point-clef de son enseignement porte sur l’amour (« metta » en pali, plus connu sous son nom sanscrit de « maitri »). Cela permet de faire une mise au point qui s’avère nécessaire tant le Theravada est parfois réduit à n’être ‘que’ la voie de la renonciation, la voie austère des moines, le « petit véhicule » du hinayana étant souvent amalgamé avec le bouddhisme ancien. Or il n’en est rien, l’amour, le cœur vaste et aimant, la tendresse et la bonté sont des principes essentiels sur cette voie, comme sur toute voie bouddhiste. La compassion, certes typique du mahayana, n’est pourtant pas réservée aux traditions tibétaines ou japonaises, mais rejaillit tout aussi bien dans les bouddhismes thaï ou birman. Un des plus anciens sutras du canon pali, le Metta sutta, porte d’ailleurs sur l’amour bienveillant comme « suprême manière de vivre ».<br /><br />L’on mesure aisément le fossé qui sépare le vieux continent du nouveau en constatant avec quelle rapidité et quelle fermeté le bouddhisme s’est implanté dans toutes les couches de la société américaine, de l’art à la médecine, du travail social à l’éducation. Le dharma américain est déjà mûr, c’est pourquoi un aîné tel que Kornfield est précieux. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements en France. Néanmoins il apparaît déjà clairement que la révolution bouddhiste dans le soin psychique passe par le recours à l’attention, par la vue directe de la réalité et la reconnaissance de ce cœur tendre qui unit le patient et le soignant de manière indissociable. Nous ne pouvons que nous incliner et remercier Jack Kornfield de continuer à porter le flambeau et de transmettre la bonne nouvelle d’une psychologie authentiquement bouddhiste.<br /></div><br /><div style="text-align: right;">Nicolas d’Inca<br /></div><div style="text-align: justify;"><br /><span style="font-weight: bold;">A lire :</span><br />Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011<br />Collection « l’esprit d’ouverture » <a href="http://www.espritdouverture.fr/site/accueil_site_esprit_d_ouverture_&600&eso01.html">www.espritdouverture.fr</a><br />Le site de l’auteur <a href="http://www.jackkornfield.com/">www.jackkornfield.com</a><br /></div>Nicolas D'Incahttp://www.blogger.com/profile/02140959995854884498noreply@blogger.com2