Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

dimanche 11 novembre 2012

Bouddha Rebelle, avec Ponlop Rinpoché

Bouddha rebelle — ce titre surprenant dit l’essentiel de l’engagement de Ponlop Rinpoché. Ce maître tibétain de la lignée kagyü et nyingma, né en 1965 au Sikkim et vivant à Seattle aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans, a décidé de laisser tomber l’aspect religieux qui met à distance le dharma. Et si le Bouddha était un vrai rebelle ! Et si à notre tour, en choisissant de marcher dans cette voie, nous ne devrions pas nous aussi devenir des rebelles ? Une présentation décapante du chemin de la méditation, qui parlera droit au cœur des Occidentaux et en particulier de la jeune génération ayant soif de vérité au-delà du dogme. Ponlop Rinpoché, qui était en France pour présenter son nouveau livre Bouddha Rebelle. Sur la route de la liberté, paru en français chez Belfond, nous a accordé un entretien exclusif. Devant notre soulagement d’avoir affaire à un être si humain, il a répondu avec humour « oh oui, je suis un homme comme les autres, je ne suis pas un dieu – et j’en suis bien content ! » Rencontre avec un Rinpoché pas si ordinaire.

Nicolas D’Inca. « Par votre parcours, vous faites le saut de la tradition vers la modernité pour présenter le dharma. Si vous vouliez nous dire quelques mots de votre éducation et de vos maîtres ?
Dzogchen Ponlop Rinpoché. Mon monastère originel s’appelle Dzogchen et appartient à la lignée nyingma, mais en tant que réfugié j’ai été élevé dans la lignée kagyü. J’ai reçu l’héritage du mahamudra et du dzogchen, ai étudié le sanscrit en Inde, et suivi toute ma formation monastique sous la direction de Sa Sainteté le XVIe Karmapa, dans son monastère de Rumtek au Sikkim. Puis j’ai étudié à l’université de New-York et me suis familiarisé avec le monde occidental, où j’ai commencé à enseigner ; d’abord à Vancouver, au Canada ; puis à Boulder comme professeur de l’université Naropa, fondée par Chögyam Trungpa.
La présence de Sa Sainteté Karmapa était incroyablement impressionnante, elle vous réveillait sur-le-champ. Le simple fait de se trouver en sa présence, lui qui m’a élevé, était riche en enseignements. Quant à Dilgo Khyentsé Rinpoché, ses instructions mais plus encore son attention et son amour étaient à couper le souffle. Je porte toujours en moi sa gentillesse et sa bonté, qui me guident. Et enfin mon lama racine actuel, Khenpo Tsültrim Gyatso est à la fois un grand yogi et un érudit. Etre auprès de lui est… effrayant ! (il rit) Mais aussi très réconfortant. Il est si libre et si sauvage en un sens, tout à fait dans la manière de Milarépa. Il aime le Canada où nous avons pratiqué ensemble, surtout les montagnes enneigées, les glaciers, les lacs gelés qui lui rappellent le Tibet. C’est là-bas que Rinpoché a écrit une Sadhana du Mahamudra, à la fin des années 80. Pour moi, il y a ainsi de nombreux endroits sacrés au Canada. Par ailleurs j’ai assisté de nombreuses fois à la cérémonie de la Coiffe Noire, et ai servi lors du rituel à la fin de la vie du Karmapa, en 1980, en Amérique, au Canada, en Europe… Sa Sainteté a eu un rôle majeur dans ma vie, notamment parce que j’ai le sentiment qu’il m’a présenté à l’Amérique, qu’il m’a introduit dans ce monde, alors que je n’avais que 14 ans. Lors de son premier tour nous sommes restés plus de six mois. Plus tard Khyentsé Rinpoché m’y a ramené et m’a encouragé à y vivre pour enseigner. Maintenant, ma famille s’y trouve aussi, ils habitent dans l’état de New-York. Nous sommes tous Américains à présent ! Je ne suis pas retourné au Sikkim depuis 1992. Avec les années, je ne m’y sens plus chez moi.

N.D. Dans votre livre, vous dites souvent être un apatride, à la croisée de plusieurs cultures. C’est une question pour vous, mais aussi pour notre époque en crise ?
D.P.R. Oui : qui suis-je ? Voilà tout ce que je pourrais écrire sur mon passeport ! Pour ma part, c’est un voyage de découvrir quels sont les enseignements du Bouddha, et le chemin spirituel ; et de savoir quelle direction emprunter. Je trouve ce processus tellement intriguant. Cela m’a conduit à regarder de plus près : qu’est-ce qui relève de la culture, et qu’es-ce qui ressort de l’essence du message, le dharma, la sagesse elle-même ? Et ce que j’ai découvert, je le partage avec mes amis, et dans mes livres. Cela pourrait être perçu comme une critique, tel que le titre « Bouddha rebelle » le laisse entendre, mais ce n’est en rien mon intention. C’est tout simplement notre voyage. Partager cette sagesse requiert de comprendre en profondeur la culture de mes nouveaux amis, et de pénétrer le cœur de la modernité en Occident. Les anciennes traditions deviennent parfois des murs entre la sagesse et votre esprit. Nous devons dépasser les murs culturels et extraire l’essence des enseignements, comme on extrait l’huile des fleurs, mais tout en les respectant – sans ces fleurs, ces cultures, nous n’aurions plus l’essence du dharma aujourd’hui. Les méthodes pour découvrir la sagesse se transforment avec les époques et les lieux. C’est pourquoi je dis parfois que le dharma est comme l’eau, sans forme si couleur. Le pur dharma est sans culture, sans langage prédéfini, sans dogme, mais il est universel. Même si l’eau a besoin d’un contenant, nous ne devons pas devenir trop fascinés par la tasse, sans quoi nous oublierons de boire ! (Rinpoché boit une gorgée de thé).

N.D. Alors après tout, pourquoi dites-vous que le Bouddha était un rebelle ?
D.P.R. Le titre du livre est inspiré par la vie de Siddhartha. Je n’essaie pas de le dépeindre ainsi, mais lire simplement sa vie et la contempler suffit à montrer sa rébellion. Jeune prince, il abandonne son palais et son statut, il remet en question la norme sociale censée lui dire qui il était. Pour lui, cela a été une révolution intérieure plus qu’une révolte extérieure, mais il a questionné jusqu’au bout l’essence humaine : qui suis-je, qui suis-je appelé à être ? De plus en plus profond, il est entré dans son chemin questionnant, sa quête authentique. Il est alors devenu un pratiquant comme cela avait cours à l’époque, devenant un renonçant, un moine, un yogi. Puis il a aussi mis en cause ce statut, le dogme religieux et social. Il est parti pour tout recommencer à nouveau, et finalement trouver la liberté véritable, l’éveil. Son exemple est encore valable pour le monde moderne, qui nous enseigne à ne pas nous laisser prendre par les statu quo et découvrir une vraie voie du milieu.

N.D. Vous êtes souvent référé à la science, est-ce une direction pour trouver la voie dans le monde moderne ?
D.P.R. Je suis passionné avant tout par l’intelligence et la quête qui questionne toujours plus avant. C’est pourquoi je m’intéresse à la science, qui s’avère très inspirante pour cette raison, évoluant sans cesse. Néanmoins il n’existe pas d’explication scientifique pour comprendre les actes des êtres extraordinaires de la lignée. Lorsqu’il s’agit de l’esprit, la science en est encore à ses débuts, presque des balbutiements – alors que le dharma du Bouddha existe depuis 2600 ans maintenant, et les pratiquants explorent leur esprit depuis ces vingt-six siècles. D’un point de vue ultime, en somme la science apparaît assez immature. Mais l’intérêt majeur de la science est son sens du questionnement, qui en lui-même est neutre, le problème se posant au niveau de son usage. Elle peut alors devenir très dangereuse, comme l’invention de la bombe atomique le démontre. D’où l’importance de travailler avec notre esprit ! (il rit)

N.D. La voie artistique est-elle une manière de réinventer le dharma, de créer des formes, des contenants comme vous disiez, en lien à la culture occidentale ?
D.P.R. L’art et la poésie de leur côté sont des moyens très puissants de vous connecter à votre propre expérience, au-delà des limitations de vos processus mentaux, de votre intellect ou de vos concepts. Dans ma famille il y a de nombreux artistes et j’ai grandi ainsi, inspiré par l’art. Je pratique la photographie, la peinture, la calligraphie, la poésie, la musique… je ne suis pas très bon à la guitare, mais j’essaie ! (il rit) C’est une question que je contemple souvent. A un certain niveau il y a la nécessité de réinventer des formes, de l’autre côté ce n’est pas tant cela qu’intégrer la sagesse dans les formes déjà existantes. Le dharma peut exister dans toute culture, puisque nous avons tous un esprit, et la sagesse est la manière de s’y relier. La bonté, la compassion et les méthodes de travail avec les êtres peuvent tout à fait se manifester dans les formes de l’Occident. »

Pour clore l’entretien, Ponlop Rinpoché écrit en une élégante calligraphie :
 
« Ne le peins plus davantage
Le reflet authentique
Laisse-le flotter
Dans la vraie lumière de l’espace.
Le moment éveillé est libre. »

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Nicolas D’Inca

Pour aller plus loin 
http://www.nbmontreal.org/
Dzogchen Ponlop, « Bouddha Rebelle », éditions Belfond, 2012

Photo Dzogchen_Ponlop_Rinpoche @Laura Trippi
Article paru dans Bouddhisme Actualités, N°151, novembre 2012