Portrait de Jack Kornfield. Une psychologie bouddhiste
Paru dans le magazine Inexploré N°12 sept./nov. 2011
Nicolas D’Inca est psychologue clinicien, doctorant en psychologie à l’Université de Paris, pratiquant à l’Ecole Occidentale de Méditation.
Jack Kornfield est l’un des enseignants principaux du bouddhisme en Amérique. Pratiquant depuis plus de quarante ans, psychologue, marié et père de famille, sa présentation laïque de la méditation a ouvert la voie à des milliers d’Occidentaux.
La famille dans laquelle Jack Kornfield naît en 1945 est loin d’un idéal de paix : le père violent et tyrannique terrorise sa femme et ses quatre enfants. Jack apprend vite à se protéger, s’enfermant dans une forme de paix certes artificielle, mais vitale. Cette enfance laisse des séquelles. Trouver le moyen de se libérer de sa souffrance intérieure devient une quête. A 22 ans, l’esprit confus mais plein d’ardeur, le jeune homme s’engage dans l’humanitaire en Thaïlande, après un diplôme en études orientales.
Une souffrance tenace
C’est en Thaïlande qu’il rencontre Ajahn Chah (1919-1992), reconnu pour avoir été l’un des plus grands maîtres bouddhistes du 20ème siècle. Il fait partie des moines de la forêt, une tradition thaïe du bouddhisme theravada centrée sur la méditation. Lors de leur première entrevue, Ajahn Chah dit à Jack Kornfield : « J’espère que vous n’avez pas peur de souffrir. » – « Que voulez-vous dire par là ? » lui demande Kornfield étonné. « Il y a deux sortes de souffrance » lui répond le méditant, « la souffrance que vous essayez de fuir, qui vous suivra partout, et la souffrance que vous acceptez de regarder en face, trouvant la libération que le Bouddha nous a enseigné. »
Cette introduction, qui ne manque ni d’humour, ni de chaleur, le marque pour la vie. Jack s’assigne désormais pour tâche d’affronter la souffrance afin de parvenir à s’en libérer. Mais il lui reste un long chemin à parcourir. Il passe cinq ans dans les monastères de l’Asie du sud-est, vivant la vie errante des moines de la forêt, d’abord auprès d’Ajahn Chah devenu son maître en Thaïlande, puis de Mahasi Sayadaw (1904-1982) en Birmanie. Tandis que le premier enseigne la vie monastique comme abandon de tous les attachements et comme occasion de pratiquer l’attention et la compassion en toute situation, le second met l’accent sur la méditation silencieuse qui permet de voir directement son esprit. Kornfield connaît des expériences d’extase et de lumière, entre en contact avec la vacuité. Mais il se coupe de ses émotions et devient incapable de les connaître. Revenu de ses états méditatifs, il se voit agir comme quelqu’un de confus. Une question le hante : Cette tendance à quitter le monde ordinaire pour s’enfermer dans une illusion sans rapport avec la réalité, est-cela qu’on appelle spiritualité ?
Affronter ses émotions
A son retour en Amérique en 1972, Jack Kornfield est brutalement confronté à l’effondrement de son « nirvana » qui lui apparaît soudain si dépendant des conditions extérieures. Il se trouve face à la nécessité de prendre sa vie en main. « J’étais émotionnellement immature, et tous mes conflits anciens avec ma famille et les amis me revinrent intacts » confie-t-il avec honnêteté.
Après des années de pratique spirituelle, Kornfield découvre en effet qu’il a toujours les mêmes problèmes affectifs, les mêmes troubles émotionnels, les mêmes difficultés relationnelles qu’avant son départ. Ses années de retraite l’ont rendu presque insensible. Lui qui a tant médité sur les principes de générosité, d’amour et de compassion, il ignore ce qu’il ressent. Le voyant si loin de lui-même, une de ses petites amies lui offre un carnet dans lequel il pourra inscrire ses sentiments et ses goûts, afin de commencer à les connaître. « Retrouver un rapport à mes émotions a été un long processus qui bouleversa ma vie », rappelle-t-il dans son livre Après l’extase, la lessive – véritable cartographie des périls de la vie spirituelle, basée sur son expérience et celles des maîtres des nombreuses traditions spirituelles de l’humanité.
Comment intégrer la méditation dans sa vie ? Cette question vitale le conduit à de grandes transformations intérieures. Kornfield abandonne ses robes de moine et commence à conduire un taxi pour gagner sa vie, s’engage dans une relation amoureuse durable et reprend des études en psychologie clinique qu’il poursuivra jusqu’au doctorat. Abandonnant le combat contre lui-même, il passe de la voie ascétique de la méditation à une manière plus compassionnée de se traiter, tournée vers la guérison intérieure.
Car le fait de vouloir sans cesse s’améliorer tout en refusant d’abord de s’accepter, est un piège qui peut égarer. Cette recherche d’un niveau supérieur de vie spirituelle signe l’emprise du « matérialisme spirituel », comme le nomme Chögyam Trungpa. Jack Kornfield comprend le grand danger qui menace les Occidentaux dans leur approche de la méditation : elle est utilisée pour demeurer en paix, nier ses émotions et ne plus se confronter aux difficultés et aux exigences de la vie moderne.
La méditation pour l’Occident
Le tournant est décisif. Jack Kornfield devient un bâtisseur de pont entre la méditation bouddhiste et la psychologie occidentale. Il amène certains changements profonds dans l’approche du bouddhisme aux Etats-Unis, portant notamment sur la reconnaissance des émotions et l’importance de la vie psychologique et affective des pratiquants. Rien ne sert de rêver, les problèmes personnels ne peuvent disparaître seulement avec la méditation. Un travail sur soi est indispensable.
Pour cela, Jack Korfield veut créer un cadre contemplatif adapté à la vie occidentale. Avec deux amis pratiquants, Sharon Salzberg et Joseph Goldstein, ils fondent en 1976 la Insight Meditation Society (IMS) et achètent un vieux monastère catholique dans les bois de Bare, dans le Massachussets. Ils invitent les pèlerins en quête spirituelle à les rejoindre pour des retraites de pratique. On y enseigne notamment l’Insight meditation, ou méditation intuitive, dite aussi méditation de la vue claire, plus connue en Asie sous le nom vipassana. Porter attention à son expérience du moment présent est au cœur de cette pratique.
Laïcs s’habillant à l’occidentale, ayant travail et famille, les gens viennent à eux pour des conseils pratiques sur la manière d’intégrer l’attention au quotidien, de vivre « méditativement » dans le monde. Petit à petit, naturellement, il n’y a plus de séparation entre la spiritualité et le monde moderne. Pionnier dans cette transmission rigoureuse et non sectaire de la méditation qui fait la force du bouddhisme aux Etats-Unis, Kornfield en plaisante volontiers : « La plupart des gens à qui j’enseigne la méditation ne se sentent pas bouddhistes, ce qui me convient tout à fait. Il est bien préférable de devenir un bouddha qu’un bouddhiste ! »
Quatre principes qui transforment l’attention
En tant que thérapeute, Jack Kornfield utilise pour soulager les souffrances ce qu’il a appris par la méditation. L’attitude pleine de compassion envers soi-même, ses émotions et ses ressentis, est mise en pratique dans la psychologie bouddhiste via la technique RAIN – reconnaissance, acceptation, investigation et non-identification.
Il s’agit en premier lieu de reconnaître ce qui est présent. « Nous sortons du déni qui sape notre liberté » explique Jack Korfield. Puis de laisser à l’expérience sa place, de lui donner droit. « Accepter nous permet de nous détendre et de nous ouvrir. » Nous pouvons alors goûter les émotions et les examiner. C’est ce que le maître Thich Nhat Hanh appelle « voir en profondeur ». Nous constatons la nature changeante et impersonnelle de nos expériences. « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » explique-t-il dans Bouddha mode d’emploi, véritable manuel de psychologie bouddhiste.
Ce processus en quatre étapes libère des difficultés par l’utilisation des ressources intérieures de l’attention et de la conscience en éveil. Selon Jack Kornfield, la thérapie — comme la pratique de la méditation — est une activité révolutionnaire qui ne peut être accomplie confortablement. C’est un défi constant à l’identité que chacun se forge au fil de sa vie. Parler sans cesse de ses problèmes et se centrer sur son moi blessé n’aide pas, pense-t-il, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. »
Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, constitue un premier pas vers la guérison. L’approche de Kornfield est ancrée dans l’expérience la plus directe, la plus personnelle et la plus humaine ; c’est sans doute ce qui fait sa force, et son succès. En 1988, le psychologue bouddhiste fonde le centre Spirit Rock en Californie, un cadre communautaire plus vaste que l’IMS qui inclut les différentes approches bouddhistes, conservatrices et novatrices.
Le dialogue contre la haine
Un ami et collègue enseignant de Kornfield appelle cet endroit « les Nations Unies du Bouddhisme » tant son fondateur essaie, depuis des années, de réunir les représentants de chaque tradition et de créer les conditions d’un véritable dialogue entre les différents courants bouddhistes implantés en Occident.
Car dès la fondation de l’IMS en 1976, Jack Kornfield avait découvert un problème dans le monde bouddhiste : chaque école pense être la détentrice du savoir absolu. Cela crée la haine et la peur. Kornfield, fort de l’enseignement de son maître Ajahn Chah, milite pour sortir des antagonismes par une pratique appelée « Arrêter la guerre. »
Pour cela, il organisa en 1989, la première rencontre des enseignants bouddhistes occidentaux, en présence de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Ce dernier demanda quel était l’écueil principal rencontré par les Occidentaux dans leur approche du bouddhisme. Tous s’accordèrent à dire que l’obstacle majeur est la haine de soi, la honte et la culpabilité. Après de longues minutes de discussion avec ses interprètes, le Dalaï Lama s’écria, choqué : « Mais c’est affreux ! Nous sommes tous dignes d’amour ! »
Les affections douloureuses dues au manque de respect pour soi et à la dépression étaient peu connues dans les sociétés traditionnelles où le bouddhisme a pris racine. Fort de cette leçon, Jack Kornfield met l’amour au cœur de son enseignement de la méditation. Dans Bouddha, Mode d’emploi, il écrit : « Sous la complexité de la psychologie bouddhiste demeure la simplicité de la compassion. »
L’expression « un cœur sage » était d’ailleurs le titre original de l’ouvrage. Elle signifie que nous sommes doués de bonté et non pas damnés par le péché originel. Quelque chose en l’homme, malgré sa souffrance et ses aveuglements, voit la vérité. La réalisation est directe, venant de ce qu’Ajahn Chah appelait « Celui qui sait », le cœur clairvoyant, aimant, sage. C’est le point clef de tout l’enseignement de Kornfield, et de sa pratique thérapeutique.
Lors d’une conférence en avril dernier à New York, il expliquait que « le Bouddha ne cherchait pas à créer une religion, ce qui l’intéressait était de décrire la manière dont les êtres humains sont pris par la peur, l’anxiété, la confusion et la haine (…) La méditation est simplement la compréhension et le développement de l’attention, de la présence et de la tendresse bienveillante du cœur qui existent en chacun de nous. »
A lire :
Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011
Collection « l’esprit d’ouverture » www.espritdouverture.fr
Le site de l’auteur www.jackkornfield.org
Paru dans le magazine Inexploré N°12 sept./nov. 2011
Nicolas D’Inca est psychologue clinicien, doctorant en psychologie à l’Université de Paris, pratiquant à l’Ecole Occidentale de Méditation.
Jack Kornfield est l’un des enseignants principaux du bouddhisme en Amérique. Pratiquant depuis plus de quarante ans, psychologue, marié et père de famille, sa présentation laïque de la méditation a ouvert la voie à des milliers d’Occidentaux.
La famille dans laquelle Jack Kornfield naît en 1945 est loin d’un idéal de paix : le père violent et tyrannique terrorise sa femme et ses quatre enfants. Jack apprend vite à se protéger, s’enfermant dans une forme de paix certes artificielle, mais vitale. Cette enfance laisse des séquelles. Trouver le moyen de se libérer de sa souffrance intérieure devient une quête. A 22 ans, l’esprit confus mais plein d’ardeur, le jeune homme s’engage dans l’humanitaire en Thaïlande, après un diplôme en études orientales.
Une souffrance tenace
C’est en Thaïlande qu’il rencontre Ajahn Chah (1919-1992), reconnu pour avoir été l’un des plus grands maîtres bouddhistes du 20ème siècle. Il fait partie des moines de la forêt, une tradition thaïe du bouddhisme theravada centrée sur la méditation. Lors de leur première entrevue, Ajahn Chah dit à Jack Kornfield : « J’espère que vous n’avez pas peur de souffrir. » – « Que voulez-vous dire par là ? » lui demande Kornfield étonné. « Il y a deux sortes de souffrance » lui répond le méditant, « la souffrance que vous essayez de fuir, qui vous suivra partout, et la souffrance que vous acceptez de regarder en face, trouvant la libération que le Bouddha nous a enseigné. »
Cette introduction, qui ne manque ni d’humour, ni de chaleur, le marque pour la vie. Jack s’assigne désormais pour tâche d’affronter la souffrance afin de parvenir à s’en libérer. Mais il lui reste un long chemin à parcourir. Il passe cinq ans dans les monastères de l’Asie du sud-est, vivant la vie errante des moines de la forêt, d’abord auprès d’Ajahn Chah devenu son maître en Thaïlande, puis de Mahasi Sayadaw (1904-1982) en Birmanie. Tandis que le premier enseigne la vie monastique comme abandon de tous les attachements et comme occasion de pratiquer l’attention et la compassion en toute situation, le second met l’accent sur la méditation silencieuse qui permet de voir directement son esprit. Kornfield connaît des expériences d’extase et de lumière, entre en contact avec la vacuité. Mais il se coupe de ses émotions et devient incapable de les connaître. Revenu de ses états méditatifs, il se voit agir comme quelqu’un de confus. Une question le hante : Cette tendance à quitter le monde ordinaire pour s’enfermer dans une illusion sans rapport avec la réalité, est-cela qu’on appelle spiritualité ?
Affronter ses émotions
A son retour en Amérique en 1972, Jack Kornfield est brutalement confronté à l’effondrement de son « nirvana » qui lui apparaît soudain si dépendant des conditions extérieures. Il se trouve face à la nécessité de prendre sa vie en main. « J’étais émotionnellement immature, et tous mes conflits anciens avec ma famille et les amis me revinrent intacts » confie-t-il avec honnêteté.
Après des années de pratique spirituelle, Kornfield découvre en effet qu’il a toujours les mêmes problèmes affectifs, les mêmes troubles émotionnels, les mêmes difficultés relationnelles qu’avant son départ. Ses années de retraite l’ont rendu presque insensible. Lui qui a tant médité sur les principes de générosité, d’amour et de compassion, il ignore ce qu’il ressent. Le voyant si loin de lui-même, une de ses petites amies lui offre un carnet dans lequel il pourra inscrire ses sentiments et ses goûts, afin de commencer à les connaître. « Retrouver un rapport à mes émotions a été un long processus qui bouleversa ma vie », rappelle-t-il dans son livre Après l’extase, la lessive – véritable cartographie des périls de la vie spirituelle, basée sur son expérience et celles des maîtres des nombreuses traditions spirituelles de l’humanité.
Comment intégrer la méditation dans sa vie ? Cette question vitale le conduit à de grandes transformations intérieures. Kornfield abandonne ses robes de moine et commence à conduire un taxi pour gagner sa vie, s’engage dans une relation amoureuse durable et reprend des études en psychologie clinique qu’il poursuivra jusqu’au doctorat. Abandonnant le combat contre lui-même, il passe de la voie ascétique de la méditation à une manière plus compassionnée de se traiter, tournée vers la guérison intérieure.
Car le fait de vouloir sans cesse s’améliorer tout en refusant d’abord de s’accepter, est un piège qui peut égarer. Cette recherche d’un niveau supérieur de vie spirituelle signe l’emprise du « matérialisme spirituel », comme le nomme Chögyam Trungpa. Jack Kornfield comprend le grand danger qui menace les Occidentaux dans leur approche de la méditation : elle est utilisée pour demeurer en paix, nier ses émotions et ne plus se confronter aux difficultés et aux exigences de la vie moderne.
La méditation pour l’Occident
Le tournant est décisif. Jack Kornfield devient un bâtisseur de pont entre la méditation bouddhiste et la psychologie occidentale. Il amène certains changements profonds dans l’approche du bouddhisme aux Etats-Unis, portant notamment sur la reconnaissance des émotions et l’importance de la vie psychologique et affective des pratiquants. Rien ne sert de rêver, les problèmes personnels ne peuvent disparaître seulement avec la méditation. Un travail sur soi est indispensable.
Pour cela, Jack Korfield veut créer un cadre contemplatif adapté à la vie occidentale. Avec deux amis pratiquants, Sharon Salzberg et Joseph Goldstein, ils fondent en 1976 la Insight Meditation Society (IMS) et achètent un vieux monastère catholique dans les bois de Bare, dans le Massachussets. Ils invitent les pèlerins en quête spirituelle à les rejoindre pour des retraites de pratique. On y enseigne notamment l’Insight meditation, ou méditation intuitive, dite aussi méditation de la vue claire, plus connue en Asie sous le nom vipassana. Porter attention à son expérience du moment présent est au cœur de cette pratique.
Laïcs s’habillant à l’occidentale, ayant travail et famille, les gens viennent à eux pour des conseils pratiques sur la manière d’intégrer l’attention au quotidien, de vivre « méditativement » dans le monde. Petit à petit, naturellement, il n’y a plus de séparation entre la spiritualité et le monde moderne. Pionnier dans cette transmission rigoureuse et non sectaire de la méditation qui fait la force du bouddhisme aux Etats-Unis, Kornfield en plaisante volontiers : « La plupart des gens à qui j’enseigne la méditation ne se sentent pas bouddhistes, ce qui me convient tout à fait. Il est bien préférable de devenir un bouddha qu’un bouddhiste ! »
Quatre principes qui transforment l’attention
En tant que thérapeute, Jack Kornfield utilise pour soulager les souffrances ce qu’il a appris par la méditation. L’attitude pleine de compassion envers soi-même, ses émotions et ses ressentis, est mise en pratique dans la psychologie bouddhiste via la technique RAIN – reconnaissance, acceptation, investigation et non-identification.
Il s’agit en premier lieu de reconnaître ce qui est présent. « Nous sortons du déni qui sape notre liberté » explique Jack Korfield. Puis de laisser à l’expérience sa place, de lui donner droit. « Accepter nous permet de nous détendre et de nous ouvrir. » Nous pouvons alors goûter les émotions et les examiner. C’est ce que le maître Thich Nhat Hanh appelle « voir en profondeur ». Nous constatons la nature changeante et impersonnelle de nos expériences. « En l’absence d’identification, nous pouvons prendre soin de nous-mêmes et des autres, avec respect, tout en n’étant plus liés par les peurs et les illusions du sentiment étroit de nous-mêmes. » explique-t-il dans Bouddha mode d’emploi, véritable manuel de psychologie bouddhiste.
Ce processus en quatre étapes libère des difficultés par l’utilisation des ressources intérieures de l’attention et de la conscience en éveil. Selon Jack Kornfield, la thérapie — comme la pratique de la méditation — est une activité révolutionnaire qui ne peut être accomplie confortablement. C’est un défi constant à l’identité que chacun se forge au fil de sa vie. Parler sans cesse de ses problèmes et se centrer sur son moi blessé n’aide pas, pense-t-il, « ce qui amène la liberté est de faire face à la racine même de cette souffrance, et de la fausse identité qui s’est construite autour d’elle, plonger droit en son cœur jusqu’à ce qu’elle retourne à sa véritable vacuité. »
Accepter son chagrin en profondeur, sans le juger, reconnaître les situations de notre vie qui font mal, avec douceur, constitue un premier pas vers la guérison. L’approche de Kornfield est ancrée dans l’expérience la plus directe, la plus personnelle et la plus humaine ; c’est sans doute ce qui fait sa force, et son succès. En 1988, le psychologue bouddhiste fonde le centre Spirit Rock en Californie, un cadre communautaire plus vaste que l’IMS qui inclut les différentes approches bouddhistes, conservatrices et novatrices.
Le dialogue contre la haine
Un ami et collègue enseignant de Kornfield appelle cet endroit « les Nations Unies du Bouddhisme » tant son fondateur essaie, depuis des années, de réunir les représentants de chaque tradition et de créer les conditions d’un véritable dialogue entre les différents courants bouddhistes implantés en Occident.
Car dès la fondation de l’IMS en 1976, Jack Kornfield avait découvert un problème dans le monde bouddhiste : chaque école pense être la détentrice du savoir absolu. Cela crée la haine et la peur. Kornfield, fort de l’enseignement de son maître Ajahn Chah, milite pour sortir des antagonismes par une pratique appelée « Arrêter la guerre. »
Pour cela, il organisa en 1989, la première rencontre des enseignants bouddhistes occidentaux, en présence de Sa Sainteté le Dalaï Lama. Ce dernier demanda quel était l’écueil principal rencontré par les Occidentaux dans leur approche du bouddhisme. Tous s’accordèrent à dire que l’obstacle majeur est la haine de soi, la honte et la culpabilité. Après de longues minutes de discussion avec ses interprètes, le Dalaï Lama s’écria, choqué : « Mais c’est affreux ! Nous sommes tous dignes d’amour ! »
Les affections douloureuses dues au manque de respect pour soi et à la dépression étaient peu connues dans les sociétés traditionnelles où le bouddhisme a pris racine. Fort de cette leçon, Jack Kornfield met l’amour au cœur de son enseignement de la méditation. Dans Bouddha, Mode d’emploi, il écrit : « Sous la complexité de la psychologie bouddhiste demeure la simplicité de la compassion. »
L’expression « un cœur sage » était d’ailleurs le titre original de l’ouvrage. Elle signifie que nous sommes doués de bonté et non pas damnés par le péché originel. Quelque chose en l’homme, malgré sa souffrance et ses aveuglements, voit la vérité. La réalisation est directe, venant de ce qu’Ajahn Chah appelait « Celui qui sait », le cœur clairvoyant, aimant, sage. C’est le point clef de tout l’enseignement de Kornfield, et de sa pratique thérapeutique.
Lors d’une conférence en avril dernier à New York, il expliquait que « le Bouddha ne cherchait pas à créer une religion, ce qui l’intéressait était de décrire la manière dont les êtres humains sont pris par la peur, l’anxiété, la confusion et la haine (…) La méditation est simplement la compréhension et le développement de l’attention, de la présence et de la tendresse bienveillante du cœur qui existent en chacun de nous. »
A lire :
Jack Kornfield, « Bouddha, mode d’emploi », Belfond, 2011
Collection « l’esprit d’ouverture » www.espritdouverture.fr
Le site de l’auteur www.jackkornfield.org
Il faut en effet rester ouvert à d'autres pratiques notre propre vision occidentale. Dans la vie comme dans le monde, tout est rattaché après tout!
RépondreSupprimerLa psychologie occidentale a sa place, autant que d'autres croyances, ni plus ni moins.