Présentation faite lors de la journée Scénographie & Technologie #2 le samedi 11 novembre 2017 aux Grands Voisins, Paris, merci à Franck Ancel qui est à l'initiative de cette journée pour son invitation.
Merci aux artistes Julia Stern, Coline Deschamps, Nicolas Desplats, Rodolphe Farmer, Benjamin Neyrial pour leur présence et leur créativité.
Merci aux artistes Julia Stern, Coline Deschamps, Nicolas Desplats, Rodolphe Farmer, Benjamin Neyrial pour leur présence et leur créativité.
Sur le flyer de ce programme tout d'abord une provocation, que je trouve très amusante, sur la photo de Jacques Polieri : le voici goguenard, entouré de statues de bouddhas ! Mais au-delà de la blague, cela souligne un point : un visionnaire de l’avant-garde théâtrale pourrait ne pas être étranger à la pensée bouddhiste. Pourquoi la vision du Bouddha a-t-elle le moindre rapport avec l’art, encore plus avec l’art moderne ?
Parce que s’y manifeste un sens de la présence qui implique un grand sentiment de confiance en l’espace, nourri par la curiosité d’en sentir toutes les caractéristiques vivantes.
(C’est ce qui peut faire dire à Ariane Mnouchkine que le théâtre est « l’art du présent », un art de l’impermanence, de l’ici et maintenant – termes typiques du bouddhisme devenus aujourd’hui communs.) Cette confiance, le maître tibétain Chögyam Trungpa l’a manifestée tout au long de sa création artistique.
Parce que s’y manifeste un sens de la présence qui implique un grand sentiment de confiance en l’espace, nourri par la curiosité d’en sentir toutes les caractéristiques vivantes.
(C’est ce qui peut faire dire à Ariane Mnouchkine que le théâtre est « l’art du présent », un art de l’impermanence, de l’ici et maintenant – termes typiques du bouddhisme devenus aujourd’hui communs.) Cette confiance, le maître tibétain Chögyam Trungpa l’a manifestée tout au long de sa création artistique.
Exercice 1 : l'espace tel quel, par la présence au corps
Dans le théâtre comme dans la vie, avant même d’entamer un mouvement, un geste, de prononcer une parole, un sens de l’espace est toujours présent. Tout d’abord, l’espace de notre propre corps, la place que nous occupons à cet instant même, notre sensation d’être.
Vous êtes bel et bien ici, dans cet amphithéâtre des Grands Voisins, à Paris, c’est l’automne en ce 11 novembre 2017, vous êtes assis sur ces bancs ou ces sièges, à telle hauteur dans les gradins, et vous voyez et vous entendez ce qui a lieu autour de vous. C’est comme une manière de se rendre disponible à la rencontre, avec soi d’abord, puis avec les autres, puis avec nos perceptions, le monde alentour.
De la plante des pieds sur le sol, au sommet de votre tête, vous pouvez prendre contact avec ces espaces en vous qui ressentent, qui résonnent, qui vous donnent des informations, qui dansent avec l’espace présent. On pourrait se demander quelle partie de notre corps semblent capter le plus d’informations ? Même si une forme d’hésitation a lieu, il est possible de faire confiance a ce qui se passe, à ce qui vous vient, et de vous installer dans cet espace, de toute votre confiance.
Une partie de vous perçoit un espace plus vaste par le simple fait d’y prêter attention. Nous pouvons le faire en quelques instants, comme maintenant, ou y passer davantage de temps, comme dans la pratique de la méditation issue du bouddhisme, mais le sens est le même : il s’agit juste de se laisser être.
Vous êtes bel et bien ici, dans cet amphithéâtre des Grands Voisins, à Paris, c’est l’automne en ce 11 novembre 2017, vous êtes assis sur ces bancs ou ces sièges, à telle hauteur dans les gradins, et vous voyez et vous entendez ce qui a lieu autour de vous. C’est comme une manière de se rendre disponible à la rencontre, avec soi d’abord, puis avec les autres, puis avec nos perceptions, le monde alentour.
De la plante des pieds sur le sol, au sommet de votre tête, vous pouvez prendre contact avec ces espaces en vous qui ressentent, qui résonnent, qui vous donnent des informations, qui dansent avec l’espace présent. On pourrait se demander quelle partie de notre corps semblent capter le plus d’informations ? Même si une forme d’hésitation a lieu, il est possible de faire confiance a ce qui se passe, à ce qui vous vient, et de vous installer dans cet espace, de toute votre confiance.
Une partie de vous perçoit un espace plus vaste par le simple fait d’y prêter attention. Nous pouvons le faire en quelques instants, comme maintenant, ou y passer davantage de temps, comme dans la pratique de la méditation issue du bouddhisme, mais le sens est le même : il s’agit juste de se laisser être.
1. 1. Commençons par une brève présentation de Chögyam Trungpa, une sorte de « Portrait de l’artiste en maître tibétain »
Khenpo Gangshar et Trungpa, Tibet, 1959 |
Chökyi Gyamtso Trungpa est né en 1940 dans le Tibet traditionnel, avant l’invasion chinoise de 1959, date à laquelle il rejoint l’Inde, l’Angleterre puis les Etats-Unis. Il meurt au Canada en 1987 à l’âge de 47 ans, en léguant une œuvre de pionnier dans la transmission du bouddhisme tibétain. Nous n’en dirons pas plus sur son histoire de vie, pour ceux que cela intéresse il est possible de se référer à sa biographie française parue aux éditions du Seuil.
Le point qui retient notre attention aujourd’hui est son rôle en tant qu’artiste. Chögyam Trungpa pratique quasiment tous les arts : poésie, photographie, installation d’objets, création scénographique dans des musées d’art moderne, ikebana (l’art floral japonais), calligraphie, cinéma et enfin, le théâtre.
Fondamentalement, avant d’être un maître dans le sens spirituel, lui qui se décrivait comme un homme ordinaire, un « Monsieur tout le monde », il est un artiste dans sa vie quotidienne. Pour lui, l’art n’a pas à provenir de génies ou de personnes supérieures à leurs contemporains, il récuse également le mythe de l’artiste maudit et fait appel au contraire à une santé de base, « cette santé avec laquelle nous sommes nés » dit-il. L’art est pour lui communication entière avec le monde, une manière d’entrer en rapport les uns avec les autres. (Cela a lieu avec douceur, humilité et bienveillance, par l’intérêt que l’artiste porte à ses propres perceptions sensorielles et à la manière de les communiquer à autrui). Trungpa écrit : « Un travail artistique fait ressortir la bonté et la dignité d’une situation. Cela semble être la raison principale de l’art. »
Allen Ginsberg et Chögyam Trungpa, USA circa 1978 |
Un de ses disciples célèbres, qui fut un de ses amis proches, n’est autre que le poète de la Beat Generation, le célèbre Allen Ginsberg.
Il rapporte que Trungpa insistait pour qu’il enseigne la poésie à Naropa, l’université bouddhiste qu’il avait fondé parce que dit-il : « il voulait que les méditants soient inspirés par la poésie, parce qu’ils ne pourront enseigner s’ils ne sont poètes – ils ne pourront communiquer ».
Il rapporte que Trungpa insistait pour qu’il enseigne la poésie à Naropa, l’université bouddhiste qu’il avait fondé parce que dit-il : « il voulait que les méditants soient inspirés par la poésie, parce qu’ils ne pourront enseigner s’ils ne sont poètes – ils ne pourront communiquer ».
Il incite Ginsberg à monter sur scène et à improviser sa poésie, en direct, selon les circonstances. Ainsi il l’entraîne selon le principe poétique qu’ils élaborent ensemble : first thought best thought « première pensée meilleure pensée ». L’état d’esprit ouvert permet de faire de bonnes trouvailles non préméditées. Ainsi tout ce qui se présente peut faire l’objet d’une œuvre d’art, du moment que l’intention de l’artiste est de se montrer authentique et non d’impressionner son public. Cela est palpable dans son émouvant poème, qui lors de ses funérailles publiques a été lu par Patti Smith accompagné au piano par Philip Glass (« Lors de la crémation de Chögyam Trungpa »).
Allen Ginsberg, On the Cremation of Chogyam Trungpa Vidyadhara (1987)
1. 2. Dharma art.
Trungpa emploie une expression qui mêle sanscrit et anglais « dharma art », que l’on peut rendre en français par « l’art dharma ». Dharma est le nom donné aux enseignements du Bouddha, mais cela signifie les faits, la loi naturelle, les choses comme elles sont ; ce sont les moyens employés pour ouvrir l’esprit d’un élève à la réalité telle qu’est. Dans le sens où il l’utilise, ce n’est pas un art religieux ni une illustration du dogme bouddhiste, mais une perception claire, pleine et entière, une ouverture de tous les sens. Cela suppose une appréciation de notre vie dans ses moindres détails, une attention aux gestes ordinaires comme s’habiller, prendre son petit déjeuner, coiffer ses cheveux ou boire un verre d’eau.
Aucun « au-delà » spirituel, insiste Trungpa qui écrit : « Cette vie ou cette expérience de l’univers est la seule chose ; il n’y a rien du tout au-delà, comme un autre niveau d’existence ou quoi que ce soit d’autre. (…) Ce monde, cette manifestation physique, est le monde. (…) Mais comment nous le percevons – cela est plus intéressant. »
Trungpa photographiant un groupe d'étudiants, 1974 |
Ce qu’il cherche à transmettre par l’art est avant tout une sensation fraîche, neuve, éveillée de notre monde. Quelque chose qui soit personnel à l’artiste, bien à lui, qu’il n’a pas à fabriquer.
Comme écrit l’actrice Lee Worley qui a longuement travaillé avec lui :
« Chögyam Trungpa était convaincu que l’art a la capacité de changer les choses lorsqu’il n’est pas utilisé pour gratifier l’ego. Mudra comprend un entraînement sensoriel et un entraînement de l’esprit par le corps, intégrant la présence à l’espace par la vigilance. »
Pour aller plus loin se référer à son texte, « L’espace entre-deux : à propos du legs théâtral de Chögyam Trungpa » par Lee Worley. Texte publié dans Recalling Chögyam Trungpa, Shambhala Publications, en anglais seulement.
(à suivre)
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