Le monde contemporain veut croire désormais que la parole est un outil de communication, qu’il y aurait un émetteur, un récepteur, un message à faire passer entre les deux comme on transvase un liquide d’un récipient vers un autre. C’est un mensonge. La parole est l’espace symbolique de l’homme où seule l’existence humaine, arrachée à l’animalité, est possible. Plus les gens tentent de communiquer, plus ils téléphonent et envoient des emails, moins ils se parlent. La première qualité pour arriver à être réellement dans l’échange ou la relation avec autrui est l’écoute. Quelqu’un vous parle, et parce que vous êtes humain, vous pouvez l’entendre. Cela paraît peu mais c’est un bouleversement. Toutefois quand sommes-nous capables d’être présent à ce que quelqu’un nous dit ? Les psychothérapeutes se posent la question, car il y va de leur travail, de leur pouvoir de libérer la souffrance. Il y a un secret de la pratique de la méditation qui est un trésor pour qui a vocation de thérapeute : l’écoute guérit. Enfin, voici un point de départ à la rencontre qui ne soit pas manquée d’avance faute de présence – chacun parlant de ce qui le préoccupe sans prêter la moindre attention à l’autre, à l’espace, mais en vérité sans porter non plus attention à soi. Car souvent, nous sommes aussi loin de nous-même, ne sachant plus écouter notre cœur, que des autres.
Les émotions doivent être entendues
Prenons un exemple qui se passe lors d’une consultation. Un homme et une femme parlent au thérapeute de leur enfant de dix ans, parfois abattu sans raison apparente. Ils ne le comprennent pas et ne peuvent arriver à s’entendre à son sujet. Ils sont divorcés depuis plusieurs années et exposent leurs désaccords. Le thérapeute ne doit pas chercher à rentrer dans une discussion, argumentant pour trouver une solution ou comptant les points entre les deux. Au contraire, il leur laisse du temps, il encourage, questionne un peu. Et s’il écoute vraiment ce qu’ils ont à dire, alors quelque chose peut venir. Le monsieur pourtant réservé finit par dire l’amour qu’il porte à son enfant et la blessure de n’avoir pu lui offrir ce qu’il n’a pas connu lui-même, à savoir une famille unie. La dame, criant d’abord son indignation de mère sûre d’être dans son bon droit, se met à laisser aller, non seulement la colère qu’elle contenait depuis des années, mais aussi l’immense tristesse devant le départ de cet homme qu’elle aimait et devant l’échec de leur union. Le thérapeute semble ne rien faire. Mais en fait, il écoute, et c’est essentiel. La situation devient plus respirable, certes pas à première vue où elle a l’air plus confuse, mais en profondeur. Car ce qui n’est pas dit agit tout de même sur l’esprit. Les émotions non reconnues font leur nid et conditionnent nos états d’être sans qu’il soit besoin de notre participation consciente. S’autoriser à ressentir, mettre des mots sur ce qui fait souffrir permet déjà de s’en libérer un peu, en créant du jeu entre nous-même et nos projections sur la réalité.
La difficulté d’écouter dans le monde moderne
Lorsqu’on écoute un autre, c’est un peu comme un morceau de musique : il y a les notes, le rythme et les paroles. Et l’ensemble donne un effet particulier, une tonalité, une couleur, une sensation. Le corps écoute tout autant que l’esprit bien sûr. L’Occident n’a pas complètement oublié cela, bien que les traditions orientales viennent parfois nous rappeler à l’ordre. Malgré notre séparation entre l’esprit et la matière, le corps et la pensée, la réalité de l’union des deux ne peut manquer de nous sauter au visage à chaque rencontre ou à chaque émotion qui nous traverse. On sent autant qu’on comprend ce qui est dit. Au-delà des mots le sens perce dans une parole dite presque au hasard. Ici le psychologue, le thérapeute, rejoint le pratiquant de la méditation. Comment écouter ? Comment se disposer de telle manière qu’il est possible d’entendre ? Il faut avant tout laisser de la place, en soi et dans l’espace du dialogue, pour que quelque chose se dise. Les gens sentent immédiatement quand ils sont entendus. Et même pourrait-on dire, déjà reconnus. « Ce que je suis, ce que je vis, ce que je dis compte pour quelqu’un. Moi-même, j’ai le droit de penser et sentir ce qui m’arrive et non pas de me museler, de me couper de mon ressenti. » Car sans s’en rendre compte, à notre époque plus qu’à n’importe quelle autre en raison de l’uniformité générale qui réduit la singularité, on s’enferme dans l’esseulement et l’incompréhension. On répond à ce qui est attendu de nous par la société, ou la famille, ou même encore les amis et les relations, qui nous connaissent sous un certain visage. Mais de ces rôles, quand sortons-nous ? Quand la possibilité d’être nous est-elle offerte, purement et simplement ?
La méditation comme écoute, une nécessité humaine
La pratique de l’attention et de la présence ouverte par la méditation est accessible à tout le monde. Il est possible de s’ouvrir à soi-même et, pour une fois, de s’écouter, de ressentir, de respirer pour rien, gratuitement. Le mouvement est alors double, à la fois le pratiquant « redescend » de sa tête, le petit espace où il se confine généralement pour diriger sa vie. Il prend conscience de sa place sur terre, physiquement, corporellement. La terre est réellement présente, elle le porte. Il retrouve une réalité plus grande. Une véritable place où se tenir. Et d’autre part, il « remonte » du quotidien terne, fade, sans intérêt où tout semble déjà connu et remâché mille fois. Dès lors on n’ose même plus se tenir droit, regarder quelqu’un, lui dire bonjour. La méditation permet de dépasser ces deux écueils du monde actuel, celui de vivre trop haut, dans la tête, coupé du corps et des émotions, vivant dans l’imagination ou les concepts, sans contact avec la terre de l’expérience ; et celui d’être plus bas que terre, déprimé jusqu’au trente-sixième dessous, où il n’y a pas de joie à exister. Il faut se trouver au bon niveau. Ni spirituelle ni matérielle, la méditation rééquilibre la balance.
L’écoute dès lors devient possible. Et l’écoute guérit. Soi et le monde, moi et l’autre, sans distinction. Elle rend la parole, elle rend la vie. Les thérapeutes le savent, qui ont fait l’expérience d’une écoute juste de leurs patients. C’est un véritable effort, parfois même une ascèse, de garder l’oreille ouverte sans recouvrir ce qui est dit par nos idées. A vrai dire c’est pourquoi l’écoute, comme la méditation, font peur et sont peu pratiquées en tant que telles : elles sont une expérience du non-ego. Cette notion bouddhiste[1] est cruciale pour comprendre ce qui se joue dans l’écoute et dans son pouvoir de guérison. Le psychanalyste qui écoute son analysant lui dire son désir inouï, le thérapeute qui joue avec un enfant en lui laissant le champ libre pour exprimer son être singulier, voilà des travailleurs de l’écoute qui ont compris sa nécessité. Notre temps plonge nos contemporains dans la détresse la plus grande, car les lieux de parole, d’échange symbolique, jusqu’aux rituels qui ouvrent un espace commun et font sens pour un peuple, disparaissent à vue d’œil. Aujourd’hui plus que jamais la méditation est un garde-fou qui empêche de sombrer dans l’inhumanité. A sa manière parfois si proche, l’écoute rend l’humanité qui ne demande qu’à être entendue en chacun pour éclore, s’affirmer et s’établir. Cela demande du courage, mais un changement réel des modes d’être ensemble est à ce prix.
[1] « Y a-t-il une vie au-delà de l’ego ? », Bouddhisme Actualités Octobre 2009
Les émotions doivent être entendues
Prenons un exemple qui se passe lors d’une consultation. Un homme et une femme parlent au thérapeute de leur enfant de dix ans, parfois abattu sans raison apparente. Ils ne le comprennent pas et ne peuvent arriver à s’entendre à son sujet. Ils sont divorcés depuis plusieurs années et exposent leurs désaccords. Le thérapeute ne doit pas chercher à rentrer dans une discussion, argumentant pour trouver une solution ou comptant les points entre les deux. Au contraire, il leur laisse du temps, il encourage, questionne un peu. Et s’il écoute vraiment ce qu’ils ont à dire, alors quelque chose peut venir. Le monsieur pourtant réservé finit par dire l’amour qu’il porte à son enfant et la blessure de n’avoir pu lui offrir ce qu’il n’a pas connu lui-même, à savoir une famille unie. La dame, criant d’abord son indignation de mère sûre d’être dans son bon droit, se met à laisser aller, non seulement la colère qu’elle contenait depuis des années, mais aussi l’immense tristesse devant le départ de cet homme qu’elle aimait et devant l’échec de leur union. Le thérapeute semble ne rien faire. Mais en fait, il écoute, et c’est essentiel. La situation devient plus respirable, certes pas à première vue où elle a l’air plus confuse, mais en profondeur. Car ce qui n’est pas dit agit tout de même sur l’esprit. Les émotions non reconnues font leur nid et conditionnent nos états d’être sans qu’il soit besoin de notre participation consciente. S’autoriser à ressentir, mettre des mots sur ce qui fait souffrir permet déjà de s’en libérer un peu, en créant du jeu entre nous-même et nos projections sur la réalité.
La difficulté d’écouter dans le monde moderne
Lorsqu’on écoute un autre, c’est un peu comme un morceau de musique : il y a les notes, le rythme et les paroles. Et l’ensemble donne un effet particulier, une tonalité, une couleur, une sensation. Le corps écoute tout autant que l’esprit bien sûr. L’Occident n’a pas complètement oublié cela, bien que les traditions orientales viennent parfois nous rappeler à l’ordre. Malgré notre séparation entre l’esprit et la matière, le corps et la pensée, la réalité de l’union des deux ne peut manquer de nous sauter au visage à chaque rencontre ou à chaque émotion qui nous traverse. On sent autant qu’on comprend ce qui est dit. Au-delà des mots le sens perce dans une parole dite presque au hasard. Ici le psychologue, le thérapeute, rejoint le pratiquant de la méditation. Comment écouter ? Comment se disposer de telle manière qu’il est possible d’entendre ? Il faut avant tout laisser de la place, en soi et dans l’espace du dialogue, pour que quelque chose se dise. Les gens sentent immédiatement quand ils sont entendus. Et même pourrait-on dire, déjà reconnus. « Ce que je suis, ce que je vis, ce que je dis compte pour quelqu’un. Moi-même, j’ai le droit de penser et sentir ce qui m’arrive et non pas de me museler, de me couper de mon ressenti. » Car sans s’en rendre compte, à notre époque plus qu’à n’importe quelle autre en raison de l’uniformité générale qui réduit la singularité, on s’enferme dans l’esseulement et l’incompréhension. On répond à ce qui est attendu de nous par la société, ou la famille, ou même encore les amis et les relations, qui nous connaissent sous un certain visage. Mais de ces rôles, quand sortons-nous ? Quand la possibilité d’être nous est-elle offerte, purement et simplement ?
La méditation comme écoute, une nécessité humaine
La pratique de l’attention et de la présence ouverte par la méditation est accessible à tout le monde. Il est possible de s’ouvrir à soi-même et, pour une fois, de s’écouter, de ressentir, de respirer pour rien, gratuitement. Le mouvement est alors double, à la fois le pratiquant « redescend » de sa tête, le petit espace où il se confine généralement pour diriger sa vie. Il prend conscience de sa place sur terre, physiquement, corporellement. La terre est réellement présente, elle le porte. Il retrouve une réalité plus grande. Une véritable place où se tenir. Et d’autre part, il « remonte » du quotidien terne, fade, sans intérêt où tout semble déjà connu et remâché mille fois. Dès lors on n’ose même plus se tenir droit, regarder quelqu’un, lui dire bonjour. La méditation permet de dépasser ces deux écueils du monde actuel, celui de vivre trop haut, dans la tête, coupé du corps et des émotions, vivant dans l’imagination ou les concepts, sans contact avec la terre de l’expérience ; et celui d’être plus bas que terre, déprimé jusqu’au trente-sixième dessous, où il n’y a pas de joie à exister. Il faut se trouver au bon niveau. Ni spirituelle ni matérielle, la méditation rééquilibre la balance.
L’écoute dès lors devient possible. Et l’écoute guérit. Soi et le monde, moi et l’autre, sans distinction. Elle rend la parole, elle rend la vie. Les thérapeutes le savent, qui ont fait l’expérience d’une écoute juste de leurs patients. C’est un véritable effort, parfois même une ascèse, de garder l’oreille ouverte sans recouvrir ce qui est dit par nos idées. A vrai dire c’est pourquoi l’écoute, comme la méditation, font peur et sont peu pratiquées en tant que telles : elles sont une expérience du non-ego. Cette notion bouddhiste[1] est cruciale pour comprendre ce qui se joue dans l’écoute et dans son pouvoir de guérison. Le psychanalyste qui écoute son analysant lui dire son désir inouï, le thérapeute qui joue avec un enfant en lui laissant le champ libre pour exprimer son être singulier, voilà des travailleurs de l’écoute qui ont compris sa nécessité. Notre temps plonge nos contemporains dans la détresse la plus grande, car les lieux de parole, d’échange symbolique, jusqu’aux rituels qui ouvrent un espace commun et font sens pour un peuple, disparaissent à vue d’œil. Aujourd’hui plus que jamais la méditation est un garde-fou qui empêche de sombrer dans l’inhumanité. A sa manière parfois si proche, l’écoute rend l’humanité qui ne demande qu’à être entendue en chacun pour éclore, s’affirmer et s’établir. Cela demande du courage, mais un changement réel des modes d’être ensemble est à ce prix.
Nicolas d’Inca
[1] « Y a-t-il une vie au-delà de l’ego ? », Bouddhisme Actualités Octobre 2009
Article paru dans Bouddhisme Actualités, numéro de Janvier 2010.
La photo est de Perle.
La photo est de Perle.
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