Un psychologue méditant explore ces deux mondes de l'esprit

A l’heure où la méditation touche le grand public et n’est plus réservée à une élite engagée sur une voie spirituelle orientale mais s’inscrit dans le champ de la santé mentale, la nouvelle génération de psychologues se trouve à la croisée des mondes. La pratique de la simple présence rencontre le soin psychique. La méditation alliée à la psychologie ouvrirait-elle un nouvel espace thérapeutique, une nouvelle entente de l’être humain plus profonde, plus juste, plus directe ?
Ce blog en est la recherche vivante.

samedi 11 novembre 2017

Mudra, un théâtre de l’espace 2/2

Trungpa faisant un mudra d'enseignement
1. 3.    Les exercices d’intensification Mudra Space Awareness.

Dans le cadre de l’art dharma, Trungpa crée une compagnie de théâtre, à la demande de ses étudiants engagés dans cette forme d’art à des degrés divers. Il réunit une troupe qu’il nomme Mudra, ce qui signifie « Geste » et leur donne comme consigne d’intensifier l’espace, de forcer leur sens de présence, comme s’ils cherchaient à se donner naissance, afin d’accroître leur sentiment d’être. Andy Karr, qui dirigeait le groupe de travail Mudra Space Awareness (Présence à l’Espace), écrit :

« Etrangement, intensifier notre corps dans diverses postures pour éviter d'être écrasés par l'espace est le motif central d'une série d'exercices que Chögyam Trungpa a conçus pour ses étudiants du Groupe de Théâtre Mudra, en 1973. Trungpa présenta ces exercices de « conscience de l'espace » sans donner quasiment aucune explication de ce qu'il entendait par « intensification » ni par « espace ». (…)
Je pense que ce que Trungpa nous montrait avec les exercices Mudra était l’espace. Cet espace se manifeste comme étant notre corps, notre esprit, nos différents environnements. Puisque tous les phénomènes sont espace, il n’y a aucune contradiction à voir l’espace nous écraser ou s’accommoder de nous. »
« La pratique du Théâtre Mudra : couper l'oxygène à l'ego » par Andy Karr (texte publié dans Recalling Chögyam Trungpa


Mantra, poetry reading, 1972, Boulder, CO
4. La compagnie de théâtre Mudra naît dans le contexte de recherches théâtrales des 70’s en pleine effervescence créatrice, Trungpa organise des rencontres à Naropa, Boulder avec l’avant-garde américaine, notamment les grands poètes de la beat generation. La confluence des recherches respectives sur l’espace et la présence théâtrale est impressionnante. L’arrivée du bouddhisme en Amérique rejoint tout un courant de la contre-culture qui est à la recherche d’une nouvelle forme d’être ensemble et d’une expression artistique neuve. S’y croisent entre 72 et 73 les étudiants de Trungpa et ceux de : l’Open Theater de Joseph Chaikin, Robert Wilson, Meredith Monk ; la rencontre avec Peter Brook aura lieu à New-York… tous ceux qui deviendront des pionniers puis des références absolues dans le milieu de l’art théâtral. L’influence est réciproque. Sa recherche de l’espace artistique est peut-être simplement un moyen de transmettre l’expérience de la méditation en langage occidental moderne, mais rejoint aussi les préoccupations très fortes d’une époque. Joseph Chaikin et son manifeste sur la présence de l’acteur ; Bob Wilson et son rapport visuel, scénographique à l’espace, au jeu des lumières et à l’usage du geste délibéré ; Peter Brook dans une quête de simplicité, un espace scénique immersif, une intense présence de l’acteur et une authenticité de la parole… tous ces thèmes sont travaillés à cette époque par Chögyam Trungpa. Robert Wilson dira de lui : "Je le trouvai extrêmement ouvert et libre d’esprit, avec un grand sens de l’ironie et de l’humour : un homme qui pouvait voir deux mondes en un. Il y avait toujours cet espace derrière ce qu’il disait et faisait. Cela me fascinait."

5. Il écrit lui-même plusieurs pièces de théâtre qu’il met en scène avec sa troupe :

La première, Sandcastle « Château de Sable », est une est une pièce de théâtre qu’il écrit au début des années 1970, structurée en une série de courtes scènes entre deux ou trois personnages. Reflétant cette époque d’incertitude en Amérique du Nord, elle se fait l’écho de ses doutes et névroses, en adoptant la forme de l'absurde.
Cela n’est pas sans rappeler le théâtre de Samuel Beckett, pour lequel Trungpa avait beaucoup d’admiration, et qui décrit un monde en perte de repères.

Dans une autre pièce intitulée Prajna, ce qui en sanscrit veut dire intelligence première ou intelligence primordiale, la scène et les costumes sont structurés, épurés, les personnages entrent et sortent de la scène à la manière d’un ballet traditionnel japonais dans leurs gestes, presque rituels. Un grand sens de dignité qui coupe court à l’esprit conceptuel s’en dégage.

Dans une autre, Water Festival (« Festival d’Eau ») la confusion de l’esprit humain est encore la cible, le personnage principal meurt de soif sur la scène mais refuse l’eau partout présente qu’on lui propose… désignant l’état d’insatisfaction permanent de l’ego.

AH Mantra (for Allen Ginsberg), Chögyam Trungpa, ca 1980

6. En plus de ces pièces, il écrit une série de 5 Cycles de Son « Sound Cycles » pour l’Open Theater de Joseph Chaikin, qui se basent sur les sons plus que sur le sens pour créer une atmosphère d’une certaine tonalité émotionnelle. Le poète John Giorno en mettra une dans son dispositif  de téléphonie poétique…

Chögyam Trungpa écrit : « Dans la tradition Vajrayana du bouddhisme, qui porte sur l’énergie, on parle de trois principes : le corps, la parole et l’esprit. Le corps correspond à la matière, l’esprit aux pensées et à l’espace. La parole est ce qui les relie, et c’est l’énergie. Méditer sur les sons des mantras est l’un des moyens fournis par la tradition de se relier à cette énergie. Le mantra crée un environnement vivant d’énergie. »
Là encore, comme toujours, son rapport au son est poétique, non religieux. La parole invite à se dénuder, s’ouvrir aux émotions, une dimension essentielle dans la poésie comme le théâtre.

7. Cette Présence à l’espace permet de mieux percevoir que l’esprit n’est pas « dans la tête », il est présent en situation ici même. Par le corps, par la parole, et par les émotions ou les pensées. C’est une présence très ordinaire des choses de la vie quotidienne, et à la fois une grande curiosité dans l’exploration de ce qui nous entoure.
La créativité dépend de l’état d’esprit de l’artiste. Comme dit Trungpa, Beethoven ou son musicien préféré Mozart – et nous pourrions ajouter le moderne John Cage qu’il a connu à Naropa – ne peuvent pas rentrer du marché et s’affaler sur une chaise pour se lancer dans l’écriture d’un chef-d’œuvre – ils doivent entrer en rapport (non nécessairement à la méditation, mais) à un état d’esprit ouvert, attentif, qui soit comme une page blanche. Sans ce rapport à une nouveauté qui fasse rupture, on ne fait que répéter, recycler, ressasser toujours les mêmes concepts et les mêmes façons de percevoir le monde et donc de l’exprimer. Cet état d’ouverture peut être créé en se laissant simplement être, comme nous l’avons fait dans l'exercice de présence au corps, être juste soi sans en rajouter ; en prêtant une attention curieuse à ses perceptions, ce qui permet de sortir du pilote automatique de l’esprit ; ou cela peut arriver par un état de brèche, soit une brèche dans la perception, ou une brèche temporelle (l’espace entre deux pensées, un silence), ou cela pourrait être une brèche causé par un élément extérieur, de surprise, cette brèche ayant son existence à la fois en dedans et en dehors de l’esprit, et ces niveaux extérieurs et intérieurs sont impossibles à séparer !

Un coup de GONG retentit dans la salle – silence – Questions-réponses.

Nicolas D'Inca 

Suite et fin de la présentation faite lors de la journée Scénographie & Technologie #2 le samedi 11 novembre 2017 aux Grands Voisins, Paris.

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